SUITE ET FIN
Voici la 2e partie de la flatteuse critique de l'homme qui fut mon premier éditeur et reste un ami fidèle. On la reprend ici notamment parce qu'elle est exhaustive et dépasse le simple cadre du livre "La Guerre avant la guerre" et aborde d'autres aspects de mon travail. À la veille de publier "L'Interprète" au mois de mars, chez Konfident, un roman para-espionnage lié à l'actualité, puis au début mai "Vu de Russie" à la Manufacture de Livres, reportage effectué durant tout l'automne 2024 en Fédération Russe et d'un bout à l'autre du pays, le récapitulatif de Daniel Mallerin sur mes 40 ans de carrière n'est pas tout à fait inutile…
(Au sujet de Vint, le roman noir des drogues en Ukraine):
L’ONU et les organisations
internationales s’étant engouffrées dans la brèche de la pauvreté et de la
corruption, le levier financier et législatif de la lutte contre l’usage des
drogues devenait inévitablement un
instrument de transformation politique, au gré des ordres du jour et des
volontés de puissance, un instrument de pénétration des structures… si l’on ne pouvait
nier une certaine amélioration et un ralentissement des épidémies, le pays
s’enfermait dans les cycles infernaux de la dépendance aux institutions
internationales et leurs diktats. Une bonne partie des conditions présentes de
l’affrontement en cours en découle directement.
La coïncidence de l’enquête et de la
révolution orange avait donné au projet de livre-reportage une structure
inattendue semblable à une coupe longitudinale de la situation du pays. En
marge de ses activités au sein des Narcotiques anonymes à l’Hôpital N°5 de Kiev,
au contact des damnés de la terre – surveillés, instrumentalisés, brutalisés et
rackettés par la police –, Thierry Marignac avait rencontré et interrogé grâce
à son statut officiel un large éventail d’acteurs de la santé publique, jusqu’aux
plus typiques poissons politiques. Un reportage à hauteur d’épaules avec
beaucoup de portraits, d’observations dans des situations parfois dramatiques
ou torves, beaucoup de détails relevant l’écart entre les multiples formes de ressentiment
populaire et les discours de façade, entre la multiplicité des conflits
divisant les ukrainiens et son habillage idéologique. La réalité se loge dans les interstices des propagandes – telle est
l’antienne de l’écrivain.
De la misère en milieu littéraire
Vint, le roman noir des drogues en Ukraine parait en 2006. Personne n’en perçoit le signal d’alerte
: le milieu culturel ne sait alors à peu près rien de ce pays que beaucoup
prennent encore comme une province de Russie... Pour tout dire, malgré la
révolution orange, personne n’en a rien à secouer de l’Ukraine et de ses
westerns politiques, et encore moins des pandémies de drogues et des politiques
de « réduction des risques ». Le mépris qu’inspirent les camés et leur
foutue conscience de classe explique certainement l’indifférence, mais que par
un phénomène d’agrégation le rejet englobe l’auteur, que « l’ignorance
volontaire » entraîne la conjuration du silence, voilà qui est stupéfiant !
Thierry Marignac étant résolument
incapable de jouer le vrp de son propre livre et encore moins de se prêter aux
rites de cour de l’édition parisienne, et puisqu’il a choisi l’exil, j’ai vainement
tenté, avec quelques amis réfléchissant aux politiques de réduction des risques,
de proposer ici ou là, au gré des circonstances, une réédition du bouquin – avant
et après l’invasion russe en Ukraine. Je me suis bien entendu servi de
l’argument Georges Orwell, Albert Londres, Ryszard Kapuscinski, etc.
