Mark, le légendaire rédac-chef d'eXile |
LE DUR MÉTIER DE LA VÉRITÉ
Je n’en
ai jamais fait mystère, je tiens Mark
Ames pour un des meilleurs journalistes américains vivants, en plus d’être
un ami très cher, depuis les années de parano moscovite, quand Limonov était en taule. Combien de
rendez-vous survoltés sur la Place Rouge — un endroit où la foule empêcherait
une écoute d’être efficace — pour définir une attitude commune qui nous
permettrait de ne pas se faire jeter dans un cul-de- basse-fosse sibérien.
Aujourd’hui, on en parle en riant. À l’époque, on osait à peine respirer dans
les locaux d’eXile, qu’on imaginait
truffés de micros.
Ce qui fait de Mark Ames un reporter hors pair, c’est son exigence absolue de
transparence du travail, de sources identifiables, de raisonnements étayés, de
preuves sans conteste de ce qu’on avance, de courage dans l’enquête et enfin
d’honnêteté sur les zones d’ombre qui subsistent presque toujours dans
n’importe quel reportage. C’est une déontologie farouche qu’il tient des grands
ancêtres, de Hunter Tompson à Seymour Hersch, ceux qui donnèrent
leurs lettres de noblesse à ce qu’on appelait « le journalisme à
l’américaine ». Les temps ont bien changé. Le journalisme aujourd’hui
consiste à fixer son écran en attendant les dépêches d’agence, et à concocter
un papier au plus près des intérêts du milliardaire à qui appartient le canard
— ou la chaîne de télé. On appelle « journalistes » des bonimenteurs
patentés qui n’ont jamais vu le terrain. Des deux côtés de l’Atlantique.
Et Dieu sait que cette intransigeance
de Mark Ames a pu me faire râler,
notamment lorsque je menais cette enquête sur la toxicomanie en Ukraine à
l’époque de la Révolution Orange, et qu’il me renvoyait mes papiers de Moscou
pour insuffisance de sources, tandis que je me caillais dans un café Internet
en m’efforçant de maîtriser un PC en cyrillique. Et qu’il fallait repartir dans
les cités dortoir autour de Kiev ou d’Odessa faire les putains de recoupements
— ordre du rédac-chef. Je le maudissais. Mais je l’ai ensuite béni, en
rédigeant Vint, le roman noir des
drogues en Ukraine (Payot 2006), le livre-somme des reportages dans la zone
ukrainienne. Grâce à Ames, mon
bouquin était inattaquable. À cette époque, l’Ukraine n’intéressait pas les
petits maîtres d’un bord et de l’autre, les experts en incompétence qui ont
surgi depuis qu’elle est devenue un enjeu « politique ». Mais sa
rigueur permit à mes amis de la Réduction des Risques de Kiev de décrocher un
financement de cinq ans par la Croix-Rouge française, ce qui vaut tous les
compte-rendu du monde, dans les canards aux ordres. Un ancien ambassadeur de
France en Ukraine me témoigna son admiration dans une lettre élogieuse. Merci Mark Ames. Il m’en avait fait baver,
mais quelle école ! La vérité à tout prix — et argumentée, s’il vous
plait.
Hunter Thompson, le maître Gonzo |
Une dizaine d’années plus tard,
lorsqu’éclatèrent les événements du Maïdan, nous avions tous deux la même
conscience aigüe de toutes les ambiguïtés, les paradoxes que recouvre ce genre
de révolte. La réalité du mouvement populaire de rejet d’un Yanoukovitch, ne pouvait faire aucun
doute. Mes contacts à Kiev me l’assuraient tous les jours, et je fournis à Serge Quadruppani tous les éléments lui
permettant de faire un papier documenté sur le face-à-face entre le pouvoir et
le peuple pour son blog Les Contrées
Magnifiques, où il doit traîner encore dans les archives. D’autre part,
m’assuraient les mêmes contacts, les Ukrainiens n’avaient pas la moindre
illusion sur l’Europe — la suite leur a donné raison —, brandissant l’UE dans
but de virer Yanoukovitch. Celui-ci
avait dépassé toutes les bornes dans le racket et la corruption, dans un pays
où ils font partie de la plus élémentaire vie quotidienne. Suite à son retour
au pouvoir en 2010, Yanoukovitch
était certain d’une impunité éternelle. Il étranglait son peuple, qui tout à
coup n’avait plus rien à perdre.
