Nos lecteurs commencent à connaître Peter Korotaev, commentateur ukraino-australien et son blog "Events in Ukraine"(Substack) qui se distingue par sa froideur et son objectivité. Contrairement aux fanatiques de tous les bords, l'homme est sans illusion. Dans cet article datant d'il y a quelques semaines, il évoque un certain passé de l'Europe, et le ressentiment de certaines franges ukrainiennes…
Sur l’impérialisme
européen
La
responsabilité et l’hypocrisie européennes. Mise à jour sur la guerre
éternelle.
( traduit de l'anglais par Thierry Marignac)
16-09-2025.
Au
début de l’année, j’avais quelque espoir que la guerre pourrait vraiment
toucher à sa fin. Peut-être naïf, mais quelle importance alors qu’aucun d’entre
nous n’a aucune influence sur la situation, de toute façon.
Mais
même alors, il était également clair que trop de camps étaient impliqués dans
le conflit, portant des exigences qui s’excluaient mutuellement. Maintenant, le
fait que la guerre va continuer beaucoup plus longtemps semble certain. Le
commandant militaire, le blogueur Officier a écrit le 15 septembre :
« Ces
derniers temps, j’ai l’impression d’être un salopard de traître parce que j’ai
écrit très peu de bonnes nouvelles sur cette chaîne, vraiment très peu,
tellement que certains chefs d’unités ont commencé à murmurer qu’Officier était
une opération psychologique russe. Bien que des commandants de brigade vexés ne
soient pas exactement le meilleur indicateur, c’est tout de même déprimant avec
tout ce qui se passe. Dans l’atmosphère flotte une sensation de guerre qui va
se prolonger et la possibilité de batailles brutales dans un futur
proche. »
Hypocrisie
européenne
Pourquoi
la guerre est-elle si inévitable ?
Un
des récits les plus populaires sur la guerre en Ukraine, particulièrement les
soi-disant « médias alternatifs », c’est que les intérêts européens
ont été mis à mal par « la guerre de Washington ». Il est
indiscutable que la guerre a profité aux exportations d’énergie américaines et a été désastreuse pour les prix en Europe et son industrie.
Cependant,
il ne s’agit pas que de l’énergie américaine. L’année 2025 a montré que les
États européens étaient plus intéressés que les États-Unis dans la continuation
de la guerre. Ce sont les dirigeants européens qui ont tenté désespérément de maintenir les relations Zelenski-Trump, ce
sont les Européens qui ont accepté toutes les humiliations par la Maison
Blanche à condition qu’elle continue à livrer des armes à Kiev.
Il
est clair que l’Europe n’est pas seulement une marionnette américaine. On
pourrait avancer que les classes dominantes au pouvoir actuellement en Europe
sont fidèles à ce qu’on pourrait appeler les élites mondialistes libérales —
les Européens étaient les pantins de l’administration Démocrate, mais pas de
ses remplaçants Républicains.
En
ce qui me concerne, c’est un concept qui ne me plaît pas particulièrement. Pour
moi, c’est beaucoup plus simple : c’est l’impérialisme européen qui est
coupable. L’idée d’imputer la belligérance européenne aux États-Unis innocente
un continent obsédé pendant des siècles par l’expansion coloniale — bien avant
que les États-Unis aient vu le jour.
Aujourd’hui,
l’Europe est en phase de stagnation. Une grande partie du monde s’est libérée
des anciennes chaînes coloniales européennes. Ce qui était pendant des siècles
une « jungle » de prospérité est aujourd’hui obligée d’être en
concurrence sur le marché libre avec des pays qui produisent des produits
équivalents ou meilleurs pour des prix plus bas.
Terrifiés
par de telles changements mondiaux, il n’est pas surprenant que les Européens se
raccrochent à leurs plus vieilles traditions — conquérir l’Est. Au Moyen-Âge,
les Chevaliers Teutoniques ravageaient l’orient slave. Il n’y a rien de plus
européen que Drang Nach Osten, rappelait Hitler aux Alliés européens en 1941.
