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Romancier en escale à Itinéraires… |
ROMANS — DES ÉTENDUES DE LA C.E.I.
De Daria KRAŸOUCHKINE
Entre l’Est et l’Ouest, Sébastopol, Minsk,
Vilnius et Paris — tel est l’univers des personnages du nouveau roman de
l’auteur français Thierry Marignac, Milieu hostile. Dans ce livre, le fil de
l’amitié et de l’amour est tissé sur un canevas policier habilement brodé sur
le tissu de la culture d’Europe de l’Est. Original et inhabituel pour les
Français, assez éloignés de la vie en Ukraine, Russie, Biélorussie et Lituanie.
Original et inhabituel pour les Russes, Ukrainiens, Biélorusses parce qu’il
s’agit de notre monde vu par d’autres yeux, directement, comme à travers une vitre
immaculée, un regard sur les dernières années de la vie chez nous, dans nos
pays. Monsieur Marignac a parlé de son livre un peu plus en détail à L’Observateur
russe à l’occasion de la signature organisée le 26-11-2011 à la librairie parisienne
« Itinéraires » spécialisée dans le voyage, 60 rue St-Honoré.
Q : C’est votre quatrième roman sur l’Europe de l’Est. S’agit-il d’un cycle
ou bien chaque roman est indépendant des autres ?
En
réalité, ces romans peuvent se lire séparément, mais il s’agit effectivement
d’un cycle en ce qui concerne la langue et la culture. Parce que j’apprends la
culture grâce à la langue et inversement, la langue grâce à la culture. Ma
rencontre avec les langues et cultures russes a été très fructueuse, elle a ouvert un espace à l’imagination, fourni les inspirations romanesques.
Q : On a l’impression constante, que
« Milieu hostile » — ce n’est pas simplement un roman policier
« noir », genre qu’on considère souvent comme une littérature de
masse. Alors finalement, c’est un roman noir, ou pas ?
R :
Noir ou pas noir, je ne m’intéresse pas à ces catégories. Il existe des
critères particuliers habituellement dévolus au polar, mais les miens n’y
correspondent absolument pas. L’intrigue « criminelle », disons, existe
pour moi parce qu’elle permet à mon imagination de fonctionner. C’est à dire que
je ne peux enfin décrire, par exemple, amitié et amour, aucun fil narratif ne
surgit dans mon esprit, si je ne place pas les personnages dans un contexte
socio-historique précis. Quand je l’ai trouvé, l’imagination travaille, je peux
écrire.
Q : Qu’est-ce qui compte le plus à
vous yeux, l’intrigue criminelle ou l’intrigue affective ?
R :
L’intrigue criminelle est nettement plus importante pour moi, c’est certain.
C’est ce que je tentais de vous dire : l’intrigue affective n’a de sens
que dans son contexte géopolitique et événementiel. Je ne pourrais pas
concevoir une histoire d’amour abstraite, qui constituerait une intrigue de
roman à elle seule. Je ne saurais pas le faire.
Q : Dans votre roman, l’Europe de
l’Est, c’est un univers hérité du passé soviétique, ou bien un univers tourné
vers l’Occident ?
R :
Il s’agit plutôt d’un univers hérité du passé soviet, avec tous les problèmes
qui en découlent par rapport à l’Occident. Nous comprenons mal cet héritage,
il est tout à fait éloigné de nos habitudes et nous avons beaucoup de
représentations fausses à son sujet. De l'autre côté, les projections locales
sur l’Occident sont également très tordues. Je raconte à ma façon cet
éloignement entre les deux côtés de l’Europe, sans que ce soit un but défini,
un message. Ce n’est pour moi qu’une occasion de création littéraire.
Q : L’Europe de l’Est est-elle pour
vous un monde exotique ou au contraire un monde bien trop réel ?
R : C’est
pour moi un monde très réel, parce que j’y ai passé pas mal de temps.
L’exotisme de ce monde tient pour moi à sa proximité. Ce qui me plaît tant, qui
me séduit, c’est une certaine simplicité, que j’appelle simplicité de l’action.
