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2006, l'époque où l'Ukraine n'intéressait personne… |
(2e partie de l'article de Peter Korotaev, traduit de l'anglais par Thierry Marignac)
2010-2019 :
Révolution et réforme
Timoshenko a traversé beaucoup de choses
durant sa vie tumultueuse. Mais cette fois, Portnov frappa le premier. Pour
beaucoup, ce fut la première grande trahison de Portnov.
Lorsqu’elle perdit les élections face à Yanoukovitch en
2010, Portnov lui servit d’avocat à la Cour Suprême. Timoshenko cherchait à
prouver que les élections avaient été truquées. Elle n’eut pas gains de cause
et Portnov ainsi que son groupe parlementaire démissionnèrent bientôt de la
fraction BYU. En avril 2010, il accepta l’offre de Yanoukovitch de devenir le
président-adjoint de l’administration présidentielle et le chef du directorat
principal pour la réforme judiciaire.
BYUT le dénonça comme un traître. Pour sa part, Portnov
déclara qu’il avait toujours eu des divergences avec Timoshenko et sa tentative
de disputer le résultat des élections avait fait déborder le vase.
Quoi qu’il en soit, Portnov grimpa très haut dans la
nouvelle administration Yanoukovitch. On lui confia des postes importants dans
le contrôle du système bancaire. Il devint conseiller du président et chef du
directorat principal des affaires juridiques de l’administration
présidentielle.
Son poste de dirigeant de la réforme du code de procédure
criminel de 2011-12 se révéla essentiel. Ce code reste en vigueur aujourd’hui. De nombreux postes de premier plan dans la magistrature furent attribués sous
la direction de Portnov. Les journalistes pro-occidentaux avancent que grâce à
ça, Portnov a maintenu son emprise sur les décisions juridiques dans le pays
jusqu’à sa mort. Dans des interviews, Portnov ne niait pas que ces postes
avaient été attribués sous son règne, mais prétendait que beaucoup de ces
magistrats étaient à présent en mauvais termes avec lui.
Le plus ironique, peut-être, est que la magistrature Portnov
devait expédier Timoshenko sous les verrous en 2011, pour les marchés sur le
gaz que Portnov avait aidé à conclure. Une fois qu’elle fut emprisonnée,
l’Occident ne cessa de réclamer la libération de ce « prisonnier
politique » à Yanoukovitch. Elle annonça rapidement qu’elle était devenue
infirme en prison, beine qu’elle se débarrasse assez vite de sa chaise roulante
lorsque le nouveau gouvernement euromaïdan la libéra en 2014.
Les ennemis pro-occidentaux de Portnov ne se lassent pas de
se référer à la période de l’euromaïdan. Au point culminant des évènements,
Portnov était l’un des dirigeants de
l’équipe de négociations de Yanoukovitch avec l’opposition.
Plus grave, les critiques avancent
que Portnov a joué un rôle majeur dans la rédaction des nouvelles lois
« dictatoriales » sur les manifestations et la liberté d’expression
politique le 16 janvier 2014 passées en force au parlement par Yanoukovitch.
Portnov n’a pas confirmé ça, mais a déclaré que ses lois étaient une bonne idée
et n’a jamais caché son extrême dédain des « révolutionnaires ».
Pour sa part, Oleg Tsarev (un autre parlementaire du parti
de Yanoukovitch, qui vit à présent en Russie) prétend que Portnov était du côté
des membres de l’élite Yanoukovitch qui soutenaient une répression plus sévère
du campement du Maïdan. Malheureusement, selon Tsarev, ceux-ci ne
représentaient qu’une petite minorité. J’ai écrit dans ces pages la trahison
des sphères supérieures du Parti des Région s de Yanoukovitch dès qu’il était
devenu clair que pour défaire l’euromaïdan, il faudrait recourir à la violence
et accepter les foudres de l’Occident.
Contrairement à Portnov ou d’autres qu’on décrit comme
« pro-russe » Tsarev correspond parfaitement à cette étiquette.