Mais, dans un monde complexe, où les enjeux de
puissance sont recouverts du masque de la « démocratie », la révolte
du peuple présentait l’occasion ou jamais pour l’Occident d’avancer ses pions,
par l’intermédiaire de ces ONG truffées d’agents spéciaux qui sont devenus son
bras armé, et de certains mouvements politiques irrédentistes. C’est dans la
première page du manuel des services : s’il n’y a pas de mécontentement
populaire, il est inutile d’intervenir. À l’inverse, réduire la révolte —
surtout à l’origine — du Maïdan à une simple manipulation des services secrets
avec l’aide d’ultranationalistes ukrainiens comme le font certains
poutinolâtres, relève d’une « conception policière de l’Histoire »
absurde. Néanmoins, et toujours en
vertu d’une exigence de vérité, ignorer le rôle joué par les services
américains et autres, c’était présenter un tableau biaisé et incomplet. Nous
nous efforçâmes Mark Ames et moi, dans des papiers d’analyse de l’époque
trouvables aux archives de ce blog, de tenir compte de la totalité des facteurs
à l’œuvre. Ames démontra que Yanoukovitch était loin d’être
simplement « l’homme des Russes », en rappelant notamment qu’il avait
bénéficié d’un gros titre du Financial
Times au début des années 2010 : « Le plus grand réformateur
d’Europe ». Dans le même papier (preuve trouvable en tapant sur le lien
renvoyant à l’article en anglais) il donnait les papiers comptables de
l’organisation « Svoboda », où s’étalaient en toutes lettres les
contributions de l ‘USAID et du
milliardaire Oyimar de la Silicon Valley au mouvement dont
devait sortir Yatseniouk. Comme au
beau temps de la Guerre Froide, la CIA et les grosses fortunes unissaient leurs
forces. Ames concluait le même
article en soulignant que les Ukrainiens écrasés par leurs oligarchies
n’avaient d’autre recours que de soulever de temps à autre, soutenir un tyran
contre un autre, passer de Charybde en Sylla, pour recommencer quelques années
plus tard. Ce que prouve largement l’Ukraine présente.
De mon côté, je soulignais l’ignorance crasse
des commentateurs français, et leur soudain intérêt impromptu pour un pays dont
ils soupçonnaient à peine l’existence quelques années auparavant, le confondant
souvent avec la Russie, ce dont j’avais eu des témoignages frappants en 2004,
et ce qui indignait les Ukrainiens qui me disaient : « Nous, on
sait la différence entre la France et l’Italie. ». Fin octobre 2014, un
éditorialiste d’un grand journal de droite parisien, confondait en conclusion de sa
colonne « informée » la date de l’indépendance ukrainienne (1991), et
celle de la Révolution Orange dont j’avais été témoin (2004). De même, ce
« passionné désir d’Europe » des Ukrainiens, très lucides sur la
décadence de l’UE, relevait : 1) d’une propagande éhontée, 2) d’un franc
mépris des Ukrainiens eux-mêmes, qui ont des yeux pour voir, et se souvenaient
de la Grèce. Comme toujours, les militants divers se sont joints aux
« journalistes » pour entretenir sciemment la confusion entre le
mouvement spontané du peuple, et les organisations politiques radicales, entraînées,
financées par les services occidentaux, qui prirent le relais sur le Maïdan.
Enfin, dans « l’État captif » que constitue l’Ukraine, pas un des
ignares qui nous aspergent de leur bla-bla, n’avait entendu parler, semblait-il,
du facteur peut-être le plus important du pays : la pègre et ses manœuvres
en coulisse. On se souvient que l'ex-président Koutchma, présent à Minsk, pour la négociation des accords, payait les parrains de Donetsk quand il était au pouvoir. On sait un peu moins que peu avant les troubles de la fin 2013, les firmes Enron et BP avait renoncé à exploiter les vastes gisements de schiste du Donbass après des sondages du terrain extrêmement prometteurs — trop de monde à payer.
