11.10.25

Tristan Leoni et Thierry Marignac

 


         

    Tristan Leoni et Polémique-Victor

 

         Une des règles fondamentales de ce métier de saltimbanque est de ne jamais répondre aux critiques quelles qu’elles soient et de ne jamais s’en offusquer si elles sont négatives par tel ou tel aspect, voire en totalité. Notre foie d’auteur est fragile et dès qu’un livre est paru, il appartient à ses lecteurs — leur liberté de jugement doit être intégralement respectée.

         Cependant, je vais faire ici une exception, pour le long article très fouillé qu’a consacré Tristan Leoni, alias Monsieur DDT à mon dernier bouquin « Vu de Russie » et plus largement à ma présence dans l’édition depuis une quarantaine d’années sur son blog « Douter de tout » ou ddt21 — un intitulé salutaire à une époque sectaire où le fanatisme aveugle est hélas devenu le quotidien du cauchemar. C'est ici: https://ddt21.noblogs.org/?page_id=3689

         Tout d’abord l’attention qui m’y est témoignée est suffisamment rare pour qu’elle m’honore — et avec une telle exhaustivité ! En dehors de mes amis proches…

Ensuite, l’effet de surprise, Monsieur DDT est une sorte de marxiste libertaire si j’ai bien compris, une espèce qui en général m’a classé infréquentable — à l’exception notable de Serge Quadruppani, auteur de polar et traducteur — ne sachant pas trop où me ranger, ce qui, de nos jours, est considéré comme prélude à la mise en examen.

Monsieur DDT, dont j’ignorais l’existence, qu’il m’en excuse, a consacré un ouvrage au Gilets Jaunes qu’il aborde sous un angle inattendu et bienvenu : du point de vue d’une révolte du prolétariat. On n’ergotera pas sur les petits patrons et autres qui s’étaient fédérés aux GJ, ni sur le fait que l’origine — la racine — provinciale du mouvement faisait plutôt penser à une jacquerie. Peut-être que Monsieur DDT évoque ces aspects dans son livre, je ne l’ai pas lu. Mais un excellent ami qui avait pris une part active aux GJ m’a fait ce commentaire à son sujet : « Une critique de gauche radicale intelligente ». Personnellement, le non-conformisme de la démarche ne peut que me plaire. Les ultragauches contemporains peinaient à définir une position — puisque c’est leur devoir — se gardant à droite et à gauche, vis-à-vis d’une révolte spontanée, certes, mais qui correspondait mal à leurs critères.

Dans son approche, caustique tout en étant bienveillante, de mon travail — voire de mon personnage — depuis mon premier roman « Fasciste », Monsieur DDT fait preuve de cette impartialité analytique qui constituait la noblesse de l’ultragauche autrefois — en dépit de toutes ses bibles. En tant qu’analyste, il remonte à la prise de contrôle par les soixante-huitards de la quasi-totalité de l’encadrement culturel dans les années 1970, puis de leur prise de pouvoir en 1981 avec le Parti Socialiste. Il explique le mouvement étudiant « de droite » de 1983, que j’avais couvert comme journaliste radio, de façon sociologique assez pointue. C’était en effet l’origine de mon roman à contre-courant. Je dois dire que là, j’ai sauté quelques passages. Plus vieux que lui d’une douzaine d’années, les pensums marxistes… j’en ai soupé depuis longtemps. Qu’importe, puisque Monsieur DDT estime que c’est son boulot et qu’il le fait plutôt bien, d’une façon suffisamment travaillée en profondeur pour qu’on s’ennuie moins.

Éditions Payot, 2006.


