En 2013, comme le temps passe, Belge de
fraîche date, à peine deux ans, déjà interprète
d’anglais-russe pour le tribunal de 1ère instance de
Bruxelles, sujet de mon prochain roman à venir on ne sait quand, j’avais écrit sur le si beau et si belge roman Maugis, après avoir fait la connaissance de l’ami Christopher Gérard, à peine arrivé outre-quiévrain, en
2011. J’avais déjà noté chez lui, outre une culture phénoménale quoique
différant notablement de la mienne, un remarquable usage de la langue française
absolument purgé des anglicismes qui la déshonorent chez les auteurs contemporains
de l’Hexagone. Sans parler de la limpidité du style de Christopher Gérard,
radicalement purgé des maniérismes post-modernes, et des bégaiements forcés de
la littérature des complexes, si populaires à une époque de déchéance où
les gogols font la loi jusqu’en littérature, stylistes de la débilité. La
grande santé, chère à certains si peu recommandables, à une époque où le
puritanisme anglo-saxon souverain conseille la maladie propice à éveiller la
compassion bêlante de rigueur et son ordre du jour subventionné par les
pouvoirs établis. Si la fantaisie de cet auteur m’émerveillait, j’aimais aussi
son sérieux, comme le plaisir, disait Jacques Rigaut, suicidé
surréaliste, les deux étant complémentaires. Voici ce que j’écrivais alors au
sujet de Maugis, roman qui m’éblouissait :
Je viens de terminer Maugis, qui m'a passionné de bout en
bout, moi, si
rétif à la mystique.
Quel grand roman d'aventures. Et la superposition
des plans, comment
dirais-je, physiques et spirituels fonctionne
parfaitement pour donner
un récit à deux ressorts à la fois parallèles
et imbriqués. J'ai bien
sûr remarqué toutes les ambiguités et les
paradoxes de l'intrigue
2e Guerre Mondiale, la répulsion pour l'Ordre
Noir, et l'Ordre Rouge,
mais la distance aussi vis-à-vis de l'Empire
britannique, avec des
personnages comme ce camarade indien d'Oxford
combattant du côté des
boches, les allusions au bombardement de Dresde par les Alliés, etc.
Quel cocktail ! Ébouriffant ! Comme toujours une langue superbe. Et une
Quel cocktail ! Ébouriffant ! Comme toujours une langue superbe. Et une
véritable proximité avec
le thème païen, pas si facile à faire passer.
Un tour de force. Quand
je pense que les petits Français prétentiards
ne parlent plus que de
leur banderole ou de leurs génitoires, ce qui
revient à peu près au
même. Je suis très fier d'avoir lié amitié avec un
auteur comme toi. Ça me
rehausse mon statut (qui en a bien besoin).
Une dernière chose : j'ai connu Inishmore
(aux îles d’Aran où se déroule un des chapitres du roman) en 1986, où j'ai
passé
plusieurs mois en
Irlande du Nord et du Sud. À l'époque (ça n'est plus
comme ça, hélas —
tourisme et UE), on partait de Galway même, sur un
rafiot du type que tu
décris, avec le bétail. Les autochtones parlaient
encore gaélique entre
eux, et se planquaient derrière les petits murets
de pierres quand la tempête
survenait (une fois par quart d'heure,
environ). Le jour du
retour à Galway, toute l'île chargeait des
troupeaux de vaches sur
le bateau. Les mecs poussaient les bestioles
affolées sur le quai,
leur passaient des sangles sous le ventre et un
treuil les déposait sur
le rafiot. Elles beuglaient à fendre l'âme, et
entre deux troupeaux,
les autochtones allaient prendre une pinte au pub
situé un peu plus haut,
pour se donner des forces. Le bateau, qui
devait partir à midi, a
levé l'ancre à 18 heures. Te dire si je me suis
retrouvé. Je ne connais
ni Oxford, mais tu m'as donné envie d'y aller,
ni Bénarès, mais je suis
réticent là par contre, je suis du type
Occidental malade aux
colonies. Je me contenterai donc de tes descriptions.
2020, voici que Christopher réédite son
meilleur roman, purgé des scories du premier jet enthousiaste, cure de sobriété
radicale. Je dois avouer — il l’avait déjà fait pour un autre chef-d’œuvre Le
Songe d’Empédocle — que je comprends
mal ce genre d’entreprise. Que reprend-on de ce qui est étroitement lié à un
moment, à un élan, j’avais refusé de le faire pour la réédition en 2015 de mon Fasciste
de 1988 qui m’avait valu les foudres gauche caviar, en son temps. De nombreux auteurs se sont
livrés à cet exercice de remaniement d’une première expression dans la
chaleur du sentiment. Ce m’était toujours apparu spécieux. En l’occurrence et
comme pour Empédocle, l’assèchement de ce superbe roman le rend plus
percutant encore, plus lumineux dans ses paradoxes historiques inoubliables
dont la justesse est ainsi soulignée. On apprend aussi ça, en sport et en
littérature : certains peuvent se permettre les trucs qu’il ne faut jamais
faire — natures irréductibles aux règles
communes. Christopher Gérard en fait partie. Son nouveau Maugis est encore plus beau que le précédent.
Thierry
Marignac, juin 2020.