"En avant camarades, vers de nouvelles victoires!" |
Ici, je risquerai une hypothèse — très probable.
Les Russes, qui n’étaient pas la cible première du mouvement populaire contre Yanoukovitch sur lequel ont surfé les
ultranationalistes, ont fait l’erreur d’intervenir eux aussi avec leurs
services spéciaux. Volodyia Mosseïev, mon camarade des Narcotiques Anonymes de Kiev, me racontait comme ces paras
athlétiques en civil étaient tout à coup apparus dans les rues de Kiev, surgis
de nulle part bien avant la Crimée et le Donbass. L’affrontement
russo-américain devait culminer avec le massacre sur la place par des tireurs
d’élite, demeuré depuis lors une énigme, mais que le peuple du Maïdan a assimilé aux
Russes, malgré bien des versions contradictoires — on sait que la commission parlementaire de la "nouvelle" Ukraine de Porochenko, a refermé l'enquête sans jamais parvenir à une conclusion définitive sur l'identité exacte des tueurs du Maïdan. Et cette présence, cette pression,
ont transformé le mouvement anti-Yanoukovitch,
en mouvement antirusse. Une faute dont l’effet boomerang n’a pas tardé à se
faire sentir. Une fois de plus, l’Ukraine était entre le marteau euro-américain
et l’enclume russe.
Aujourd’hui, où la classe dominante
occidentale, abusivement appelée « élite » dans son aveuglante
vulgarité, tremble sur ses bases, on élabore une nouvelle théorie du
complot : tout ce qui déraille en Occident est une machination des Russes.
Trump, le Brexit, Marine Le Pen.
Et cela donne lieu, à une nouvelle chasse aux sorcières, dont Mark Ames relève, dans l’article
ci-dessous l’hallucinante imposture (pour les lecteurs anglophones: la version originale au lien suivant, http://www.alternet.org/media/anonymous-blacklist-promoted-washington-post-has-shocking-roots-ukrainian-fascism-eugenics-and) :
LA LISTE NOIRE ANONYME DONT LE WASHINGTON POST FAIT LA
PROMOTION A DES LIENS VISIBLES AVEC LE FASCISME UKRAINIEN ET LA CIA
Creuser
plus profond dans la controverse PropOrnot.
De Mark Ames
(Traduit
de l’Américain par TM)
Le mois
dernier, le Washington Post a
consacré les gros titres de sa première page à une liste noire anonyme,
comportant des centaines de sites Web américains, de sites complotistes
marginaux à des publications libertariennes et progressistes. Comme l’a écrit Max Blumenthal pour Alternet, ce site anonyme a avancé
qu’ils devaient tous faire l’objet d’une enquête par le gouvernement fédéral,
et éventuellement être poursuivis en tant qu’espions russes, pour avoir
volontairement ou involontairement propagé de la propagande russe.
Ne raconte pas ta vie pas au téléphone! Un bavard est une proie pour les espions! |
Mon
propre magazine satirique (The eXile)
a été bouclé en 2008 par le Kremlin, sous l’accusation
« d’extrémisme » — semblable au terrorisme — ce qui m’a semblé alors
assez sérieux pour faire mes bagages et rentrer en Amérique. Ce qu’a fait le Washington Post en mettant en avant une
liste noire anonyme de journalistes américains accusé de crime de trahison, est
l’un des coups les plus bas, et les plus inquiétants (d’une façon qui rappelle
beaucoup le Kremlin) auxquels j’ai assisté depuis que je suis rentré. Le WP est avant tout une branche de L’État Américain des profondeurs ;
son propriétaire, Jeff Bezos, est l’un des trois Américains les plus riches du
pays, d’une valeur de 67 Milliards de dollars, et sa vache à lait, Amazon, est un des sous-traitants principaux
de la CIA. En d’autres termes, il s’agit quasiment d’une liste noire de journalistes
par le gouvernement des Etats-Unis — un avertissement sinistre avant la
prochaine étape.