Cependant, et c’est à l’honneur de l’essayiste, les aspects littéraires ne sont pas ignorés : un assez long développement sur mon goût de la poésie russe, dans laquelle il voit à tort un parti-pris « pro-russe » — il en voit d’autres du même genre ailleurs. J’aime la poésie russe, parce qu’à rebours de l’intellectualisme ou des pleurnicheries névrotiques qui usurpent le nom de poésie en Occident, elle parle de quelque chose, rarement abstraite, souvent brutale. Je regrette que Monsieur DDT se serve des traductions de Boris Ryjii publiées par ce médiocre apparatchik du Sud-Ouest parlant à peine russe — un pistonné de l’exécrable Maison des Poètes incapable de faire rimer ses approximatives traductions et qui n’a jamais mis les pieds à Ekaterinbourg. De même les citations d’un Georges Nivat, propagandiste avéré de l’université bon teint sur feu mon ami Limonov ne me semblaient pas indispensables. Ne parlons pas de celles de sa fille…



Mais Monsieur DDT a l’avantage de l’éclectisme des sources et la grande qualité de s’informer un peu partout. Mes répugnances à l’establishment culturel ne le concernant donc pas. Cependant, en ce sens, il paraît incohérent qu’il semble me reprocher d’avoir interviewé Xavier Moreau, qui ne cache pas son soutien au régime russe. En tant que journaliste, négliger tout à fait dans mon tableau général la petite colonie d’expats français à Moscou aurait été une lacune. Et, Monsieur DDT ne peut le savoir puisqu’il ne travaille pas dans l’information, tous les camps ont leur part de vérité. Lorsque Xavier Moreau m’explique le déclin d’Auchan en Russie — il avait été un temps responsable de la sécurité des magasins de la firme — par le fait que les centres commerciaux se sont modernisés dans la Fédération, plus confortables, mieux éclairés et que les grossiers entrepôts de marchandises en vrac sur la toile de corde ont cédé la place à la moquette des salons où tout est velouté… Il y a là plus d’un renseignement utile : sur le développement du pays, sur le commerce contemporain, sur la valeur d’échange et le spectacle marchand qui devraient tirer l’œil de la critique sociale !…

Morphine Monojet, version russe, 2018.


Mais revenons sur le Marxiste, quoique Monsieur DDT fasse partie de ceux qui sont dotés d’intelligence — c’est loin d’être toujours le cas ! Le Marxiste se soucie plus de convaincre que de séduire, son credo est le raisonnement, pas le style. Il est rarement capable de concision ou d’ellipse, d’où la réflexion d’un de mes amis sur le long article de Monsieur DDT : « mais qui aura la patience de lire tout ça ! ». Je précise, pour dissiper toute ambiguïté, que je suis fort reconnaissant à Monsieur DDT de ses exégèses, en 18 bouquins et 90 traductions, on m’a rarement accordé autant d’attention. Narcissisme d’auteur ? Oui, peut-être — fascinant de s’observer vu par un autre qui n’est ni hostile, ni complaisant.



