(Notice du poète Brodski et vers de Limonov traduits par TM)
Les
vers d’Édouard Limonov exigent,
c’est connu, que le lecteur soit préparé. Ce qui semble excentrique dans ces
vers, n’est en réalité rien d’autre que le développement naturel de la poésie
dont les fondements ont été posés par Lomonossov,
et que se sont appropriés au XXe siècle Khlebhikov
et les poètes du groupe Oberiou[1].
Ce qui rapproche l’œuvre de Limonov de celle de ces derniers, c’est le profond
tragique de son contenu, revêtu, en général, d’un habit extraordinairement
léger d’esthétisme volontaire, frisant parfois le maniérisme. La circonstance
distinguant Limonov du groupe Oberiou, et de tous les poètes vivants
et morts, c’est que le style chez lui, si audacieux soit-il (il faut remarquer
la surabondance d’inversions dans ses vers) n’est jamais une fin en soi, mais
une illustration supplémentaire d’un haut niveau de trouble émotionnel – c’est
à dire le pain dont se nourrit la poésie. Édouard
Limonov est un poète qui a pris, mieux que tant d’autres, conscience que le
chemin vers la clairvoyance philosophique ne se trouve pas tant dans thèse et
antithèse, mais plutôt dans le langage lui-même, débarrassé de tout ce qui est
superflu.
Iossif Brodski, prix Nobel de
poésie 1987.
N.Zabolotski, chef de file du groupe oberiou autoportrait, 1925 |
Sur
les villes une lune sanglante
Nous
deviendrons des puces, des bactéries
J’aime
la lune sanglante
Dans ses ruines et crevasses, j'aime mon pays
Chez
le dictateur, un intellectuel sévère
Et
bon — simplement égaré
Excellent
— mais avec une vie de misères
Alors
le sang humain il fait couler
Sous
les doigts tout le cafard et l’ennui
Et
la mort est ennuyeuse comme un épouvantail de pierre
D’une
limousine, l’enfant apercevait
Comme
un panier posé, le grand Yéti
Sur
une falaise nordique surélevée
L’enfant
du dictateur sur la terre trônait
Des
questions sans réponses le taraudaient
Autour
de lui des soldats au rouge nez
Et
la brise marine secoue les bananes
Les
habitants ont l’air de tsiganes
Et
la lumière d’en haut. Et l’écume de la mer
Et
le Yéti — signe que bientôt viendrait la guerre
ÉDOUARD LIMONOV, TIRÉ DU
RECUEIL « MON HÉROS NÉGATIF », VERS 1976-1982.
Кровавая
луна над городами
Бактериями станем. станем вшами
Бактериями станем. станем вшами
А
я люблю кровавую луну
В развалинах и впадинах страну
В развалинах и впадинах страну
С
диктатором - интеллигентом строгим
Хорошим - только сбившимся с дороги
Хорошим - только сбившимся с дороги
Прекрасным
- но имевшим жизнь плохую
Поэтому и льющим кровь людскую
Поэтому и льющим кровь людскую
Под
пальмами вся та ж тоска и скука
И смерть скушна как каменная бука
И смерть скушна как каменная бука
Ребенок
увидал из лимузина
Большая бука села как корзина
Большая бука села как корзина
На
возвышенной северной скале
Диктатора ребенок на Земле
Диктатора ребенок на Земле
Имеет
нерешенные вопросы
Вокруг него солдаты красноносы
Вокруг него солдаты красноносы
И
ветер с моря шевелит бананы
А жители глядятся как цыганы
А жители глядятся как цыганы
И
верхний свет. И вспененное море
И бука - знак войны что будет вскоре
И бука - знак войны что будет вскоре
ЭДУАРД ЛИМОНОВ, ИЗ СБОРНИКА « МОЙ ОТРИЦАТЕЛЬНЫЙ ГЕРОЙ»
[1] GROUPE
DE POÈTES DE LÉNINGRAD (1927-1930) , LITTÉRALEMENT UNION DE L’ART RÉEL, CULTIVANT LA POÉSIE DE L’ABSURDE, SOUS L’INFLUENCE
DE KHLEBNIKOV.