Il s’est
écoulé maintenant quelques jours depuis sa publication, et choc et dégoût se
transforment en questions sur la manière de contre-attaquer — et contre qui.
Quelles étaient les sources du WP
pour leur liste noire du journalisme ?
Calomnier une légende du journalisme
La
diffamation du WP est l’œuvre du
reporter technologie Craig Timberg, anciennement journaliste sur les questions
de Sécurité Nationale, qui a fait étalage de sa gênante déférence pour le
dirigeant de la plus grosse entreprise mondiale de surveillance, le
milliardaire Eric Schmidt — contrastant avec son traitement de ses collègues
journalistes. Certains éléments dans l’histoire personnelle de Timberg
suggèrent qu’il pouvait conduire l’une des campagnes de calomnies les plus dégueulasses
de ses collègues depuis des décennies. Le père de Timberg, un journaliste grand
public à succès mort récemment, a écrit des hagiographies sur ses camarades de
l’Académie de la Marine, notamment John McCain, le faucon principal du Sénat,
et trois conjurés du scandale Iran-Contra — Oliver North, John Poindexter, et
Robert McFarlane, dont les crimes sont imputés par Timberg à leur amour de la
patrie, et leurs sacrifices au Vietnam.
La
source-clé du WP était un groupe
Internet anonyme qui se fait appeler PropOrNot
(cad Propagande ou non). C’est là que la liste noire des journalistes suspects
de travailler pour le Kremlin a été publiée. Le Washington Post a cité PropOrNot
comme une source fiable et leur a donné le droit d’émettre des accusations
anonymes de trahison contre des médias de premier plan, en recommandant qu’ils
soient accusés d’espionnage et poursuivis pour trahison.
Parmi
les accusés, on trouvait Thruthdig. Ce site d’actualités et d’opinions a été
fondé conjointement par Zuade Kaufman et le journaliste vétéran Robert Scheer,
professeur à l’université de Californie en Communication et Journalisme, ancien
éditorialiste au LA Times. C’est loin
d’être la première fois que Scheer fait l’objet d’attaques des forces de
l‘ombre. Au milieu des années 1960, Scheer s’est taillé une réputation comme journaliste de Ramparts, le magazine intrépide qui a changé la face du journalisme
américain. Un des reportages les plus retentissants publié par la magazine de
Scheer a porté sur les fonds secrets de la CIA pour la National Student Association, à l’époque une des plus grosses
organisations estudiantines d’Amérique, 400 filiales sur les campus et une
présence internationale. Le travail du magazine a déplu à la CIA, qui a, peu
après, lancé une campagne d’espionnage domestique illégal contre Scheer et Ramparts, convaincue que c’était un
sous-marin communiste. Une équipe secrète d’agents de la CIA — clandestins même
pour le reste de Langley, vu la nature manifestement illégale de l’opération —
a espionné Scheer et ses collègues, a fouillé dans les vies des financiers du
magazine et en a harcelé certains pour qu’ils le laissent tomber. Malgré
tout, ces agents ne purent trouver la
moindre preuve reliant le magazine au Kremlin. Cette enquête secrète de la CIA
était une excroissance de son projet d’espionnage domestique, dont le nom de
code était MH-CHAOS, qui prit des proportions monstrueuses, visant des
centaines de milliers d’Américains, avant d’être révélée par Seymour Hersh à la fin de l’année 1974,
ce qui mena à la création des Audiences du
Church Commitee, et à des appels à
la dissolution de la CIA par le Congrès.
Par une
sombre ironie de l’Histoire, 50 ans plus tard, Scheer est à nouveau accusé de
travailler pour les espions russes, sauf que cette fois, ses accusateurs ont le
soutien de la première page du Washington
Post.
Le salut fasciste ukrainien de PropOrNot
La
question demeure : Qui est derrière PropOrNot ?