Serai-je aussi long que mon critique de la gauche radicale ? J’ai encore quelques points épineux à soulever. Tout d’abord, une formulation assez maladroite : j’aurais « avoué » que je crois à l’objectivité. Cher ami, je n’avoue jamais rien — à part un certain penchant pour la bière — même au commissariat. Je sais — la nuance est de taille — que l’objectivité existe. Et que sa négation par les menteurs professionnels de la classe médiatico-politique s’explique par la nature de leur sale métier. Comme c’est commode… Bref, cette conviction de longue date a été confirmée par une expérience relativement récente, une douzaine d’années au plus : j’ai travaillé un temps dans le renseignement économique sur l’Ukraine pour des banquiers et des assureurs. C’est une grande école d’objectivité. Le commanditaire se moque éperdument des convictions, points de vue et principes de son informateur. Il veut le tableau le plus proche possible de la réalité pour gagner du fric. On y apprend à déchiffrer les propagandes sur des principes simples : une information surgie dans un seul camp est sujette à caution, doit être vérifiée, recoupée, comparée. Une information surgie simultanément dans deux camps opposés est considérée comme vraie jusqu’à preuve du contraire. Un exemple concret : jusqu’au récent assassinat à Lvov d’un leader ukrainien ultra-nationaliste, j’avais toujours pris la version selon laquelle les snipers du Maïdan en 2014 auraient été des agents de l’ultra-droite ukrainienne ou britanniques, voire les deux, avec beaucoup de précaution. La conversation entre une ministre estonienne et je-ne-sais-plus quel eurocrate, sortie chez les Russes, pouvait être un montage. En 2001, un bidouillage de mes conversations avec Limonov enregistrées chez lui clandestinement nous présentait en Russie comme préparant un coup d’État. En réalité, il me parlait d’un livre sur un terroriste des années 1920 au cours d’une soirée arrosée. Ça rend méfiant, sachez-le, Monsieur DDT, ces expériences de terrain. Néanmoins, lorsque le leader proto-nazi s’est fait descendre il y a peu à Lvov, on a évoqué son rôle non seulement dans l’incendie de la Maison des Syndicats à Odessa, mais aussi, avec l’insistance de plusieurs sources ukrainiennes, dans l’affaire des snipers du Maïdan, jamais élucidée. Là, voyez-vous, on commence à regarder de plus près la théorie du coup monté.  De même que sur l’affaire Boutcha. Il n’est pas anodin que trois ans plus tard, toutes les missions dépêchées sur place, y compris les enquêteurs de la gendarmerie française, n’aient toujours pas rendu de conclusions. Outre la date de la découverte de ces massacres, trois jours après qu’un maire hilare ait déclaré son plaisir que les Russes aient foutu le camp sans relever la moindre tuerie, je rappellerai à Monsieur DDT, les déclarations, qu’il ignore peut-être, de Jacob Kedmi, citoyen israélien, ex-dirigeant du service secret « Nativ » et ancien combattant de la guerre du Kippour : « Jamais, dans mon expérience des combats urbains, je n’ai vu des cadavres aussi bien alignés ». Monsieur Kedmi a dit ailleurs : « La désinformation britannique a toujours été : 1) la meilleure, 2) la plus professionnelle, 3) la plus vile. ». L’américanisme « théorie du complot » n’a supprimé ni les complots, ni les institutions dont c’est le métier. Dans un nid de guêpes comme l’Ukraine… Donc, non, je « n’avoue » pas croire à l’objectivité, je travaille à y parvenir. Un autre exemple, où Monsieur DDT me prétend « un brin conspi », ah, ah, ah, porte sur l’hypothèse selon laquelle les services américains ou autres pourraient se servir des drogues pour déstabiliser la situation intérieure russe. Braqué sur la superstructure, le Marxiste néglige des réalités pratiques que sa science infuse dialectique déclare « anecdotiques ». Il est pourtant de notoriété publique que les seigneurs de la guerre afghans considéraient que l’exportation de leurs opiacés vers l’Occident était non seulement très lucrative mais aussi une forme vicieuse de Djihad. Dans sa bonté native, la CIA raisonnerait autrement… Lorsque, il y a sept ou huit ans, un flic marron avait dérobé 51 kg de cocaïne dans les entrepôts du quai d’Orsay, mon ami le journaliste américain Gonzo Mark Ames, à qui je racontais cette inénarrable affaire, m’avait aussitôt répondu : « funding of black ops ». Le ciel de la théorie devrait parfois contempler la terre des bagnards…



