LES LECTEURS RUSSOPHONES TROUVERONT L'ORIGINAL DE L'ARTICLE TRADUIT CI-DESSOUS. COMMENT VLAD KOZLOV A TROUVÉ LE MOYEN DE TOURNER UN FILM AVEC TROIS FOIS RIEN, ET D'AVOIR DU SUCCÈS AU LIEN SUIVANT :
http://kyky.org/mag/heroes/v-diesiatku-kak-bielorus-sdielal-kultovoie-kino-biez-biudzhieta
Vladimir Kozlov, PHOTOS © Nikolaï Koupritch |
COMMENT LE BIÉLORUSSE A TOURNÉ
UN FILM CULTE SANS BUDGET
Par Andreï Ditchencko,
13/01/2014
(Traduit par TM)
Les
débuts du romancier et essayiste Vladimir Kozlov ( à Paris le 26 janvier aux rencontres du livres russe, sous le titre La Pègre russe dessapée par le polar, voir les détails au lien suivant: http://www.russenko.fr/fr/portfolio/litterature/) comme metteur en scène avec
« Deciatka » (La Dizaine) ont été distingués par la revue
« SNOB » (magazine et site russe) comme l’un des dix projets cinématographiques les plus significatifs de l’année. Petits voyous, tramways rouillés,
commissariat aux affaires militaires, et le Docteur Alban sur MTV — les
critiques ont écrit que « …ce réalisateur dilettante et débutant possède
le don des génies d’élection : la capacité de bourrer de tension le plan
le plus ordinaire ». Dans l’interview faite par A.Ditchenko, le romancier
évoque Moguilev en 1984, Tchernobyl, Tchikatilo (un tueur en série russe) et
promet de continuer à s’occuper du cinéma à petit budget.
Né à Moguilev, Vladimir Kozlov
est Biélorusse. Auteur d’une dizaine de livres (dont deux sont parus en
français : Racailles, et Retour
à la case départ, traduits par TM, éditions Moisson Rouge). En 2013, il a fait ses débuts de metteur
en scène de cinéma, portant à l’écran sa nouvelle « Deciatka »,
tournant le film avec de l'oseille tiré de sa propre poche et le secours
d’amateurs enthousiastes, habitants de Tcheliabinsk.
VK, ©NK |
QUESTION :
Comment
se fait-il que tout le monde parle de « Deciatka » Comment se fait-il
qu’il figure sur la liste des projets de film les plus significatifs de 2013
d’après la revue « Snob » ? Il se passe quelque chose de neuf
dans la culture, ou bien c’est un simple concours de circonstances ?
VLADIMIR
KOZLOV : Ce film prouve qu’on peut tourner sans budget si
on le veut vraiment et qu’on a quelque chose à dire. Je suis ravi qu’on le
prenne au sérieux et qu’on le mette sur
le même plan que des films ayant disposé
d’un gros budget sans comparaison avec le mien. Et je souhaiterais, bien
évidemment, qu’il pousse d’autres gens à
tourner en dehors de l’industrie traditionnelle du cinéma, et qu’il devienne
représentatif d’une nouvelle tendance. Difficile de savoir si ça arrivera. Il y
a de plus en plus de cinglés et désespérés dans notre genre prêt à tourner un
long métrage sans budget, et la technique le permet. Par contre, s’arranger
pour qu’on voit votre film, ça c’est un problème. Ce serait vraiment d’enfer si
le festival de premiers films
« Doukh Ognia » (L’esprit du feu), devenait une sorte de Sundance
russe, qui permet aux films indépendants d’être reconnus. Soit, un festival d’un
genre nouveau, soit les festivals déjà existants se mettant à accorder plus
d’attention au cinéma indépendant. Dans ce cas, ce serait le début d’un nouvel âge de la culture.
Q :
Peut-on
gagner de l’argent avec ça pour l’instant ?
VK :
Gagner
de l’argent avec des films sans budget est quasiment impossible, et peu de gens
s’y risquent. Au festival international « Doukh Ognia » en Russie on
a présenté deux films commerciaux à gros budget, deux films financés par le
ministère de la Culture, et quatre films comme le nôtre. Mais on peut penser
que ça se développera.
Des caméras numériques de
qualité pro ont commencé à être abordables pour les gens ordinaires il y a trois ans.
À présent, quiconque dispose de 2-3000 $ peut devenir réalisateur. Mais le plus
difficile est de faire de ce qu’on a
tourné quelque chose de présentable.