Des dizaines de milliers d’Européens furent volontaires dans diverses unités
fascistes pour participer à l’opération Barbarossa — la France, la Belgique, la
Hollande et beaucoup d’autres pays qui avaient leurs propres divisions SS.
Hitler
était convaincu que l’Allemagne, écartée de l’Asie et de l’Afrique par des
puissances coloniales plus fortes, n’avait d’autre option que de se focaliser
sur l’Union Soviétique. Aujourd’hui, l’Europe dans sa totalité fait face au
même dilemme. D’importantes parties du monde n’acceptent plus d’être des
appendices de « l’Occident civilisé ».
Évidemment,
la croissance chinoise offre nombre d’opportunités à l’Europe. Mais il semble
que l’état d’esprit est beaucoup trop lié à l’idée de sa supériorité
« civilisationnelle ».
Les
origines économiques de la guerre russo-ukrainienne ne devraient pas être
oubliées. Tout a commencé en 2013 avec la soi-disant question de
« l’intégration à l’Europe ». Bien sûr, on n’offrait pas à l’Ukraine
d’entrer en Europe, mais juste un accord de libre-échange — l’UE avaient des
accords semblables avec 72 pays. La plupart d’entre eux avec des pays pauvres
comme l’Ukraine.
L’accord
finalement signé par l’Ukraine en 2016, comme les autres signés par l’UE est
très exploiteur. J’ai parlé de ses effets délétères dans une suite d’articles.
Les exportateurs ont la main libre pour dominer le marché ukrainien, tandis que
les exportateurs ukrainiens ne peuvent entrer sur les marchés européens en
raison de « standards de qualité » extrêmement restrictifs. L’UE a
toujours été très active pour empêcher l’Ukraine d’adopter des mesures
protectionnistes minimales.
C’était
l’expansion de l’UE à travers des années 1990 et 2000 qui donna aux producteurs
européens l’avantage dont elle avait besoin pour concurrencer l’Asie. C’est
seulement grâce à une force de travail bon marché polonaise, roumaine,
hongroise que les firmes automobiles autrichiennes ou allemandes sont restées
compétitives, avec une énergie russe bon marché.
Mon
propos ici est que la guerre en Ukraine n’est pas le sombre dessein des
méchants anglo-saxons contre la pauvre Europe, je ne disputerai pas les intentions
néfastes de ces derniers. Mais les Européens ont leurs propres raisons.
Il
semble que les Européens ont décidé de ne pas accepter l’égalité avec le monde
non-européen « non-civilisé ». Il semble qu’au lieu de ça, ils soient
déterminés à « élaguer la jungle » ou « tondre la pelouse »
pour utiliser une expression israélienne. D’où leur soutien pour l’Ukraine et
Israël.
Au
lieu de faire du commerce, l’Europe a choisi de mettre en jeu son avenir
économique sur la guerre. 26 des 27 membres de l’UE ont voté la
remilitarisation en mars de cette année.
Tandis que ça se résume très simplement à de nouveaux achats à Washington
les militaristes optimistes européens prétendent que cela impliquera la réindustrialisation et la création d’emplois. Je ne me risquerai pas à en
supputer les chances réelles, mais le propos reste le même — l’Europe en est à
résoudre ses dilemmes avec la guerre.
Ça
vaut le coup de prendre du recul pour évaluer la culpabilité européenne.
En
2013, le principal problème pour les Russes avec l’accord de libre-échange
n’était pas géopolitique. Il était mercantile. Les Russes protestaient que
l’accord européen mènerait à un afflux de marchandises européennes bon marché en
Ukraine, atterrissant ensuite en Russie, causant du tort aux producteurs
russes. À cause des sanctions occidentales, un processus similaire a eu lieu
depuis 2014 par la Biélorussie qui a avait même vendu des « crevettes
domestiques » aux consommateurs russes.
Fin
2013, le président ukrainien Viktor Ianoukovitch a proposé des négociations
trilatérales impliquant l’Ukraine, la Russie, l’UE. Mais les Européens ont
rejeté cette idée. Les Européens voulaient que l’Ukraine accepte son traité de
libre-échange sur des termes européens et seulement les termes européens.