De qui s’agit-il ? Nous devrons sans doute attendre les poursuites pour
diffamation qui seront sans doute lancées par les gens calomniés par le Post, et PropOrNot. Ceux-ci se décrivent de la même façon qu’un certain
nombre de groupes fantoches que les journalistes et chercheurs ont l’habitude
de croiser :
« PropOrNot est une équipe indépendante
de citoyens américains concernés aux origines et aux domaines d’expertise
variés, y compris possédant une expérience professionnelle dans
l’informatique , les statistiques, la politique, et la sécurité
nationale ».
Les
seuls indices spécifiques sont d’admettre qu’un de leurs membres au moins,
ayant accès à leur Twitter est « ukrainien-américain ». Des twits
anciens en ukrainien, singeant les slogans ultra-nationalistes, ont révélé tout
ça, avant que le groupe ne se fasse connaître.
L’un des
twits PropOrNot, daté du I7 novembre, invoque un salut fasciste
ukrainien « Gloire aux héros » pour saluer des hackers ukrainiens
luttant contre les Russes. Cette formule vient de l’organisation OUN
(Organisation des Nationalistes Ukrainiens) au cours du congrès de mars-avril
1941, à Cracovie occupée par les nazis, lorsqu’ils se préparaient à servir
d’auxiliaires à ceux-ci pour l’opération Barbarossa.
Comme l’expliquait l’historien Grzgorz Rossoliinski-Liebe, auteur de la
biographie finale du dirigeant fasciste et collaborateur nazi Stepan
Bandera :
« L’OUN-B
a introduit un nouveau salut fasciste au Second Congrès des nationalistes
ukrainiens a Cracovie en mars et avril 1941. Il s’agissait du salut fasciste le
plus populaire et il devait être fait selon les directives des dirigeants de
l’OUN-B en levant le bras légèrement vers la droite au-dessus de la tête en
criant ‘Gloire à l’Ukraine’ qui appelait la réponse ’Gloire aux
héros ‘. »
Deux
mois après la mise au point de ce salut fasciste, les forces nazies ont permis
aux fascistes de Bandera de prendre le contrôle temporaire de Lvov, à l’époque
une ville majoritairement juive et polonaise — où les « patriotes »
ukrainiens devaient assassiner, torturer et violer des milliers de Juifs, au
cours de l’un des pogroms les plus barbares et les plus sanglants qu’on ait
jamais vu.
Depuis
que la révolution du Maïdan de 2014 a ramené les néo-fascistes ukrainiens aux
plus hauts échelons du pouvoir, les collaborateurs nazis de l’Ukraine ont été
réhabilités comme des « héros », on a baptisé de grandes routes avec
leurs noms, et ils ont été l’objet de commémorations publiques. Le porte-parole
du parlement d’Ukraine, Andryi Parubyi, a fondé le parti néo-nazi « Parti
Social-National d’Ukraine » et publié un manifeste suprématiste blanc
« Vu de droite » qui le représentait en uniforme néo-nazi devant des
drapeaux fascistes où figurait le symbole Wolfsangel.
Le puissant Ministre de l’Intérieur ukrainien Arsen Azakov, soutient plusieurs
milices ultranationalistes et néo-nazies telles que le bataillon Azov, et le mois dernier, il a apporté
son concours à la nomination d’un autre néo-nazi, Vadim Troyan, comme chef de
la police nationale d’Ukraine. (Plus tôt dans l’année, alors que Troyan n’était
encore que chef de la police de Kiev, il a été accusé par beaucoup de gens
d’avoir ordonné une surveillance illégale du journaliste d’investigation Pavel
Chemeret juste avant que celui-ci ne soit assassiné avec une bombe dans sa
voiture).
Une liste noire des services secrets
ukrainiens, modèle de PropOrNot.
Depuis
que la révolution du Maïdan l’a porté au pouvoir, le régime ukrainien soutenu
par les Etats-Unis a mené une guerre de plus en plus surréaliste contre les
journalistes en désaccord avec la ligne ukrainienne ultranationaliste, et
contre les traîtres pro-kremlin, réels ou imaginaires. Depuis deux ans,
l’Ukraine a établi un « Ministère de la Vérité ». Cette année, cette
guerre s’est transformée : d’une paranoïa surréelle, on est passé à une
terreur de plus en plus mortelle.
