Il est très frappant de constater que lorsqu'Essenine écrit les vers qui suivent, il n'a que seize ou dix-sept ans, il est en proie à une écrasante mélancolie. Adolescence ?… Le thème sera récurrent tout au long de sa courte vie. En 1925, peu avant sa mort suspecte, à peine âgé de trente ans, il se lamente déjà sur son vieillissement précoce, certainement accéléré par débauche, cocaïne et vodka: "Cette tristesse impossible à dissiper, Dans le rire sonore de la jeunesse, Mon blanc tilleul s'est finalement fané, De l'aube du rossignol, les échos disparaissent". Prédestination du maudit ? Self-fullfilling prophecy ? Ou prescience d'un corps qui se sait condamné? Dans les vers qui suivent, alors qu'il vient d'arriver à Moscou, il est encore trop tôt pour craindre la Tchéka…
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Derrière les brumeux lointains on ne voit pas,
Ce qu’il y adviendra de moi,
Qu’y a-t-il là-bas… le bonheur, ou le souffle de la tristesse,
Ou le repos sur une poitrine modeste.
Ou bien ces brouillards grisonnants
M’assombriront à nouveau ,
De douloureuses blessures à mon cœur portant
Encore se consumer sans feu, de nouveau.
Mais à travers le couchant dans les brouillards lointains
S’enflamme une aurore, je le vois —
C’est la mort, pour la triste terre, la fin
C’est la mort, mais le repos pour moi.
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Funérailles d'Édouard Limonov, mars 2020 |
Не видать за туманною далью,
Что там будет со мной впереди,
Что там… счастье, иль веет печалью,
Или отдых для бедной груди.
Или эти седые туманы
Снова будут печалить меня,
Наносить сердцу скорбные раны
И опять снова жечь без огня.
Но сквозь сумрак в туманной дали́
Загорается, вижу, заря;
Это смерть для печальной земли,
Это смерть, но покой для меня.
‹1911—1912›
La tempête de neige du 26 avril 1912
Que te faut-il, tempête,
Tu hurles à la fenêtre.
Un cœur malade, tu inquiètes,
Tristesse et mélancolie tu soulèves dans mon être.
Le plus vite possible, va-t-en,
Permets-moi de m’oublier un peu,
Ou bien mes pleurs — tu n’entends,
Je me repens de mes péchés devant Dieu.
Permets par une prière surchauffée
À mon âme et ma force de confluer.
Tout mon esprit j’ai gaspillé,
Bientôt dans la tombe, j’irai me cacher.
Alors sur moi, il te faudra chanter,
Mais pour l’instant, va t’éloigner,
Ou pour une âme chargée de péchés
Avec moi tu devras prier.
SERGUEÏ ESSENINE
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Вьюга на 26 апреля 1912
Что тебе надобно, вьюга?
Ты у окна завываешь,
Сердце больное тревожишь,
Грусть и печаль вызываешь.
Прочь уходи поскорее,
Дай мне забыться немного,
Или не слышишь — я плачу,
Каюсь в грехах перед Богом?
Дай мне с горячей молитвой
Слиться душою и силой.
Весь я истратился духом,
Скоро сокроюсь могилой.
Пой ты тогда надо мною,
Только сейчас удалися
Или за грешную душу
Вместе со мной помолися.
1912 г.