6.4.25

Bestialité des propagandes II: le professeur Sakwa

 

Grayzone, site d’information accusé d’être un suppôt du Kremlin, sans preuve jusqu’à aujourd’hui, avait révélé la ténébreuse affaire du « réseau des réseaux » Integrity Initiative, financé par le MI6 et Facebook, qui m’a donné une partie de l’intrigue de mon dernier roman « L’interprète », se déroulant dans les eaux troubles de la guerre de l’information britannique. Grayzone avait été rejoint par une enquête du Daily Mail et du Working Group on Syria propaganda and media, un groupe d’universitaires de gauche de Cambridge. Aujourd’hui, Grayzone dévoile une autre facette de l’influence pernicieuse d’une aile « opérations psychologiques » apparemment très active. L'article dans son intégralité: https://thegrayzone.com/2025/04/01/british-intel-top-russia-academic-leaks/

 Nous publions quelques extraits d’un article « pour abonnés » et conseillons vivement à nos lecteurs anglophones de s’abonner à Grayzone sur Substack. Ils en apprendront de belles !…

TM, éditions Konfident


 Les services secrets britanniques ont cherché à faire taire le meilleur spécialiste occidental de la Russie, révèlent des fuites

Par Kit Klarenberg, 1er avril 2025

Kit Klarenberg


(Traduit de l’anglais par Thierry Marignac)

 

Des fuites de documents montrent des agents des services secrets préparant des politiciens britanniques à faire taire des professeurs exprimant leur scepticisme de l’effort de guerre par procuration en Ukraine. L’une des cibles, Richard Sakwa, pense que cette campagne a eu pour résultat un harcèlement dans sa vie quotidienne.

 Les e-mails qui ont fuité examinés par Grayzone révèlent un complot dans les sphères supérieures du renseignement pour calomnier et réduire au silence des savants politologues britanniques tels que Richard Sakwa, qui est largement considéré comme un des meilleurs spécialistes de la Russie du monde anglophone.

En mars 2022, un e-mail intitulé « Les Russes envahissent nos universités », l’officier des renseignements britanniques et ancien conseiller de l’OTAN Chris Donnelly accusait Sakwa d’être un « compagnon de route » des Russes qui avait « graduellement abandonné sa couverture », insistant sur le fait que le professeur était « beaucoup trop bien informé sur la stratégie russe pour n’être appelé qu’un idiot utile ». Un autre message montrer que Donnelly fantasme d’exposer publiquement « les financements par des organisations russes » de Sakwa, une assertion que le professeur dément catégoriquement.

Le professeur Richard Sakwa


Donnelly a envoyé ces messages deux semaines après les déclarations du Secrétaire d’État à l’Éducation du Royaume-Uni de l’époque Nadhim Zahawi, selon lesquelles le gouvernement britannique était « déjà sur l’affaire et contactait leurs universités » quand on lui avait demandé si le gouvernement du Royaume-Uni allait intervenir pour empêcher les professeurs anti-guerre « d’agir en idiots utiles du président Poutine et de ses atrocités en Ukraine ».

Grayzone a révélé que Donnelly était un personnage-clé derrière une cellule secrète militaire et d’espionnage, appelée « Project Alchemy », créée en 2022 pour pousser l’Ukraine à « combattre coûte que coûte ». Une composante centrale de cet effort était de réduire au silence toutes les voix journalistiques et les médias — y compris le nôtre — considérés comme une menace pour le contrôle par Londres du récit de la guerre par procuration.

Les messages récemment exposés montrent que Donnelly conduisait des opérations similaires dans le monde universitaire. Bien que le professeur Sakwa ait depuis longtemps remis en question les récits dominants sur la Russie de Poutine, critiquant et l’expansionnisme de l’OTAN et son refus d’inclure Moscou dans la structure de sécurité européenne à la suite de l’effondrement de l’URSS, il a été effectivement éliminé des débats grand public sur le conflit depuis que la guerre a éclaté en Ukraine.

Les messages fuités suggèrent fortement que c’est l’intervention directe de Donnelly, agent de renseignement connu, qui est la cause de la marginalisation de Sakwa. Les messages montrent Donnelly en train de contacter des législateurs du Royaume-Uni pour oblitérer l’influence de Sakwa qu’il appelait sa cible numéro un, tout appelant à une liste noire d’autres professeurs susceptibles d’exposer des vérités inconfortables sur le conflit ukrainien.