parfaitement orthodoxe. Rien que de plus
sincère, donc aussi épuisant que la loi de Brandolini. Je me suis abstenu
d’avancer celui de la came, pourtant tout autant assuré de la place unique, et
dialectique, de Vint, le roman des
drogues en Ukraine dans la passionnante histoire de la
« littérature » qui lui est attachée…
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Photo© Daniil Doubschine, 2016, Moscou. |
Un air de Dziga Vertov
Même s’il en est le prolongement 20 ans
plus tard, La guerre avant la guerre
est un ouvrage bien différent de Vint
et de ses impératifs de récit d’immersion ; il faut avant tout le voir
comme une forme « d’agitprop » occidentale visant à rétablir un
certain équilibre de l’information face
à la bestialité des propagandes. Pour ce faire, Thierry Marignac a choisi la voie
qui s’offrait à lui par l’expérience, à savoir remonter le cours de ces deux
décennies de luttes internes acharnées pour la conquête du pouvoir central en
Ukraine ayant abouti au conflit actuel, et donc rassembler, traduire et
ordonner des informations publiques à la portée de tout journaliste patenté –
un travail élémentaire qu’aucun n’avait pourtant encore entrepris avant lui.
La guerre avant la guerre n’est pas une thèse pontifiante, ni une spéculation littéraire,
seulement le témoignage d’un écrivain mordu de journalisme, irréductiblement indépendant
et scrupuleusement neutre sous le feu des propagandes de chacun des deux camps.
Parce qu’il combine travail d’archives et récits d’expériences personnelles, le
bouquin a des allures de cinéma documentaire. En somme un petit goût de Kino-pravda. Sa forme de montage, sous
une charpente didactique de quatre grands chapitres, est d’ailleurs originale :
une myriade de tiroirs enchâssés les uns dans les autres, séquences brèves,
parfois sèches, où se succèdent péripéties politiques, hauts faits criminels,
batailles géopolitiques, mises en scènes idéologiques, etc. Une pléthore de
biographies ou portraits, un fourmillement d’histoires captivantes mêlées aux
souvenirs de scènes vécues – torves, oppressantes et souvent comiques – touchant
des vérités indémêlables, la marque des fictions de Thierry Marignac.
L’artiste de la vanne
Sobre et parfois même crû, le style des Chroniques ukrainienes répond avant tout
à l’impératif de la clarté –l’équilibre
de l’information – sous l’effet du temps – 20 ans de l’histoire
ukrainienne, 20 ans de relation personnelle avec le pays –, qui n’ôte rien à l’engagement du témoignage :
la soif des échanges, la curiosité franche, la neutralité et le respect dans toute
rencontre – jusqu’à celle des toxico-damnés de la terre – et par-dessus tout
l’amitié portée à Volodia Moseïev, l’artiste
de la vanne, comme disait Céline, repenti aux manettes des Narcotiques
Anonymes de Kiev, un curieux mélange de
dureté acquise dans les bas-fonds d’URSS et de générosité totale.
Lorsque le Maïdan éclate : Au registre des sources officielles, je ne
croyais personne, ni Berlin, ni Moscou. Nous communiquions par Skype tous les deux
jours. Il me racontait l’émeute, radicalisée par la brutalité policière. Il me
parlait des gens simples et des mecs comme lui, protestant contre l’arbitraire
d’un pouvoir qui les dépouillait de tout. Russe ethnique, natif de
Rostov-sur-le-Don, Volodia n’avait pas la fibre nationaliste. Il me raconta
s’être interposé alors que des militants du Secteur droit tabassaient un Noir
dans les rues de Kiev. Nulle vantardise dans ses propos : en 2004, je
l’avais vu chasser un dealer en 4x4 des allées de l’hôpital au prix d’un coup
de démonte-pneus qui lui avait ouvert le haut du crâne. Mais Volodia aimait
l’Ukraine où il vivait depuis si longtemps. Et cette fois, alors qu’il était si
sceptique sur la révolution orange dix ans plus tôt, il prenait le parti du
peuple dans la rue.
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Carte verte, recueil posthume de poésie d'Edouard Limovov |
Edouard Limonov, aux origines de l’aventure russophone
C’est avec cette simplicité rugueuse que
l’on s’approche singulièrement du vécu ukrainien en même temps que de la trame
mentale des entreprises et aventures de l’auteur, toujours déterminées par une infatigable
culture de l’amitié, modelant d’indéfectibles
attaches sentimentales tant en Ukraine qu’en Russie. Thierry Marignac y rapporte
que son reportage de 2004 sur le Far-Est des drogues était déjà le fruit d’une longue histoire avec le monde russophone
dont l’Ukraine fait partie dans une large
mesure, quelles que soient les dénégations présentes. Une histoire ayant
pour origine l’amitié hors du commun qui s’était nouée avec Edouard Limonov aux
débuts des années 80 à Paris et qui ne s’est interrompue qu’à sa mort en mars
2020. Pour rester sur le terrain de l’équilibre
de l’information, on note avec intérêt que les deux écrivains s’étaient
retrouvés moins d’un an plus tôt pour la dernière fois à Paris, dans un défilé
des Gilets jaunes dont Limonov avait tenu la chronique moscovite grâce aux
informations fournies par l’exilé Marignac et ses amis GJ.