Un plan du film "Deciatka" |
Q :
Certaines
parties de votre livre « Varchava » (Varsovie) décrivent le Minsk du
début des années 1990. Est qu’il y a certaines pour lesquelles vous éprouvez de
la nostalgie ? Peut-être certaines cantines, ou des endroits maintenant
fermés.
VK :
La
nostalgie n’a pas pour objet des choses concrètes, mais une « tranche de vie », quand on a
20-25 et « l’avenir devant soi ». Minsk a été cette « tranche de
vie » en partie, le fond, sur lequel elle s’est déroulé. C’était une sombre
époque, très âpre, durant laquelle il fallait vivre l’instant présent, sans se
soucier du lendemain. Parce que ce lendemain n’aurait de toute façon rien à voir
avec ce qu’on imaginait. Mais, malgré toute la brutalité et la négativité de
l’époque, on prenait souvent son pied. Je ne me souviens que d’un seul endroit,
la boîte de nuit « Réservatsia » (plus tard rebaptisée " Alternativa"), là où j’allais voir la plupart des concerts. Mais c’était
un peu plus tard, le milieu, la fin des années 1990.
Commissariat aux affaires militaires de Kharkov (tampon officiel). |
Q : Le
tournage de votre récit « Deciatka » s’est fait à Tcheliabinsk, bien
que le récit lui-même décrive sans aucun doute, l’espace biélorusse.
Qu’y-a-t-il de commun dans toutes les
grandes d’Europe orientale de Brest à Ekaterinbourg ?
VK :
Exact,
l’action du récit se déroule à Moguilev en 1990, alors que nous avons adapté
l’action du film dans une grosse ville jamais nommée — le « rôle » que joue Tcheliabinsk — et à notre époque. D’une part, recréer les années 1990 dans
un film sans budget était impossible, d’autre part, c’était inutile. Ce genre
d’histoire pouvait arriver dans les années 1990 et peut arriver de nos jours.
Et, sur le plan visuel, malgré tous les changements survenus depuis vingt ans,
toutes les grosses villes d’ex-URSS se ressemblent, elles ont été construites sur le même modèle ou peu s’en faut.
Je me souviens que ça m’a sauté
aux yeux : à quel point le centre de Tcheliabinsk ressemblait au centre de
Minsk, ou à ce qu’était autrefois Varsovie. Ne parlons même pas des cités
dortoir dans toutes les villes post-soviétiques, elles sont toutes semblables.
Q :
Peut-on
considérer la Biélorussie contemporaine comme une anti-utopie socialiste si on
la voit du point de vue du héros ?
VK :
Pour
moi la Biélorussie d’aujourd’hui, est le rêve réalisé des réformateurs
soviétique des années 1980, à commencer par Gorbatchev. C’est ça qu’ils
voulaient réussir avec leur pérestroïka : un hybride du socialisme et du
capitalisme. J’ai même écrit un jour un essai sur ce sujet sous le
titre : « Le pays du Socialisme triomphant ». C’est-à-dire
que, d’une part, les gens ont encore accès à l’instruction et à la médecine gratuite,
le contrôle de l’État sur la société est assez sévère ; d’autre part, ceux qui
ont du fric peuvent se procurer des vêtements d’importation des voitures de
marque étrangère et voyager à l’étranger. La seule différence, c’est qu’il n’y a
plus d’idéologie communiste. C’est à dire plus d’idéologie du tout.
VK, ©NK |
(…)
Q :
Votre
livre « 1986 » a pour thème centraux Tchernobyl et les tueurs en
série. On voit clairement la synthèse entre les activités démoniaques de
Tchikatilo (célèbre tueur en série soviet), et l’accident lui-même. Vous
souvenez-vous du jour où vous avez appris l’accident de Tchernobyl et
l’apparition de tueurs en série au pays du socialisme triomphant ?
VK :Je me
souviens très bien de Tchernobyl. Les bruits qui couraient, suite aux
informations des radios occidentales, alors que la télé soviet affirmait que
tout allait bien. J’étais en sixième et on nous a envoyés aux manifestations du
Premier Mai, alors qu'étant donné le nuage de radiations en suspens dans l'atmosphère, traîner dans la rue n'était pas très recommandé. C’est un peu plus tard, que j’ai su, pour les tueurs en
série. Ils n’ont tenu Tchikatilo que dans les années 1990, et les mass-médias
ne parlaient pas beaucoup de l’affaire
Viterckoe dont le héros n’était autre que le maniaque biélorusse Mikhassevitch.
Les tabloïds (« la presse jaune ») qui abordent ce genre de sujets
n’existaient pas. C’est plus tard que j’ai relié ces faits et compris que les
tueurs en série de la dernière période soviet et Tchernobyl faisaient partie, à
un degré ou à un autre, de la même
histoire qu’on pourrait appeler : « L'Effondrement de l’empire
soviétique ».