De même, avec une condescendance typique, Monsieur DDT écarte d’un revers de ligne dédaigneux mon « La Guerre avant la guerre » où j’évoquais les luttes de clans très réelles entre Est, Centre et Ouest de l’Ukraine, instrumentalisées par les puissances extérieures qui se livraient bataille dans le pays. Il s’agit, en premier lieu, d’une ignorance de l’Ukraine où l’État est depuis l’origine aux mains de la pègre, un fait qu’on ignore d’autant plus volontiers en Occident, qu’il contredit les fictions « démocratiques » qui arrangent l’UE. Deuxièmement, c’est ignorer l’essence de la guerre américaine et de ses défaites, fondée sur l’utilisation des bourgeoisies compradores et du milieu. En Afghanistan, le frère du président Barzaï — installé dans son fauteuil par George Bush Jr — directeur d’une firme de sécurité, protégeait les convois de l’OTAN, partis du Pakistan, pour fournir aux GI’s, jeux vidéo et Coca-Cola. Ses convois n’étaient jamais attaqués. Une enquête du New York Times de 2006, révéla que le frère du président payait les Talibans. Le serpent se mordait la queue, la guerre américaine finançait ses ennemis. Avec l’Ukraine, où une enquête lancée par un organisme anti-corruption vient de démontrer qu’on cherchait 129 millions de dollars évaporés suite à des appels d’offres truqués au ministère de la Défense en pleine guerre, on est dans le même cas de figure. Il s’agit d’un capitalisme féodal et la défaite potentielle du camp occidental en découle directement. Le patriotisme des oligarques est sur des comptes off-shore. Si, comme Monsieur DDT, on raie d’un trait de plume ces réalités en se réfugiant dans les hauteurs « des rapports de classe et des antagonismes nationaux », on reste aveugle à ce que sont ces rapports de classes sur le terrain, du racket dans sa forme la plus pure. Et aveugle à ce que sont les classes dominantes euro-américaines qui traitent directement avec cette pègre. Y voir un « pro-russisme » me paraît déplacé. En effet, en dépit de son exhaustivité dont je lui suis reconnaissant, Monsieur DDT a apparemment manqué une phrase que j’ai fourgué dans trois livres, deux romans et un reportage, (L’Icône, Terminal-Croisière, Vu de Russie) : « Il ne s’agit plus de l’affrontement de deux systèmes différents (comme à l’époque de l’URSS) mais de la concurrence planétaire sur le marché mondial de deux systèmes identiques »…

N'écrivez jamais vos mémoires!


Dernière pique pour conclure — nom d’un chien, je vais être aussi long que lui ! — il est piquant et assez drôle d’être passé « aux armes de la critique » avec cette grille marxiste libertaire qui a au moins le mérite de sortir du galimatias gauchiste par une certaine rigueur — me rappelant mes propres errements utopico-enragés lors de la lointaine jeunesse anarcho-situ déglinguée, lorsque comprendre l’essence fétichiste de la marchandise et son secret, disait Marx, donnait une impression de toute-puissance conceptuelle…

Quoi qu’il en soit et qu’il en soit remercié, Monsieur DDT est très sympathique, aussi impartial qu’il le puisse en tant que Marxiste et putain comme il a bossé sur mon œuvre !… De surcroît, cette lecture m’a beaucoup amusé !…

Thierry Marignac, octobre 2025

P.S. Plan Média:

…En ce qui concerne la dite "fachosphère" où Monsieur DDT a remarqué que je faisais mes tours de piste pour vendre ma soupe, sans s'en offusquer, ce qui est tout à son honneur… C'était la plus grosse arnaque des médias sous contrôle gauchisant (et de leurs héritiers contemporains): "Si tu parles à la droite (à mon époque d'avant l'alignement généralisé, ça allait jusqu'au Figaro), tu ne passeras plus jamais chez nous qui faisons la loi en littérature…"

Alors si, dans un réflexe d'autocastration bien compréhensible, le naïf épouvanté attendait le coup de fil de Télérama en protégeant sa vertu… vu la concurrence acharnée des grandes âmes militantes entre elles, il restait bloqué au portillon derrière les autres et ne passait nulle part! De leur origine léniniste, les gauchistes avaient gardé la manie de la censure…

Polar sur la guerre de l'information


P.P.S.

Monsieur DDT s'étonne, semble-t-il, que je ne soit pas cité dans un bouquin de balances de gauche sur l'extrême-droite russophile depuis un siècle. Je ne vois pas pourquoi on m'aurait relié à ça… Ça ne serait pas si facile… Ensuite il remarque que je ne suis pas allé voir Prilepine, la vedette de plateau télé et apparatchik  du système, ni Douguine avec sa barbe de prophète, 36e sous-fifre d'un bureau de propagande — qu'on prend pour le cerveau du président de la Fédération Russe… Feu mon ami Limonov — juste avant de mourir — avait dénoncé Prilepine comme un arriviste forcené à éviter à tout prix… Et, depuis plus de trente ans, prenait Douguine pour un vieux con pontifiant. J'étais loin d'être toujours d'accord avec Édouard, mais, dans les deux cas, si. Les souffrances particulières qui leur ont été infligées par… C'est une autre histoire, on ne peut que compatir.