La rencontre avec Limonov avait fait
basculer le destin du jeune écrivain français, vivant alors entre Paris et New
York, traduisant à tour de bras de la littérature américaine, dont quelques auteurs
cultes de l’underground à l’instar de Jim Carroll (Baskett ball diaries), Philipp Baker (Rasta Gang), Bruce Benderson (Toxico)
ou encore Richard Stratton (L’idole des
camés) – ceci pour les érudits et fétichistes en la matière. Suite à d’épiques
retrouvailles à New York avec l’auteur du Journal
d’un raté, Thierry Marignac décida de troquer la langue anglaise contre la
langue russe, New York contre Moscou.
Après un passage obligé – héroïque pour
un autodidacte – à l’Institut des Langues Orientales de Paris, il avait relancé
en Russie ses audacieuses entreprises de traducteur, d’éditeur et même de reporter
au sein d’une une équipe de journalistes gonzo qui aura publié durant 10 ans,
jusqu’en 2008, le tabloïd moscovite The
eXile qui avait pour spécialité de mêler
provocation et journalisme d’investigation – aventure risquée au pays des
soviets, inenvisageable aux Etats Unis avec ses incontournables lois sur
la diffamation.
Directive stalinienne
L’art de la guerre documentaire
Thierry Marignac a tiré de ces expériences
et vagabondages en Russie plusieurs romans – sa corde de funambule – comme de solides
amitiés tant avec les dissidents planétaires d’eXile qu’avec un certain nombre d’écrivains russes – subtile
richesse qui, dans les vingt ans à rebours de ses Chroniques ukrainiennes, affleure ici et là, toujours pour des
raisons explicites d’information. Il en est ainsi de la seule et brève
référence à Edouard Limonov donnant, avec une efficacité saisissante, la mesure de l’ingérence russe en Ukraine… Les
fins connaisseurs apprécieront le laconisme tandis que les fanatiques habituels
auront tôt fait de brandir l’épouvantail rouge-brun sachant (vaguement) les
positions d’Edouard Limonov sur la guerre de 2014 au Donbass. Or, il faut préciser
que si Marignac partageait avec son grand ami nombre d’intérêts – chacun
reconnaissait l’influence littéraire de l’un sur l’autre – comme nombre de points
de vue sur l’état du monde, l’écrivain français a toujours gardé une position
d’observateur dans le domaine politique tandis que le russe – une enfance
ukrainienne – avait choisi d’y mettre le pied, jusque dans la guerre.
Cependant d’autres écrivains actuels, associés
au mouvement punk, dont la singularité et la longévité en Russie sont bien
entendu méconnues ici, prennent dans La guerre avant la guerre un relief aussi
frappant. Évoquant l’expropriation
western, fin 2014, d’une chaîne
de supermarchés ukrainiens dans le plus pur style russe des années 90, Thierry Marignac rapporte
un long extrait de Retour à la case
départ du romancier d’origine biélorusse Vladimir Kozlov, « archéologue des soviets »
selon ses propres termes, décrivant en détail la mise en scène d’un raid semblable et sa
foudroyante brutalité dans un chapitre superbement intitulé « Querelle de
gestionnaire ». Miracle de la fiction dans son insertion documentaire :
accéder à toute vitesse au fantastique social, à la concrétion de la prédation
– ce grand étouffement – et piger la pertinence de la perle littéraire dans la
minutieuse composition des informations.