Portnov s’enfuit en Russie le 22 février, le jour où le
président quittait la capitale. Le 28 février le procureur général ordonnait
son arrestation dans les dix jours.
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2025, l'autre face du miroir. |
Le nouveau président d’Ukraine, Petro Poroshenko, allait
devenir le plus grand ennemi de Portnov. Ils avaient déjà un contentieux —
Portnov avait été avocat de l’accusation dans un procès mettant en cause
Poroshenko pour corruption en 2005. Ironie de l’Histoire, à cette époque,
Poroshenko était membre du Parti des Régions de Yanoukovicth.
Un certain nombre des gens les plus volontaires du Parti des
Régions avaient déjà été tués par les nationalistes et l’alternative semblait
être de rejoindre les protestations chaotiques anti-maïdan dans le Donbass. Si
certains membres de l’élite pro-Yanoukovitch avait parié sur la seconde
possibilité, je ne peux imaginer que le froid et formaliste Portnov ait jamais
éprouvé autre chose que du dégoût pour les rebelles incontrôlés de l’est.
Selon Tsarev, Portnov ne trouva pas sa place en Russie. Il
ne put obtenir la citoyenneté russe et avait des ennuis avec les services
d’immigration. « Comme si c’était un ouvrier tadjik » dit Tsarev.
Ayant quitté la Russie quelque temps plus tard, Portnov alla
à Vienne. L’Autriche est un refuge pour les forces d’opposition ukrainiennes.
En dehors de Portnov, la ville abrite Igor Guhva journaliste de Strana.ua, et
l’homme d’affaires de l’ère Yanoukovitch Dmitry Firtash, et propriétaire de la
chaîne de télévision « Inter ». Strana réalisa plusieurs interviews
positives de Portnov et les deux hommes étaient bons amis, comme les médias
occidentaux le rapportèrent avec colère.
Il était aussi très proche d’Alexandre Dubinski, journaliste
sur la chaîne de Kolomoïski 1+1. C’était un critique virulent du régime
Poroshenko, il faisait par conséquent l’éloge de Portnov en tant qu’allié de
l’opposition.
Comme on le sait, bien que Dunbinski se soit rallié au
nouveau parti au pouvoir de Zelenski, il serait arrêté et emprisonné en 2023
pour son rôle dans les fuites sur le scandale Burisma Biden (il n’est pas
inenvisageable que Portnov lui ait donné un coup de main). Quoique ces fuites
aient été approuvées par Zelenski comme une action pro-Trump et
anti-Poroshenko, l’arrivée au pouvoir de Biden avait changé la donne.
Pendant le règne de Poroshenko, 2014-2019, Portnov se
consacra en priorité à ses affaires d’homme de loi. Mais il n’était pas du
genre à tendre l’autre joue. En 2018 des messages « fuités » auraient
montré Portnov en train de discuter avec ses confrères au gouvernement russe la
meilleure manière d’intégrer la Crimée à la Russie. Il fut accusé de trahison
par le gouvernement ukrainien, un chef d’accusation qu’il réussit naturellement
à battre.
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Poroshenko à son heure de gloire. |
En dehors des médias et de ses clients encore en Ukraine,
l’exil de Portnov se passa à se défendre d’une série d’accusations dans des
tribunaux ukrainiens et occidentaux. En général, il gagnait.
(…)
2019-2022 : La
revanche ambigüe
Portnov s’adonnait toujours à son passe-temps favori gagner
des affaires dans les tribunaux ukrainiens. Les journalistes qu’il humiliait au
tribunal prétendait qu’il le faisait juste parce qu’il pouvait le faire, juste
pour humilier ceux qui défendaient l’euromaïdan.
Dans la vidéo se félicitant de l’assassinat de Portnov,
Bihus, financé par les États-Unis, avance ceci : La joie que suscite sa
mort n’est pas seulement parce que c’est un nouvel ennemi abattu. Ce n’est pas
le premier, et j’espère, pas le dernier. Les gens se réjouissent parce que ce
n’est que justice.