 

        

6.10.25

L'impérialisme européen

 Nos lecteurs commencent à connaître Peter Korotaev, commentateur ukraino-australien et son blog "Events in Ukraine"(Substack) qui se distingue par sa froideur et son objectivité. Contrairement aux fanatiques de tous les bords, l'homme est sans illusion. Dans cet article datant d'il y a quelques semaines, il évoque un certain passé de l'Europe, et le ressentiment de certaines franges ukrainiennes…



Sur l’impérialisme européen

La responsabilité et l’hypocrisie européennes. Mise à jour sur la guerre éternelle.

( traduit de l'anglais par Thierry Marignac)

16-09-2025.

Au début de l’année, j’avais quelque espoir que la guerre pourrait vraiment toucher à sa fin. Peut-être naïf, mais quelle importance alors qu’aucun d’entre nous n’a aucune influence sur la situation, de toute façon.

Mais même alors, il était également clair que trop de camps étaient impliqués dans le conflit, portant des exigences qui s’excluaient mutuellement. Maintenant, le fait que la guerre va continuer beaucoup plus longtemps semble certain. Le commandant militaire, le blogueur Officier a écrit le 15 septembre :

« Ces derniers temps, j’ai l’impression d’être un salopard de traître parce que j’ai écrit très peu de bonnes nouvelles sur cette chaîne, vraiment très peu, tellement que certains chefs d’unités ont commencé à murmurer qu’Officier était une opération psychologique russe. Bien que des commandants de brigade vexés ne soient pas exactement le meilleur indicateur, c’est tout de même déprimant avec tout ce qui se passe. Dans l’atmosphère flotte une sensation de guerre qui va se prolonger et la possibilité de batailles brutales dans un futur proche. »

 

Hypocrisie européenne

Pourquoi la guerre est-elle si inévitable ?

Un des récits les plus populaires sur la guerre en Ukraine, particulièrement les soi-disant « médias alternatifs », c’est que les intérêts européens ont été mis à mal par « la guerre de Washington ». Il est indiscutable que la guerre a profité aux exportations d’énergie américaines et a été désastreuse pour les prix en Europe et son industrie.

Cependant, il ne s’agit pas que de l’énergie américaine. L’année 2025 a montré que les États européens étaient plus intéressés que les États-Unis dans la continuation de la guerre. Ce sont les dirigeants européens qui ont tenté désespérément  de maintenir les relations Zelenski-Trump, ce sont les Européens qui ont accepté toutes les humiliations par la Maison Blanche à condition qu’elle continue à livrer des armes à Kiev.





Il est clair que l’Europe n’est pas seulement une marionnette américaine. On pourrait avancer que les classes dominantes au pouvoir actuellement en Europe sont fidèles à ce qu’on pourrait appeler les élites mondialistes libérales — les Européens étaient les pantins de l’administration Démocrate, mais pas de ses remplaçants Républicains.

En ce qui me concerne, c’est un concept qui ne me plaît pas particulièrement. Pour moi, c’est beaucoup plus simple : c’est l’impérialisme européen qui est coupable. L’idée d’imputer la belligérance européenne aux États-Unis innocente un continent obsédé pendant des siècles par l’expansion coloniale — bien avant que les États-Unis aient vu le jour.

Aujourd’hui, l’Europe est en phase de stagnation. Une grande partie du monde s’est libérée des anciennes chaînes coloniales européennes. Ce qui était pendant des siècles une « jungle » de prospérité est aujourd’hui obligée d’être en concurrence sur le marché libre avec des pays qui produisent des produits équivalents ou meilleurs pour des prix plus bas.