Des
années plus tard, toutes les tentatives du gouvernement ukrainien pour faire de
cet accord quelque chose de plus profitable pour les intérêts ont échoué. Seule
l’invasion russe de 2022 a mené l’UE a ouvrir ses frontières aux produits
agricoles ukrainiens, une générosité qui a pris fin cette année. Et maintenant,
le gouvernement ukrainien se plaint que leur pays va perdre des dizaines de
millions de dollars à cause du protectionnisme européen. Comme autrefois, les
tarifs européens bloquent quoi que ce soit d’autre que le maïs et le blé
ukrainiens.
Voilà
à quel point l’Ukraine est le plus cher allié de l’Europe. En fait, l’Ukraine a
toujours été vue comme une ressource économique et militaire à exploiter sans
vergogne.
Amants
guindés
Les
nationalistes ukrainiens ont toujours vu leur guerre avec la Russie comme une
guerre pour l’Europe. Les « libéraux » et droitards idéalisent
l’Europe en tant que « civilisation »
supérieure racialement aux « Mongols » Russes. Bien que les
libéraux et les droitards aient des accents légèrement différents, l’état
d’esprit général est le même.
Cependant,
l’hypocrisie égoïste européenne étant toujours plus évidente (cela a, certes,
pris un certain temps) les deux camps politiques ukrainiens nationalistes critiquent
de plus en plus « l’Occident civilisé » et prophétisent que l’Eurasie
prendra inévitablement « la paresseuse, impériale, arrogante » Europe
« Le monstre totalitaire nord-oriental se dresse lentement, redresse
les épaules, et commence à envahir l’Occident » .
Perdant
l’espoir de vaincre, ils ne peuvent qu’espérer que la guerre consume toute
l’Europe. Regardons de plus près leur mépris des « lâches Européens »
et leur vision d’apocalypse.
Plus
loin dans cet article, je jetterai un œil sur les sinistres compte-rendu du
front — les soldats et les analystes soulignent la réalité qui dément les
déclarations officielles en ce qui concerne les lignes de front de Lyman, de
Dobropillia et de Dniepropetrovsk. Comme on s’en aperçoit, les déclarations
ukrainiennes d’avoir traversé le saillant russe de Dobropilia ne semblent pas
refléter la réalité. La situation, qui se développe rapidement autour du
village de Yampil, où les forces russes ont traversé les poreuses lignes
ukrainiennes et continuent à rester, malgré les dénégations ukrainiennes
officielles.
Pour
commencer une manifestante du Maïdan, Maria Berlinska. Depuis 2014, ses
activités d’ONG se sont concentrées sur le féminisme au front et la technologie
des drones. Un bon exemple de de nationalisme pro-européen.
Mais
le 16 septembre, elle a publié un long article condamnant les Européens :
« Notre
réalité est bien décrite par quelques nouvelles quotidiennes :
« Les
Russes sont entrés dans Yampil dans la région de Donetsk, des combats se
déroulent dans le village. »
« Les
Russes mené 41 attaques dans la direction de Pokrovsk — État-Major »
« Le
dirigeant des chemins de fer ukrainiens sur les attaques russes : ils
essaient de détruire des nœuds ferroviaires clés. »
Et
en même temps :
« Sikorski
pense que l’Otan et l’Europe pourraient établir une zone d’interdiction
aérienne au-dessus de l’Ukraine »
Mots-clés :
Entrée
des Russes, combats en cours, la Russie a attaqué, ils tentent de détruire des
gares…
Pourraient
établir…
Pendant
que la Russie attaque, infiltre, détruit, l’UE réfléchit lentement et
philosophiquement — peut-être qu’on pourrait faire quelque chose ?
Et
il s’agit de Sikorski, l’un des politiciens européens les plus raisonnables et
les plus pro-ukrainien.
Que
pourrait-on dire des autres.