L’une
des politiques les plus effrayantes mises en place par le régime
nationaliste-oligarchique de Kiev est une liste noire en-ligne de journalistes
accusés de collaborer avec les « terroristes pro-russes ». Le site
web Myrotvorets ou « Gardien de
la paix » a été organisé par des hackers ukrainiens en collaboration avec
les services secrets et la police, qui ont tendance à partager l’idéologie
ultranationaliste de Parubyi et du chef de le police néo-nazi récemment nommé.
Condamné
par le Comité de protection des
Journalistes et de nombreuses organisations du même type en Occident, cette
liste noire en-ligne comprend les noms et des renseignements personnels sur
quelque 4500 journalistes, notamment plusieurs journalistes occidentaux et des
Ukrainiens travaillant pour des médias de l’Ouest . Ce site est conçu pour
faire peur et faire taire les journalistes les empêcher de rapporter quoi que ce
soit qui sorte de la ligne pro-nationaliste, et il jouit du soutien des
officiels du gouvernement, des agents secrets et de la police — y compris le
SBU (successeur ukrainien du KGB), du puissant Ministre de l’Intérieur Avakov
et de son adjoint d’extrême-droite, Anton Geraschenko.
Le site
web d’Ukraine de liste noire des journalistes — animé par des hackers
ukrainiens en coopération avec les services secrets de l’État — a conduit à des
menaces de mort contre les journalistes visés, dont les adresses –email, les
numéros de téléphones et autres renseignements confidentiels ont été
anonymement diffusés sur le site.
(…)
L’Ukrainien chercheur du Comité National
Démocrate américain, crie à la trahison
Comme la
liste noire PropOrNot de
journalistes américains « traîtres » est anonyme, et que l’article en
première page du Washington Post
protège leur anonymat, nous ne pouvons que nous perdre en conjectures avec le
peu d’information qui nous est fourni. Et cette information ne révèle qu’un fil
de pensée ukrainien ultranationaliste — le salut, la paranoîa d’une violence
obsessionnelle envers la Russie et les journalistes, qui, aux yeux des
nationalistes ukrainiens ont toujours été des marionnettes et des dupes, voire
des collaborateurs déclarés du diable russe.
L’une
des sources média principales qui a
imputé le hacking du Comité National
Démocrate à la Russie, alimentant les craintes d’une infiltration
crypto-poutinienne, se trouve être une lobbyiste ukraino-américaine travaillant
pour le Comité Démocrate. Il s’agit d’Alexandra
Chalupa, apparemment dirigeante du groupe de recherche Démocrate sur la
Russie et sur Trump, fondatrice et présidente du lobby ukrainien « US united with Ukraine Coalition »,
qui a fait pression pour un décret de 2014, augmentant les prêts et l’aide
militaire à l’Ukraine, imposant les sanctions contre la Russie, dans le but de
resserrer étroitement les intérêts géostratégiques des Etats-Unis et de
l’Ukraine.
En
octobre de cette année, Yahoo News, a nommé Chalupa, l’une des 16 personnes qui ont donné le ton à l’élection 2016,
pour son rôle dans l’attribution des
fuites du Comité National Démocrate aux hackers russes, et pour avoir prétendu
que la campagne Trump se déroulait
sous l’égide du Kremlin. « En tant que consultante du Parti Démocrate et
ukraino-américaine fière de son héritage Alexandra Chalupa s’est offusquée de
voir, au printemps dernier, que Donald Trump nommait Paul Manafort gérant de sa
campagne, commençait Yahoo. À ses yeux, Manafort était un personnage-clé dans
l’ordre du jour (et non agenda, bande
d’esclaves linguistiques de l’Amérique, laquais du Grand frère,
bordilles !!… ndt) du président Vladimir Poutine sur la terre de ses
ancêtres, et elle était résolue à faire toute la lumière ».
