Eh bien, l'excellente Annie Le Brun, une des rares surréalistes d'après-guerre à avoir réussi un véritable style digne des premiers surréalistes, en donne ci-dessous une interprétation qui froissera sûrement ceux qui vivent de leurs convictions, dans un excellent ouvrage que nous recommandons, Ce qui n'a pas de prix, chez Stock:
…Quelque chose que l'on croirait impossible de rattraper semble désormais courir devant les hommes. Ce n'est pas plus leur avenir que leur présent, ce sont leurs rêves qui leur échappent. Et tout se passe comme si l'on ne savait plus saisir, ni dire, ni penser l'écart qui se creuse de plus en plus entre ce que nous vivons et les discours censés en rendre compte. Au point que la critique sociale, si rigoureuse soit-elle, finit par n'être plus qu'une musique d'accompagnement, sans aucune efficience, réduite à donner bonne conscience à ceux qui la partagent. Depuis le temps que la crise est devenue le sujet de tous les débats, on dirait même que la multiplicité des approches critiques fait le jeu de la domination. À ceux qui les mènent est en effet échu un rôle de spécialistes, qu'ils paraissent pour la plupart fort satisfaits d'avoir endossé, sans en être même vraiment conscient. Seulement, plus ces spécialistes se rencontrent, moins se trouve un langage commun. De sorte qu'au lieu de voir émerger une critique de la crise, on ne peut que prendre acte d'une crise de la critique.
C'est tout de même terrifiant, je n'ai de goût quasiment que pour des auteurs férocement anti-roman, comme Limonov, qui déclarait avant-hier: C'est un genre qu'il faut enterrer, dans une librairie de Moscou où il faisait la réclame d'un de ses bouquins, la dernière surréaliste digne de ce nom partage les mêmes idées sur ce sujet (c'est d'ailleurs à peu près le seul point sur lequel ces deux individus irréconciliables soient en parfait accord). Personnellement, je pense l'inverse. Le jour que jette une fiction intelligente sur la réalité est irremplaçable. On peut objecter que, de nos jours, la fiction est presque invariablement débile. Certes, c'est accablant: nombrilisme, littérature des complexes, critique sociale !… Nous sommes quelques-uns à croire que créer de la beauté dans un drame de mots (le roman n'est pas autre chose) met du baume à nos plaies contemporaines. Ce qui est une œuvre humanitaire, et socialement utile !…
Bref, en dehors de mes copains, et de Modiano, je ne lis en français qu'Annie Le Brun.
On est à cette dernière particulièrement reconnaissant d'avoir, en claire référence au stalinisme, trouvé la formule réalisme globaliste pour définir les immondices monumentales post-modernes qui défigurent la planète en guise de déconstruction grassement payée.
Thierry Marignac, mai 2018
…Quelque chose que l'on croirait impossible de rattraper semble désormais courir devant les hommes. Ce n'est pas plus leur avenir que leur présent, ce sont leurs rêves qui leur échappent. Et tout se passe comme si l'on ne savait plus saisir, ni dire, ni penser l'écart qui se creuse de plus en plus entre ce que nous vivons et les discours censés en rendre compte. Au point que la critique sociale, si rigoureuse soit-elle, finit par n'être plus qu'une musique d'accompagnement, sans aucune efficience, réduite à donner bonne conscience à ceux qui la partagent. Depuis le temps que la crise est devenue le sujet de tous les débats, on dirait même que la multiplicité des approches critiques fait le jeu de la domination. À ceux qui les mènent est en effet échu un rôle de spécialistes, qu'ils paraissent pour la plupart fort satisfaits d'avoir endossé, sans en être même vraiment conscient. Seulement, plus ces spécialistes se rencontrent, moins se trouve un langage commun. De sorte qu'au lieu de voir émerger une critique de la crise, on ne peut que prendre acte d'une crise de la critique.
C'est tout de même terrifiant, je n'ai de goût quasiment que pour des auteurs férocement anti-roman, comme Limonov, qui déclarait avant-hier: C'est un genre qu'il faut enterrer, dans une librairie de Moscou où il faisait la réclame d'un de ses bouquins, la dernière surréaliste digne de ce nom partage les mêmes idées sur ce sujet (c'est d'ailleurs à peu près le seul point sur lequel ces deux individus irréconciliables soient en parfait accord). Personnellement, je pense l'inverse. Le jour que jette une fiction intelligente sur la réalité est irremplaçable. On peut objecter que, de nos jours, la fiction est presque invariablement débile. Certes, c'est accablant: nombrilisme, littérature des complexes, critique sociale !… Nous sommes quelques-uns à croire que créer de la beauté dans un drame de mots (le roman n'est pas autre chose) met du baume à nos plaies contemporaines. Ce qui est une œuvre humanitaire, et socialement utile !…
Bref, en dehors de mes copains, et de Modiano, je ne lis en français qu'Annie Le Brun.
On est à cette dernière particulièrement reconnaissant d'avoir, en claire référence au stalinisme, trouvé la formule réalisme globaliste pour définir les immondices monumentales post-modernes qui défigurent la planète en guise de déconstruction grassement payée.
Thierry Marignac, mai 2018