Dans cette simplicité, je retrouve ce que j’aimais dans les cultures françaises
et européennes. Tout cela a disparu avec l’irruption forcenée et unilatérale, tyrannique, de la culture américaine,
les téléphones portables, etc. Et ce que je ne trouvais plus dans ma propre
culture, je le retrouvais en Russie et en Ukraine.
Q : Il y a des épisodes mémorables
dans ce roman, notamment avec une vendeuse de boucherie sur un marché de
Sébastopol, où elle appelle le héros « Lapereau » et veut
l’engraisser, ou une scène avec un fruits et légumes caucasien qui lui propose
d’acheter littéralement toute sa marchandise.
S’agit-il là d’un désir de refléter l’Ukraine authentique, ou bien c’est
juste du grotesque ?
R :
J’ai vécu et traversé ces incidents ; je n’avais pas besoin d’inventer,
puisque tout était sous mes yeux. Pur « Fantastique Social » comme
disait l’écrivain français Mac Orlan. Un Géorgien sur un marché a un jour
essayé de me vendre toute sa camelote. Ce qui était loin d’être tragique. Je ne
me suis pas laissé faire. Mais il m’avait quand même refilé deux pêches
pourries.
Q : Quels traits de caractère, sont-ils
susceptibles d’apparaître chez un Français vivant un certain temps en espace
post-soviet ? Quelles seront ses métamorphoses ?
La
personnalité change toujours quand on vit dans une autre langue. C’est très
drôle, mais on ne peut être exactement la même personne dans une autre
langue. Je change aux USA, je change en
Russie et en Ukraine.
Q : Dessaignes, le personnage principal de
« Milieu hostile » est-il un héros ou un anti-héros ?
R :
Difficile de répondre à cette question. En dehors de ça, il existe un autre personnage
capital dans ce livre, Loutrel, qui a
pris petit à petit presque autant d’importance que celui conçu au départ comme
le héros du roman. C’est arrivé spontanément, parce que ce second rôle me plaisait
décidément, imaginé à partir d’un modèle défini que j’aimais bien. Qui plus
est, j’emploie souvent ce procédé : j’ai déjà fait des romans avec
plusieurs personnages en concurrence pour le premier plan du livre.
Q : Dessaignes et Loutrel sont-ils des
personnages antagonistes ou bien partagent-ils beaucoup de choses ?
R :
Simultanément l’un et l’autre. Ils ont un certain passé en commun, mais aussi,
ils ressentent tous deux la nécessité intérieure d’échapper à leur milieu d'origine. Mentalement et psychologiquement.
Q : Pour parler des images de femmes,
Elmira la Tatare est belle et pleine de charme, tout en étant très pragmatique
dans son désir de quitter Vilnius pour s’installer à Paris. Incarne-t-elle des
traits typiques chez les femmes d’Europe de l’Est ?
R :
Oui, j’ai souvent vu ce genre de pragmatisme. Mais au fond c’est un mélange de
rêverie et de pragmatisme, propre à rendre fou les Occidentaux. Sur le plan
littéraire c’est un caractère très productif. Elmira est à mes yeux un
personnage réaliste, mais beaucoup moins négatif qu’on ne pourrait le penser.
Q : Votre livre a-t-il une morale ?
R :
Non.
Q : Qu’est-ce qu’il donne à ses
lecteurs, alors ?
R :
J’espère qu’il donne le plaisir de la lecture d’un polar, le plaisir de rêver
et d’entrevoir un monde souvent étranger au lecteur. Certains de mes amis
ukrainiens ne connaissent pas l’Ukraine que je décris. Je crois qu’il y a pour
les Français quelque chose d’inhabituel géographiquement, et pour tous, quelque
chose d’inhabituel sur le plan social. Je ne me suis pas fixé pour but de faire
une déclaration morale, sociale ou politique, faire la morale, c’est pas mon
boulot. Je pense au contraire que le travail du romancier est de distraire les
lecteurs, de les inciter à la réflexion et à la rêverie, et pas du tout de leur
délivrer un message défini à l’avance. Les aspects esthétiques et sensuels de la création
m’occupent beaucoup plus, et ce sont ces énergies que je tente de communiquer
au lecteur.
Daria Krayouchkine