La détermination de Donnelly à faire taire le professeur s’étendait apparemment au-delà de la durée du conflit. En privé, il s’inquiétait « qu’une fois que les combats auraient perdu de leur intensité » en Ukraine, les « modérateurs » commenceraient à « parler de lever les sanctions », et que «  les Sakwas de ce monde seraient les fers de lance de l’effort pour changer la stratégie de l’Occident ». En d’autres termes, même si la guerre tournait mal pour Kiev et ses soutiens, Donnelly et ses associés resteraient déterminés à empêcher toute reconsidération publique des relations entre l’Occident et la Russie.

Sakwa était un « redoutable opposant » à « prendre au sérieux ».

Bien que récemment calomnié comme un apologiste du Kremlin vendant de la désinformation dans certains cercles, les travaux de Sakwa ont historiquement suscité des critiques élogieuses grand public. Même après l’éclatement de la guerre par procuration en Ukraine, le magazine du Conseil en Relations Étrangères « Foreign Affairs » avait une évaluation très positive des récents livres du professeur disséquant la fraude du Russiagate aux États-Unis et les origines du conflit en Ukraine. Manifestement, c’étaient la crédibilité de Sakwa et son formidable savoir qui en faisait une cible pour le renseignement britannique suivant le début de la guerre en Ukraine.

Un des ouvrages de Richard Sakwa


Dans un échange de messages avec James Sherr, un carriériste des laboratoires d’idées qui dirigea le programme Russie et Eurasie Pour le laboratoire d’idées Chattam House lié au gouvernement britannique, Donnelly exprima son malaise devant la perspective de voir les idées de Sakwa atteindre des audiences occidentales impressionnables. « La connaissance de la politique russe très poussée de Sakwa", avertissait Donnelly en faisait un « redoutable adversaire » que « la majorité des étudiants britanniques et des politiciens de niveau intermédiaire prendrait sans doute très au sérieux. »

Sherr répondit qu’il n’avait aucun doute que Sakwa était payé par le Kremlin, mais insistait sur le fait que le professeur critiquait l’expansion de l’OTAN, non pour de l’argent mais par « haine des États-Unis ». S’il existait des preuves fondées que Sakwa recevait de l’argent d’entités russes « il fallait le faire savoir », ajoutait Sherr, mais même si l’on obtenait une vidéo de Poutine en train de lui « signer un chèque pendant le dîner…L’université de Kent continuerait à l’employer et ses fans à l’adorer.»

(…)

Dans ses commentaires à Grayzone, Sakwa  dit que les actions de Donnelly « sont extrêmement préoccupantes » et avance les e-mails indiquent « qu’il y a des cellules dans l’appareil d’État britannique travaillant d’une manière subversive pour saper les principes fondamentaux de la démocratie britannique, la tolérance des points de vue politiques divergents, l’encouragement au débat ouvert et au dialogue ».

Le professeur argue qu’en « salissant des érudits et des militants civiques » Donnelly et ses collaborateurs « sapent précisément les valeurs qu’ils prétendent défendre et pratiquent « la présomption de culpabilité par association »

« L’hypothèse selon laquelle remettre en question la politique officielle sur une question particulière est motivée par des considérations mercenaires, en l’occurrence être payé par Moscou, est une épouvantable manifestation du McCarthysme que nous espérions avoir mis derrière nous après la fin de la Guerre Froide », ajoute Sakwa.

(…)

(NDT : après l’ouverture d’une enquête, l’Université de Kent a rejeté toutes les accusations portées contre le professeur Sakwa et « solidement défendu le principe de la liberté académique » selon les dires de celui-ci)

 

4.4.25

La matraque des droits de douane

 

Une fois passés les ricanements à voir toute la classe dominante politico-médiatique euro-américaine pousser des cris d’orfraie en se dressant sur ses ergots d’hystérique — comme ça soulage de les voir trembler ! — on aimerait en savoir un peu plus long sur le psychopathe à brushing qui occupe la Maison-Blanche et ses intentions, malgré tout l’indéniable talent comique qu’on lui reconnaît. Notre ami Mark Ames, ex rédac-chef du magazine eXile de Moscou, qui dirige Radio War Nerd et a interviewé Seymour Hersh juste après les révélations de celui-ci sur le sabotage de Nord Stream était tout indiqué et a généreusement accepté de nous répondre :

 

 

Mark Ames

(Traduit de l'anglais par Thierry Marignac): 