Cette
époque sera plus tard considérée comme totalement honteuse pour l’Europe. Ou
peut-être qu’elle ne sera pas décrite du tout, parce que l’Histoire est écrite
par les vainqueurs.
Et
la civilisation européenne est déjà en train de perdre. De perdre en trahissant
l’Ukraine.
En
n’ayant pas donné des armes lorsque les gens faisaient la queue devant les
bureaux de recrutement (Berlinska parle ici de 2022).
En
train de perdre pour n’avoir pas mis les sanctions à temps, en continuant à
acheter du pétrole et du gaz russe, sponsorisant notre mort.
En
train de perdre en fronçant son nez bureaucratique, en recouvrant sa lâcheté
sans rémission de paperasses.
En
train de perdre en trahissant les Ukrainiens. Tandis que l’Axe des pouvoirs
totalitaires, alimentés par des économies capitalistes, bourrés de technologie,
avec des centaines de millions de biorobots, se renforce…
(…)
Réveillez-vous
ou vous allez mourir.
L’Ukraine
vous fait un rempart de son corps, mais l’Ukraine est en train de finir.
(…)
Dans
les livres d’Histoire on se souviendra de vous comme des lâches et des vaincus.
(…) »
(…)
Nouvelles de la guerre
Finissons par quelques nouvelles du front :
Tout d’abord dans la partie la plus septentrionale du
Donbass, la forêt de Serebrianski. Dans ce secteur, les forces ukrainiennes battent
en retraite depuis des mois, l’interminable bataille semble toucher à sa fin.
Ces derniers jours, les troupes russes ont Bondi en avant
vers la ville de Yampil. Une avancée d’environ cinq kilomètres. Les déficiences
de l’infanterie ukrainienne rendent les lignes de défense de plus en plus
poreuses. Deep State a décrit la situation à cet endroit le 16 septembre :
« (…) Nous surveillons la situation, l’ennemi a été
repéré dans le secteur de Yampil à de nombreuses reprises. Ils ont trouvé un
chemin pour infiltrer la bourgade, nous devrions nous attendre à une
augmentation de l’activité dans ce secteur. L’ennemi est déterminé à s’emparer
de la bourgade, connaissant son importance et sa valeur critique pour toutes
les positions situées plus à l’Est » (…) « Si Yampil tombe, l’ennemi
se dirigera directement sur Lyman, tout en faisant simultanément pression sur
Seversk. »
Les évènements ne prennent pas exactement un tour favorable.
Pour ne pas dire qu'ils prennent un tour franchement désastreux.
Ensuite, à la frontière Donetsk/Dniepropetrovsk, la partie
la plus méridionale de la région de Donetsk. Le saillant russe s’est étendu
rapidement pendant toute l’année 2025, et c’est ce qui est reconnu depuis
longtemps comme une des menaces les plus graves.
Si les Russes pénétraient plus avant, elles entreraient dans
une steppe peu peuplée, un environnement très différent du Donbass très
urbanisé. Cela signifierait aussi un enveloppement des forces ukrainiennes du
Donbass et une menace sur Dnipro, le plus gros centre industriel restant à
l’Ukraine. La semaine passée a vu plus d’avancées dans le secteur, mettant en
doute les déclarations du haut commandement selon lesquelles les forces ne sont
pas encore entrées dans la région de Diepropetrovsk.
Le 15 septembre, la membre du parlement et une loyaliste de
Zelenski, Mariana Bezhula a un grand exposé sur la situation là-bas et plus au
nord, sur le saillant de Dobropilia. Il y a un peu plus d’un mois que les
Russes ont mené leur opération de guerre-éclair dans le secteur, avançant de
15km en quelques jours. Depuis lors les forces ukrainiennes ont annoncé avoir
coupé le saillant en deux, mais Bezuhla ne paraît pas en être si sure :
« Notons que près de Dobropilia la situation continue
d’empirer et qu’aucune percée russe n’a été repoussée, tandis que dans la
région de Dniepropetrovsk l’ennemi continue à consolider ses positions dans
plusieurs villages. Alors qui disait la vérité ? Deep State et Mariana où
l’état-major ? »
P. K.