De la russophobie en milieu littéraire
Une parenthèse qui n’en est pas :
Thierry Marignac a traduit et publié en France trois romans époustouflants de
Vladimir Kozlov qui s’insèrent parfaitement dans le genre à succès des romans
noirs. Le truc de Kozlov, sa virtuosité, c’est de dépeindre la société
contemporaine russe sans jugement ni compromis dans un style minimaliste en
s’appuyant sur un scénario haletant, une histoire implacable. L’auteur dispose
donc en principe de beaucoup d’atouts permettant à un éditeur de tracer la voie
d’une aventure littéraire franco-russe marquante avec la publication du
quatrième – A Babylone – roman dans
la pure lignée de 1984 mais ancré
dans le réel de la société russe actuelle, précisément sous le joug de la
Covid, soit un an avant le déclenchement de « l’opération militaire
spéciale ». Que pensez-vous qu’il advint ? Aucun des quelques
éditeurs à qui le livre a été proposé n’a accepté de prendre le risque. Mes
propres tentatives – pour l’honneur, pour la fraternité littéraire – ont été
jusqu’ici vaines. Il n’est pas encore interdit de se taire.
Un sourcil se soulève :
- Hum, et l’auteur où en est-il ?
- Il s’est délocalisé à Istanbul…
Le roman de Vladimir Kozlov dérange
parce qu’il est russe. Au secours Stéfan Zweig ! La russophobie infuse
jusque dans le milieu littéraire… Probable que l’accueil fait à La guerre avant la guerre en ait
également pâti. De toute façon, Thierry Marignac en a déjà fait les frais
depuis un bail, mais sous sa forme précédente : cette sorte d’ignorance volontaire que l’on peut
voir tout bêtement comme la conséquence de la colonisation culturelle
américaine. Elle est criante pour la littérature et la culture russe actuelles.
Ajoutons à cela son amitié avec Limonov dont seul notre « Carrère
d’encaustique », qui lui doit son succès mercantile, est habilité à parler
– on ne prête qu’aux riches. Thierry Marignac a su préserver sa dignité et sa
liberté, notamment en s’exilant. Il a fui le milieu parisien, ses petits rois
soleils et ses commissaires du peuple sournois.
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Dans l'oblast de Tchelyabinsk, une Tour Eiffel et une pancarte "Paris" |
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La fiction en liberté surveillée
Rappelons au passage que l’écrivain est
victime d’une cabale depuis l’année 1988 où paraissait son premier roman, dont
le parti pris esthétique collait à l’esprit du temps, imprimé dans le creuset
de la « dictature graphique » du groupe Bazooka. Son crime ? Le
dit roman, écrit à la première personne, est intitulé Fasciste.
La seule consolation que l’on puisse espérer à revenir sur cette histoire
pourrie, qui dure et perdure, est d’imaginer la réaction des lecteurs, libres
ou sains d’esprit, qui la découvriront. Que le niveau intellectuel soit si bas,
le comportement du milieu littéraire si grotesque est, en effet, difficilement
concevable. De mille manières, on a sommé Marignac de se justifier et bien-sûr
il s’y est toujours refusé se contentant d’y répondre par une succession de
romans aux thèmes politiques, inspirés par des faits réels, qui ont franchement
démontré la nature anti-idéologique de ses paris littéraires.
L’écrivain a toujours chèrement payé son
coup d’avance. L’assertion peut être solidement étayée, même hors de la
question ukrainienne. Elle crève les
yeux avec le recul. On se contentera cependant – pour la force du symbole – de
citer seulement ce « roman noir », datant 2006, qui dépeignait le
cynisme et l’hypocrisie avec lesquels la forteresse européenne se blinde contre
l’immigration : A quai, fiction
mémorable dont le « fantastique social », la rudesse et la beauté
atteignent la force d’America, America,
chef d’œuvre réalisé par Elia Kazan en 1963. On peut d’autant plus en saisir
aujourd’hui le caractère prophétique que,
simple polar, le roman échappe à la confusion pesamment entretenue en
France entre discours et littérature, cette enflure qu’incarnent, Houellebec en
tête, les bourrins à succès dont on vante probablement le pouvoir de
« déranger ».