Terrifiés par de telles changements mondiaux, il n’est pas surprenant que les Européens se raccrochent à leurs plus vieilles traditions — conquérir l’Est. Au Moyen-Âge, les Chevaliers Teutoniques ravageaient l’orient slave. Il n’y a rien de plus européen que Drang Nach Osten, rappelait Hitler aux Alliés européens en 1941. Des dizaines de milliers d’Européens furent volontaires dans diverses unités fascistes pour participer à l’opération Barbarossa — la France, la Belgique, la Hollande et beaucoup d’autres pays qui avaient leurs propres divisions SS.

Hitler était convaincu que l’Allemagne, écartée de l’Asie et de l’Afrique par des puissances coloniales plus fortes, n’avait d’autre option que de se focaliser sur l’Union Soviétique. Aujourd’hui, l’Europe dans sa totalité fait face au même dilemme. D’importantes parties du monde n’acceptent plus d’être des appendices de « l’Occident civilisé ».



Évidemment, la croissance chinoise offre nombre d’opportunités à l’Europe. Mais il semble que l’état d’esprit est beaucoup trop lié à l’idée de sa supériorité « civilisationnelle ».

Les origines économiques de la guerre russo-ukrainienne ne devraient pas être oubliées. Tout a commencé en 2013 avec la soi-disant question de « l’intégration à l’Europe ». Bien sûr, on n’offrait pas à l’Ukraine d’entrer en Europe, mais juste un accord de libre-échange — l’UE avaient des accords semblables avec 72 pays. La plupart d’entre eux avec des pays pauvres comme l’Ukraine.

L’accord finalement signé par l’Ukraine en 2016, comme les autres signés par l’UE est très exploiteur. J’ai parlé de ses effets délétères dans une suite d’articles. Les exportateurs ont la main libre pour dominer le marché ukrainien, tandis que les exportateurs ukrainiens ne peuvent entrer sur les marchés européens en raison de « standards de qualité » extrêmement restrictifs. L’UE a toujours été très active pour empêcher l’Ukraine d’adopter des mesures protectionnistes minimales.

C’était l’expansion de l’UE à travers des années 1990 et 2000 qui donna aux producteurs européens l’avantage dont elle avait besoin pour concurrencer l’Asie. C’est seulement grâce à une force de travail bon marché polonaise, roumaine, hongroise que les firmes automobiles autrichiennes ou allemandes sont restées compétitives, avec une énergie russe bon marché.



Mon propos ici est que la guerre en Ukraine n’est pas le sombre dessein des méchants anglo-saxons contre la pauvre Europe, je ne disputerai pas les intentions néfastes de ces derniers. Mais les Européens ont leurs propres raisons.

Il semble que les Européens ont décidé de ne pas accepter l’égalité avec le monde non-européen « non-civilisé ». Il semble qu’au lieu de ça, ils soient déterminés à « élaguer la jungle » ou « tondre la pelouse » pour utiliser une expression israélienne. D’où leur soutien pour l’Ukraine et Israël.

Au lieu de faire du commerce, l’Europe a choisi de mettre en jeu son avenir économique sur la guerre. 26 des 27 membres de l’UE ont voté la remilitarisation en mars de cette année.  Tandis que ça se résume très simplement à de nouveaux achats à Washington les militaristes optimistes européens prétendent que cela impliquera la réindustrialisation et la création d’emplois. Je ne me risquerai pas à en supputer les chances réelles, mais le propos reste le même — l’Europe en est à résoudre ses dilemmes avec la guerre.

Ça vaut le coup de prendre du recul pour évaluer la culpabilité européenne.

En 2013, le principal problème pour les Russes avec l’accord de libre-échange n’était pas géopolitique. Il était mercantile. Les Russes protestaient que l’accord européen mènerait à un afflux de marchandises européennes bon marché en Ukraine, atterrissant ensuite en Russie, causant du tort aux producteurs russes. À cause des sanctions occidentales, un processus similaire a eu lieu depuis 2014 par la Biélorussie qui a avait même vendu des « crevettes domestiques » aux consommateurs russes.