Chalupa
travaillait avec le reporter vétéran Michael Isikoff de Yahoo News pour faire
la publicité de ses recherches contre Trump, la Russie et Paul Manafort. Dans
un des e-mails rendus publics par Wikileaks l’année dernière, Chalupa se
vantait auprès du directeur de la communication d’avoir emmené Isikoff à un
événement sponsorisé par le gouvernement des Etats-Unis, où étaient invités 68
journalistes ukrainiens et où Chalupa était censée « parler spécifiquement
de Paul Manafort ». Isikoff devait la désigner comme une des sources
décisives « prouvant » que les Russes étaient derrière le hacking, et que la campagne de Trump
était contrôlée par les espions et les sorciers du Kremlin.
(En
2008, quand j’ai cassé le morceau au sujet des liens de Manafort avec le Kremlin dans le
journal The Nation avec Ari Berman,
je ne me suis pas aventuré à l’accuser lui ou John McCain, dont la campagne
était gérée par l’associé de Manafort, d’être des candidats mandchous — d’après
le film de Frankenheimer, où l’on programme un vétéran de la guerre de Corée
d’assassiner le président des Etats-Unis sous l’égide du KGB — hypnotisés par
Vladimir Poutine. Parce que ce n’était pas le cas ; il ne s’agissait que
de politiciens de bas étage, corrompus et hypocrites, assujettis à l’argent et
au pouvoir plutôt qu’aux principes. Une frénésie médiatique morbide a
transformé Manafort — une ordure mesquine — en une taupe du Kremlin,
l’obligeant à démissionner de la campagne Trump, en partie grâce aux fuites
compromettantes orchestrées par le SBU, successeur ukrainien du KGB).
Entretemps,
le Tweetter de Chalupa se déchaînait, accusant Trump de haute trahison, un crime
passible de la peine de mort. Dans plus de 100 tweets Le Traître Trump, Chalupa demandait à des officiels puissants haut
placés dans l’État d’enquêter sur Trump pour le crime de haute trahison. Dans
les semaines qui ont suivi l’élection, Chalupa a accusé, et la campagne de
Trump et la Russie d’avoir truqué les élections, exigeant une enquête. D’après The Guardian, Chalupa a récemment envoyé
au Congrès un rapport démontrant que que la Russie a « hacké » les
résultats des élections américaines, espérant provoquer une investigation du
Congrès. Dans une interview avec Gothamist,
Chalupa a décrit l’interférence supposée de la Russie dans les élections comme
« un acte de guerre ».
Pour
être tout à fait clair, je ne prétends pas que Chalupa est derrière PropOrNot. Mais il est important de contextualiser les vantardises
de PropOrNot au sujet de leurs liens
avec les Ukrainiens nationalistes — dans le paysage plus vaste de la campagne
Clinton et de son hystérie anti Kremlin, qui a débordé à répétition dans la
xénophobie Guerre Froide, une haine anti russe partagée par les alliés
nationalistes ukrainiens de Clinton. Pour moi, il s’agit d’un effet pervers
tout à fait classique : un groupe ultra-nationaliste dont l’extrémisme se
trouve être utile aux ambitions géopolitiques américaines qu’on nourrit pour
causer des ennuis à la concurrence. Les Etats-Unis ont pris sous tutelle les
nationalistes ukrainiens pour une guerre par procuration depuis des décennies,
depuis la Guerre Froide.
Comme
l’a exposé le journaliste Russ Bellant dans son ouvrage devenu un
classique : « Vieux Nazis, Nouvelle Droite », les collabos
ukrainiens ont été ramenés aux Etats-Unis et utilisés contre la Russie, durant
la Guerre Froide, quel qu’ait été leur rôle dans l’Holocauste et le massacre
des Polonais ethniques vivant en Ukraine. Après avoir passé tant d’années à
encourager le nationalisme extrémiste ukrainien, il n’est certes pas surprenant
que cette politique occasionne un retour de flamme.
L’autre source du Washington Post : Un laboratoire d’idées louftingue eugéniste
et d’extrême-droite
En
dehors de PropOrNot, Craig Timberg
du WP ne disposait qu’une seule autre
source pour démontrer l’influence de la propagande russe :The Foreign Policy Research Institute ou
FPRI.