Un Plan du film "Deciatka". |
Q :
Vous
êtes en train de réaliser un film documentaire sur le punk sibérien. En quoi
est-ce un véritable phénomène, à vos yeux ? Quelles sont les
particularités du genre souvent utilisé par les groupes punks, qui jouent loin
d’Omsk ou de Novossibirsk, et jusqu’à Minsk ?
VK :
C’est
un phénomène unique. Le véritable punk-rock — en Angleterre des années 1970, en
Amérique des années 1980, était une musique pas très intellectuelle. Une
protestation — et même un nihilisme — en effet, mais à un degré primitif. Mais
des groupes comme « Grajdanskaïa Oboronna » (Défense Civile), et
« Instrouktsia po Vijibanio » (Instruction pour la survie), ont
ajouté à l’élan et à l’énergie du punk-rock une « fondation
intellectuelle » ce qui donné quelque chose qui ne ressemble à rien
d’autre.
Ce n’est pas par hasard, par
exemple, qu’un groupe comme Massive
Attack a consacré tout un album aux œuvres de « Oboronna » et de
Yanka Diaguileva et chanté des versions de leurs morceaux en russe. Il est
clair qu’ils n’ont pas saisi réellement le contenu, mais ils ont reconnu
l’importance du phénomène.
Plus généralement le punk
sibérien est pour moi lié à une période concrète, la seconde partie des années
1980. Et il a pris fin au début des années 1990. Deux évènements marquants de cette
époque : la dissolution du groupe « Oboronna » en 1990, et la mort de Ianka en
1991. Mais cette musique a eu une influence énorme. C’est ainsi que sont
apparus dans toute l’ex-URSS des groupes qui jouaient le même genre de musique.
Au mieux, il s’agissait du développement de l’idée du punk sibérien, au pire,
de simples épigones.
Ianka Diaguileva (égérie du punk sibérien) |
Q :
Pourquoi
la sous-culture des jeunes reste-t-elle un sujet d’intérêt, indépendamment de
l’époque où elle est apparue ?
VK :
Ce
qui se distingue de la masse, « nage à contre-courant » est toujours
intéressant. Le pékin moyen avec un goût standardisé restera en principe
indifférent. Sans parler du fait, que ces dernières années la sous-culture
s’est beaucoup dégradée, transformée en simple élément de style. C’est
fascinant de se trouver à l’intérieur d’une sous-culture. Au moment où elle
vient d’apparaître, quand elle est brillante, quand elle est dans le vent,
quand elle attire les gens non parce qu’elle est une mode mais parce qu’elle
est une idée. C’est à dire que c’était vraiment excitant d’être un punk dans
l’Angleterre des années 1970, ou un hippie dans l’Amérique des années 1960.
Mais les punks d’aujourd’hui sont simplement des garçons et des filles qui
s’habillent dans ce style et écoutent ce genre de musique. Ils se contrefoutent
de l’idée sous-jacente du punk, mais d’un autre côté, à quoi pourrait-elle bien
leur servir, puisqu’ils vivent dans un contexte qui n’a rien à voir ?
Q :
Croyez-vous
que vous auriez eu du succès si votre illumination littéraire s’était produite
aujourd’hui, et non deux décennies en arrière ?
VK :
Si
j’avais commencé une œuvre en 2013 et non au début des années 2000, ça n’aurait
rien donné. C’est difficile, aujourd’hui, pour les jeunes auteurs. Personne ne
s’intéresse à la nouvelle prose d’Europe de l’Est. Dans la situation présente,
les éditeurs ne s’intéressent qu’à ce qui peut leur rapporter beaucoup d’argent.
En ce moment, j’essaie de rendre possible le tournage de mon roman « Retour
à la case départ ». J’aimerait obtenir un financement sérieux et en faire
quelque chose d’unique.
Q : Eh
bien, passons à la question finale : y-a-t-il un endroit sur terre où vous
ne voudriez retourner à aucun prix ?
VK : Un endroit et une époque. L’école numéro dix-sept à Moguilev, le 11 janvier 1984 — le premier jour d’école après les vacances d’hiver. Se profilent à l’horizon le trimestre d’études le plus long, un grand morceau d’hiver et encore toutes sortes d’autres saloperies.
VK : Un endroit et une époque. L’école numéro dix-sept à Moguilev, le 11 janvier 1984 — le premier jour d’école après les vacances d’hiver. Se profilent à l’horizon le trimestre d’études le plus long, un grand morceau d’hiver et encore toutes sortes d’autres saloperies.