Quelqu’un que j’ai connu répétait cette formule de sagesse politique qu’il tenait de Pat Buchanan. Buchanan était un chien d’attaque de Nixon et Reagan, intelligent, ami d’Hunter Thompson et sous bien des aspects le gourou du trumpisme. Il avait été candidat aux Primaires républicaines dans les années 1990, et avait choqué le parti. C’est ce que Trump a retenu. Bref, un jour en privé il a confié que l’un des axiomes-clés de la perspicacité politique était : quand on est au pouvoir, on n’attend pas qu’il se produise une crise. Il s’en produira toujours une et on est baisé, il faut y réagir. Au lieu de ça, il faut CRÉER les crises politiques l’une après l’autre. Alors ce sont les autres qui doivent réagir et on contrôle tout. C’est le style Trump, parce que cette stratégie plaît à quelqu’un comme lui qui adore son pouvoir et veut s’en servir à fond. Il est également TRÈS rancunier et veut se venger du « Russiagate » et des affaires judiciaires contre lui ainsi que de la façon dont les classes dirigeantes américaines et européennes ont fait trébucher son premier mandat. La vengeance est donc le second facteur. La vengeance compte pour beaucoup, particulièrement dans ses attaques contre les agences d’influence douce comme USAID, NED, etc. Et aussi contre tout ce qui est de gauche.

© Andreï Molodkine


Donc les droits de douanes sont la puissance. Il n’a pas tort là-dessus. Tout le monde est effaré et il faut qu’ils aillent le voir pour faire baisser leur tarif. C’est un type de l’immobilier, un seigneur des taudis, propriétaire de casinos et il a appris auprès de Roy Cohn. Il est étrange de voir un président qui aime ouvertement son pouvoir et a l’intention de s’en servir autant qu’il pourra ; nos présidents prétendent toujours être d’humbles serviteurs, de se servir « sagement » de leur pouvoir. Trump c’est plutôt « Putain, oui, j’ai le pouvoir et putain je vais m’en servir, ah, ah, ah. » Et pourquoi pas ?  Quand nous avons des présidents de la gauche bidon Obama ou Biden, ils répètent qu’ils ne peuvent appliquer aucune des promesses faites aux travailleurs sous prétexte qu’ils n’en n’ont pas le pouvoir, le système les en empêche. Ils mentent bien sûr mais c’est ce qu’ils continuent à vendre à leurs soutiens. Que les pouvoirs du président sont limités. Ce qui les dégage de toute responsabilité, ils peuvent poursuivre le statu quo et jouer à l’empire mondial, la seule chose qui les préoccupe.

Au sujet des droits de douane et les politiques qui encadrent l’usage qu’en fait Trump, l’autre truc, c’est sa vision de ce que la société devrait être. La première fois, il s’était présenté comme un populiste à la Jackson. Jackson était un populiste qui a défié la Second Bank Of America et les financiers, qui a élargi le droit de vote à tous les hommes sans tenir compte de leurs propriétés, il était haï par les élites. Cette fois, Trump dit que son héros est William McKinley, l’impérialiste des grosses sociétés qui écrasa le populisme au début du XXe siècle. McKinley est l’un de ceux qui ont démarré l’empire américain, qui ont maté la classe travailleuse et imposé de gros droits de douane pour aider ses soutiens financiers des grosses corporations. Trump dit que ce qui a ruiné l’Amérique c’est l’adoption de l’impôt sur le revenu progressif en 1913, qui était un des plus grands combats des populistes contre l’oligarchie américaine. L’adoption de cette mesure a pris une vingtaine d’années. Trump veut éliminer l’impôt progressif sur le revenu (les riches paient plus que la classe moyenne qui paie plus que les pauvres) et générer des profits à travers les droits de douane, ce qui revient au fond à faire payer en proportion les pauvres et la classe moyenne bien plus que les riches. Mais le problème, bien sûr, c’est qu’on n’est plus en 1897 ou 1920. L’économie américaine est très différente. Le libre-échange a défoncé la classe ouvrière, mais il a rendu le pays et sa classe dominante tout-puissants. Remplacer ça du jour au lendemain par des droits de douane écrasants, sans un grand plan à la chinoise d’investissement dans l’industrie locale, signifie tuer la domination américaine et les entreprises, provoquer une inflation massive, sans en tirer beaucoup de profit en échange. Alors, sauf coup de bol, il va en résulter un merdier énorme et qui va le rattraper. Et si c’est le cas, il aura à prendre une décision — peut-il faire la chasse aux médias et aux élections pour s’aider lui-même. Mon intuition est qu’il ne pourra pas. Tout le monde dans la classe dominante américaine s’est rallié à Trump cette année, voir à quel point ce sont des lâches était un spectacle choquant. Mais quand on se fait des ennemis de tous les oligarques et financiers, on ne peut que perdre. Le prochain « gamin perturbé » avec un fusil de chasse ne manquera pas sa cible.

Mark Ames, avril 2025