Dans
l’émotion soulevée par la liste du WP,
le FPRI a réussi à passer sous les périscopes. Tant et si bien que lorsque
Matthew Ingram du magazine Fortune a
décrit le FPRI comme « des partisans de la Guerre Froide » on l’a
obligé à clarifier sa formulation, et
changer sa description en « Un laboratoire d’idées connu pour ses
positions faucon en matière de
relations américano-russes ».
En fait
le FPRI est l’un des laboratoires d’idées les plus cinglés (et les plus
secrets) d’extrême-droite depuis la Guerre Froide, promouvant une guerre
nucléaire « gagnable », une confrontation maximum avec la Russie, et
s’en prenant à l’anticolonialisme, comme une option dangereuse. L’un des
cerveaux-clés du FPRI et de ses idées est l’ancien haut fonctionnaire fasciste
autrichien, qui après son émigration aux Etats-Unis, est devenu l’un des
avocats les plus fervents de l’eugénisme racial et de la suprématie blanche.
Le FPRI
fut fondé par Robert Strauzs-Hupe et installé sur le campus de l’université de
Pennsylvanie, avec le soutien de l’entreprise chimique Vick’s, finançant de nombreuses causes réactionnaires depuis le New Deal. Et comme devait le révéler le New York Times, le FPRI fut également
secrètement financé par la CIA. Ces révélations devaient mener à des
manifestations d’étudiants qui chassèrent le FPRI du campus en 1970.
Le
fondateur du FPRI, Strauzs-Hupe, avait émigré aux Etats-Unis, venu d’Autriche
dans les années 1920. Au début de la Guerre Froide, il se fit l’avocat d’une
confrontation ouverte avec l’Union Soviétique, ouvertement partisan d’une
guerre nucléaire totale, plutôt que d’une reddition ou d’une cohabitation. En
1961, il écrivit un petit traité avec son plus fréquent collaborateur, l’ancien
fonctionnaire fasciste Stephan Possony, partisan de l’eugénisme racial, où l’on
pouvait lire :
« Même
si les Etats-Unis étaient défaits, parce que, par exemple, l’Europe, l’Asie et
l’Afrique avaient succombé aux communistes, une attaque nucléaire par surprise
contre l’URSS vengerait ce désastre et priverait l’adversaire de son triomphe
final. Si ce retournement de situation aurait presque certainement pour
résultat de lourdes pertes américaines, il pourrait néanmoins réduire à rien
les précédentes conquêtes soviétiques ».
(…)
Quelques
années plus tard, Strauzs-Hupe du FPRI publia une attaque psychotique contre le
film de Kubrick Le Docteur Folamour,
l’appelant « l’assaut le plus violent contre l’armée américaine, lancé par nos mass-média ». Le fondateur du FPRI alla plus loin, accusant
Kubrick d’être, sinon un agent d’influence russe, du moins dupe des soviets,
sapant la démocratie américaine — le même genre d’accusations lancées
aujourd’hui par le FPRI.
(…)
En
lisant ça, et en sachant que l’URSS s’est effondrée sans un coup de feu — à
voir les mêmes mensonges paranoïaques et mesquins vendus aujourd‘hui à nouveau
à tour de bras, on reste hébété devant la stagnation de notre culture
intellectuelle. Nous ne nous sommes jamais guéris de nos pathologies Guerre
Froide : nous sommes toujours engoncés dans les mêmes structures mentales.
Trop de carrières et de salaires en dépendent…
(…)
Aujourd’hui
encore, le FPRI rend fièrement honneur à son fondateur Strauzs-Hupe, et à son
héritage avec des listes noires de journalistes soi-disant traître au pays, avec
des allégations frauduleuses sur une toute-puissante propagande russe menaçant
nos libertés.
Voici le
monde que le Washington Post
ressuscite sur ses premières pages. Et le minutage est incroyable — comme si la
feuille de chou de Bezos avait décidé de travailler au corps les médias
américains avant que Trump passe à l’attaque. Et tout ça est fait au nom de la
lutte contre les « fausses nouvelles »… et le fascisme.
Mark Ames, 7 décembre 2016.