Il est pénible de ressusciter de
vieilles et méprisables polémiques, surtout s’agissant de la guerre en Ukraine,
mais en évoquant l’ensemble de l’œuvre de Thierry Marignac, et pour aller
jusqu’au bout de l’interrogation subliminale initiale – qui l’écrivain dérange et
pourquoi ? –, on ne peut s’empêcher de relever avec force l’ignorance et
la méfiance confondues dont elle fait toujours aujourd’hui l’objet fumeux – symptôme
probable de l’esprit rétrograde et moutonnier sévissant en France sous un
habillage soixante-huitard usé jusqu’à la corde, mais aussi conséquences du
traitement réservé à cette génération d’artistes nés dans les années 60 qui a
été systématiquement écrasée, assouvie, instrumentalisée par les générations
précédentes.
Un peu de sociologie ne nuit point mais
ne suffit pas à expliquer, au-delà de l’incompétence de la critique littéraire,
les raisons pour lesquelles l’époustouflante trajectoire de Thierry Marignac –
ses aventures d’un continent à l’autre, d’une langue à l’autre, ses liens avec les
écrivains les plus singuliers du monde, sa fréquentation des classes
dangereuses, son travail opiniâtre d’éditeur et de traducteur – ait été
délibérément oblitérée. Tant qu’à faire, après Orwell et Albert Londres, ajoutons
le nom de Jack London pour la communauté du destin d’écrivain-aventurier-autodidacte… Le
romancier Pierre-François Moreau évoque, quant à lui, celui d’Arthur Cravan – deux
boxeurs irréductibles à toute obédience – mais il est un rapprochement encore
plus étonnant que l’on peut faire : celui avec Dominique de Roux.
Thierry Marignac « héritier de DDR » :
aucun des connaisseurs des deux œuvres ne peut en disconvenir. Ils sont non
seulement tous les deux de brillants et invétérés stylistes, des observateurs
aigus des transformations politiques du monde mais aussi de grands aventuriers
de l’édition littéraire internationale. Il faut le dire pour conclure. On se
rappellera que DDR avait défendu successivement Céline, Gombrowitz, Michaux,
Abellio, etc. en même temps que Burroughs et les écrivains de la Beat
Generation, mais qui connaît le travail d’éditeur accompli par Thierry Marignac
dans le champ de la littérature américaine underground – les Kathy Acker, Sarah
Schulman, Bruce Benderson, Carl Watson, John Farris, Darius James, etc. – comme
dans celui de la littérature russe ? On s’abstiendra ici de citer les noms
de ces stupéfiants inconnus mais on conseillera au lecteur arrivé au bout de
cet article de se reporter au Blog Antifixion
réalisé par l’auteur, une sorte de déclinaison numérique du pauvre des Cahiers
de l’Herne brassant les auteurs internationaux les plus rares – un labyrinthe fou. Tu t’y
perdras, c’est certain, sa richesse est vertigineuse, mais tu pourras y
découvrir le travail stupéfiant du traducteur de poésie et, par exemple, la
poésie cinglante de Sergueï Tchoudakov, un Villon russe contemporain disparu
sans laisser d’adresse, dont le poème qui suit – Comme il nous est facile (1970) -, publié sur Antifixion, offre à ce propos une juste conclusion.
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Sergueï Tchoudakov, dit" Le Villon russe" |
Comme il nous est facile de nous vêtir de haillons
Et d’un frac redressant l’épine dorsale
Comme aisément les bobards on avale
Admis comme moulage d’une vulgaire contrefaçon
Les portes des bordels et celles de la prison
J’ouvre à coups de talons
Comme repérer les traîtres nous est facile
Et comme parfois ils peuvent nous être utiles
Restant coincés à deux nez à nez
Comme des enfants en plein bras de fer
Nous vivons dans un climat qui désespère
La mort de la russe poupée
La carte de bibliothèque les clés de l’appartement
Les préservatifs et la monnaie
Notre univers est étroit étonnamment
En détails il est laid
Ils t’attirent, ils te paient, te collent dos à la
muraille
Plains-toi au Seigneur, priez dans vos bènes et pissez
O mon frère vois en moi vaille que vaille
Le tueur et le cadavre en petites quantités
©Sergueï Tchoudakov, 7 mars 1970
Daniel
Mallerin