Fin 2013, le président ukrainien Viktor Ianoukovitch a proposé des négociations trilatérales impliquant l’Ukraine, la Russie, l’UE. Mais les Européens ont rejeté cette idée. Les Européens voulaient que l’Ukraine accepte son traité de libre-échange sur des termes européens et seulement les termes européens.

Des années plus tard, toutes les tentatives du gouvernement ukrainien pour faire de cet accord quelque chose de plus profitable pour les intérêts ont échoué. Seule l’invasion russe de 2022 a mené l’UE a ouvrir ses frontières aux produits agricoles ukrainiens, une générosité qui a pris fin cette année. Et maintenant, le gouvernement ukrainien se plaint que leur pays va perdre des dizaines de millions de dollars à cause du protectionnisme européen. Comme autrefois, les tarifs européens bloquent quoi que ce soit d’autre que le maïs et le blé ukrainiens.

Voilà à quel point l’Ukraine est le plus cher allié de l’Europe. En fait, l’Ukraine a toujours été vue comme une ressource économique et militaire à exploiter sans vergogne.



Amants guindés

Les nationalistes ukrainiens ont toujours vu leur guerre avec la Russie comme une guerre pour l’Europe. Les « libéraux » et droitards idéalisent l’Europe en tant que « civilisation »  supérieure racialement aux « Mongols » Russes. Bien que les libéraux et les droitards aient des accents légèrement différents, l’état d’esprit général est le même.

Cependant, l’hypocrisie égoïste européenne étant toujours plus évidente (cela a, certes, pris un certain temps) les deux camps politiques ukrainiens nationalistes critiquent de plus en plus « l’Occident civilisé » et prophétisent que l’Eurasie prendra inévitablement « la paresseuse, impériale, arrogante » Europe « Le monstre totalitaire nord-oriental se dresse lentement, redresse les épaules, et commence à envahir l’Occident » .

Perdant l’espoir de vaincre, ils ne peuvent qu’espérer que la guerre consume toute l’Europe. Regardons de plus près leur mépris des « lâches Européens » et leur vision d’apocalypse.

Plus loin dans cet article, je jetterai un œil sur les sinistres compte-rendu du front — les soldats et les analystes soulignent la réalité qui dément les déclarations officielles en ce qui concerne les lignes de front de Lyman, de Dobropillia et de Dniepropetrovsk. Comme on s’en aperçoit, les déclarations ukrainiennes d’avoir traversé le saillant russe de Dobropilia ne semblent pas refléter la réalité. La situation, qui se développe rapidement autour du village de Yampil, où les forces russes ont traversé les poreuses lignes ukrainiennes et continuent à rester, malgré les dénégations ukrainiennes officielles.



Pour commencer une manifestante du Maïdan, Maria Berlinska. Depuis 2014, ses activités d’ONG se sont concentrées sur le féminisme au front et la technologie des drones. Un bon exemple de de nationalisme pro-européen.

Mais le 16 septembre, elle a publié un long article condamnant les Européens :

« Notre réalité est bien décrite par quelques nouvelles quotidiennes :

« Les Russes sont entrés dans Yampil dans la région de Donetsk, des combats se déroulent dans le village. »

« Les Russes mené 41 attaques dans la direction de Pokrovsk — État-Major »

« Le dirigeant des chemins de fer ukrainiens sur les attaques russes : ils essaient de détruire des nœuds ferroviaires clés. »

Et en même temps :

« Sikorski pense que l’Otan et l’Europe pourraient établir une zone d’interdiction aérienne au-dessus de l’Ukraine »

Mots-clés :

Entrée des Russes, combats en cours, la Russie a attaqué, ils tentent de détruire des gares…

Pourraient établir…

Pendant que la Russie attaque, infiltre, détruit, l’UE réfléchit lentement et philosophiquement — peut-être qu’on pourrait faire quelque chose ?

Et il s’agit de Sikorski, l’un des politiciens européens les plus raisonnables et les plus pro-ukrainien.

Que pourrait-on dire des autres.