(…)
Le 20-05-2019 Zelenski devint le nouveau président
d’Ukraine. Portnov était revenu dans le pays la veille, après des années
d’exil.
Pendant la campagne ? Portnov avait soutenu
publiquement Zelenski, comme moindre mal par rapport à son ennemi Poroshenko.
Portnov avait aussi accusé Moscou de désirer la victoire de Poroshenko, un
exemple de la manière dont Portnov défendait l’indépendance de l’Ukraine tant à
l’est qu’à l’ouest.
Les représentants du parti de Zelenski et Igor Kolomoïski
lui-même — l’oligarque qui avait soutenu Zelenski à cause de ses nombreux
conflits d’affaires avec Poroshenko — nièrent la participation de Portnov au
nouveau gouvernement. Cependant, la réalité était plus compliquée.
Tout d’abord, Portnov entretenait de bonnes relations avec
Andreï Bogdan le premier directeur de cabinet de Zelenski. C’est apparemment la
bienveillance de Bogdan qui avait permis à Portnov de rentrer au pays. Après
avoir travaillé pour le régime Yanoukovitch, Bogdan travaillait étroitement
avec Kolomoïski.
Pour sa part, Portnov avait de bonnes relations avec ce
célèbre poids lourd de l’oligarchie. Dans une interview en 2019, Kolomoïski
assura que Portnov était toujours un de ses plus proches associés.
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L'oligarque tout-puissant Kolomoïski |
(…)
En bref, Portnov était un élément crucial dans la guerre
contre le clan Poroshenko. Celui-ci, qui avait excessivement centralisé le
pouvoir entre ses mains durant sa présidence, avait été pris de court par le
projet Zelenski de Kolomoïski en 2019. Zelenski était parvenu au pouvoir grâce
à la promesse de traîner Poroshenko et ses sbires devant la justice.
Et Portnov se consacra à cette tâche avec l’énergie qui le
caractérisait. Le 20 mai, le lendemain de son arrivée en Ukraine il devait
faire une première déposition au Bureau des enquêtes d’État (SBI) contre
Poroshenko. Une seconde et une troisième les 23 et 24 mai. Il en serait ainsi
de nombreuses fois encore et Portnov promit d’expédier Poroshenko sous les
verrous. L’ex-président était constamment soumis à des interrogatoires
humiliants au tribunal.
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Portnov, chatouillant l'ex-président. |
(…)
Il convient de noter le patriotisme de ses
accusations : Poroshenko profitait de la corruption et de leurs affaires
en Crimée contrôlée par la Russie au moment même où des soldats ukrainiens
mouraient au Donbass. Poroshenko était affilié à des activistes pro-russes
armés. Portnov n’était pas un politicien pro-russe. Il parlait toujours la
Crimée et des républiques de Donetsk et de Lougansk comme de « territoires
occupés par la Russie ».
Il demeurait néanmoins un des critiques les plus déterminés
et pertinents de la « révolution » d’euromaïdan. Il faisait pression
sur le gouvernement pour autoriser le retour de ses compagnons d’exil,
notamment Anatoly Shariy, un blogueur anti-Poroshenko. Il poursuivait
simultanément sa guerre contre un large éventail de journalistes au service des
Démocrates américains et les organes de lutte contre la corruption, des
affaires qu’il gagnait la plupart du temps.
(…)
Il y avait d’autres signes que Portnov
avait un avenir dans le gouvernement Zelenski. (…). En janvier 2020, la cour
Pechersk de Kiev décida que Portnov avait vécu les cinq dernières années en
Ukraine (un mensonge flagrant) et qu’il était éligible au parlement ou à une haute
fonction d’État.
(…)
Plus distrayantes encore furent les nombreuses batailles de
Portnov avec la filiale ukrainienne de Radio-Liberty. Il les accusait d’avoir
des boulots de liquidation politique sans fondement, tandis que ceux-ci
prétendaient qu’il les menaçait sur Facebook. Voici un des prétendus messages
envoyés aux journalistes pro-occidentaux :
Bonjour,
Je vois que vous avez été très actif. Il va falloir vous
rééduquer. Si j’entends votre nom de famille une fois encore, je vous
transforme en tas de merde.