Cette époque sera plus tard considérée comme totalement honteuse pour l’Europe. Ou peut-être qu’elle ne sera pas décrite du tout, parce que l’Histoire est écrite par les vainqueurs.

Et la civilisation européenne est déjà en train de perdre. De perdre en trahissant l’Ukraine.

En n’ayant pas donné des armes lorsque les gens faisaient la queue devant les bureaux de recrutement (Berlinska parle ici de 2022).

En train de perdre pour n’avoir pas mis les sanctions à temps, en continuant à acheter du pétrole et du gaz russe, sponsorisant notre mort.

En train de perdre en fronçant son nez bureaucratique, en recouvrant sa lâcheté sans rémission de paperasses.

En train de perdre en trahissant les Ukrainiens. Tandis que l’Axe des pouvoirs totalitaires, alimentés par des économies capitalistes, bourrés de technologie, avec des centaines de millions de biorobots, se renforce…

(…)

Réveillez-vous ou vous allez mourir.

L’Ukraine vous fait un rempart de son corps, mais l’Ukraine est en train de finir.

(…) 

Dans les livres d’Histoire on se souviendra de vous comme des lâches et des vaincus.

(…) »

 

         (…)

 

         Nouvelles de la guerre

         Finissons par quelques nouvelles du front :

         Tout d’abord dans la partie la plus septentrionale du Donbass, la forêt de Serebrianski. Dans ce secteur, les forces ukrainiennes battent en retraite depuis des mois, l’interminable bataille semble toucher à sa fin.

         Ces derniers jours, les troupes russes ont Bondi en avant vers la ville de Yampil. Une avancée d’environ cinq kilomètres. Les déficiences de l’infanterie ukrainienne rendent les lignes de défense de plus en plus poreuses. Deep State a décrit la situation à cet endroit le 16 septembre :



         « (…) Nous surveillons la situation, l’ennemi a été repéré dans le secteur de Yampil à de nombreuses reprises. Ils ont trouvé un chemin pour infiltrer la bourgade, nous devrions nous attendre à une augmentation de l’activité dans ce secteur. L’ennemi est déterminé à s’emparer de la bourgade, connaissant son importance et sa valeur critique pour toutes les positions situées plus à l’Est » (…) « Si Yampil tombe, l’ennemi se dirigera directement sur Lyman, tout en faisant simultanément pression sur Seversk. »

         Les évènements ne prennent pas exactement un tour favorable. Pour ne pas dire qu'ils prennent un tour franchement désastreux.

         Ensuite, à la frontière Donetsk/Dniepropetrovsk, la partie la plus méridionale de la région de Donetsk. Le saillant russe s’est étendu rapidement pendant toute l’année 2025, et c’est ce qui est reconnu depuis longtemps comme une des menaces les plus graves.

         Si les Russes pénétraient plus avant, elles entreraient dans une steppe peu peuplée, un environnement très différent du Donbass très urbanisé. Cela signifierait aussi un enveloppement des forces ukrainiennes du Donbass et une menace sur Dnipro, le plus gros centre industriel restant à l’Ukraine. La semaine passée a vu plus d’avancées dans le secteur, mettant en doute les déclarations du haut commandement selon lesquelles les forces ne sont pas encore entrées dans la région de Diepropetrovsk.

         Le 15 septembre, la membre du parlement et une loyaliste de Zelenski, Mariana Bezhula a un grand exposé sur la situation là-bas et plus au nord, sur le saillant de Dobropilia. Il y a un peu plus d’un mois que les Russes ont mené leur opération de guerre-éclair dans le secteur, avançant de 15km en quelques jours. Depuis lors les forces ukrainiennes ont annoncé avoir coupé le saillant en deux, mais Bezuhla ne paraît pas en être si sure :

         « Notons que près de Dobropilia la situation continue d’empirer et qu’aucune percée russe n’a été repoussée, tandis que dans la région de Dniepropetrovsk l’ennemi continue à consolider ses positions dans plusieurs villages. Alors qui disait la vérité ? Deep State et Mariana où l’état-major ? »

P. K.