Respectueusement
Portnov
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Officine connue de la CIA. |
Il envoya aussi la réponse suivante à Ruslan Ryaboshenko, le
procureur général favori de Poroshenko et des Américains :
Va te faire foutre, procureur.
(…)
En novembre 2019, Portnov avertit l’administration
présidentielle de Zelenski que Radio-Liberty constituait une menace pour la
liberté d’expression. Je rappelle au lecteur que cette radio militait pour
l’interdiction des médias défendant une neutralité géopolitique et de bonnes relations
avec la Russie.
C’est à ce moment-là que Zelenski sembla sur le point de
mettre l’Ukraine sur « la voie géorgienne ». (…)
Selon
ce scénario, l’Ukraine aurait petit à petit renouvelé ses liens
politico-économiques avec la Russie. Les territoires séparatistes seraient
réintégrés au pays selon les accords de Minsk. L’Occident ne serait pas
content, mais n’y pourrait pas grand-chose.
(…)
Zelenski
fit machine arrière sous la pression des nationalistes et de l’Occident. Le
confinement COVID avait mis le pays à genoux financièrement, l’obligeant à
céder aux exigences du FMI et de Washington. L’arrivée de Biden à la Maison
Blanche fut un autre facteur-clé qui fit dérailler la possibilité d’une paix en
Ukraine.
Le
destin de Portnov changeait au gré du vent de la politique mondiale.
(…)
Après
la prise de pouvoir par Biden, Zelenski devint de plus en plus agressivement
nationaliste, réprimant l’opposition « pro-russe » à laquelle on
associait Portnov. Il interdit les chaînes 112, NewsOne et ZIK.
En
décembre 2021 les États-Unis sanctionnèrent Portnov pour
avoir « acheté des réseaux d’influence dans les tribunaux
ukrainiens ».
(…)
Le
6 mars 2014, l’UE et le Canada imposèrent des sanctions à Portnov et d’autres
membres du gouvernement Yanoukovitch pour des « violations des droits de
l’homme ». En décembre 2014, Portnov envoya une lettre à l’UE l’informant
de l’absence de poursuites contre lui en Ukraine. L’UE l’a retiré de liste des
sanctions le 5 mai 2015.
En
octobre 2015, le Conseil de l’UE admettait officiellement que les sanctions
contre Portnov étaient sans fondement, basées seulement sur une lettre du
bureau ukrainien du procureur.
Puis
il quitta à nouveau l’Ukraine en 2022.
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Portnov à l'aéroport |
(…)
2022-2025 :
L’éminence grise à l’étranger.
Cependant,
le savoir-faire et les contacts de Portnov dans le système judiciaire le
rendaient toujours indispensable pour les élites gouvernementales et
d’affaires.
En
dépit du fait que les hommes de plus de 18 ans ne pouvaient quitter le pays
depuis février 2022, Portnov retourna sans problèmes en Europe en juillet à la
consternation de ses ennemis nationalistes et libéraux.
Une
fois à l’étranger, Portnov continua à faire ce qu’il aimait — les affaires
légales en Ukraine. Comme on peut le comprendre, il s’agit d’activités
complexes, impliquant l’aide à un homme d’affaires d’un raid contre son
entreprise, ou l’inverse.
Mais
dans un pays comme l’Ukraine, les affaires sont indissociables de la politique.
La guerre a fait surgir de nouvelles occasions de racket infinies pour les
organes de maintien de l’ordre. Une ouverture particulièrement profitable était
d’accuser les entreprises d’avoir des liens avec « la nation
agresseur » et autres accusations antipatriotiques.
(…)
Tout
cela semblait démontrer que Portnov vivait confortablement. Sa vie en Espagne
était enviable pour tous les hommes ukrainiens, enchaînés dans les frontières
du pays.
C’est
ainsi que sa mort m’a choqué. Une question à explorer au prochain article.
Peter
Korotaev, mai 2025.