ROULETABILLE
ET MICHEL STROGOFF CONTRE LES FORCENÉS
ET MICHEL STROGOFF CONTRE LES FORCENÉS
Le jeune auteur Youri Fedotoff
— en littérature on est jeune jusqu’à l’Académie et Dieu merci, Youri, à son
premier roman, n’en est pas encore là ! — a invoqué les Dieux oubliés de
la littérature populaire : de Michel Zévaco au « hussard »
Jacques Laurent sous son pseudonyme de Cecil St-Laurent, en passant par Gaston
Leroux et… le grand Frédéric Dard, celui des « romans de la nuit ».
Dans sa fresque épique qui nous entraîne des tumultes de la Guerre Civile russe
aux derniers soubresauts de l’Allemagne nazie, aucune des exigences du genre ne
manque à l’appel : des chevauchées aux confins de l’Asie Centrale, des
faits d’armes, des amours princières, des intrigues de palais et de
chancelleries, des trésors cachés, des financiers de l’ombre, des agents
secrets, des demi-mondaines, les figures damnées des forces du mal, les héros
solaires du bien. En effet, le jeune Mikhaïl, — officier de la Garde, aussi
noble de cœur et de lignée qu’Athos, « le plus noble des hommes »
— tout proche du Tsar finissant, reçoit de celui-ci la mission de soustraire
aux démoniaques bolchéviques une partie de son trésor, dans le but de restaurer
un jour ou l’autre la monarchie sacrée de la « Troisième Rome ». Et
la blessure au cœur de la barbarie bolchévique : Sverdlovsk, lors du massacre
de la famille impériale à Ékaterinbourg, arrachant le fusil des mains d’un jeune
soldat hésitant, pour achever une des gamines du Tsar d’une balle sacrilège —
une orgie sacrificielle, que beaucoup de nos jours considèrent en Russie comme
un pacte avec le diable, scellé par le sang, qui promettait 70 ans de
domination du pays aux communistes.
La mise en scène de cette épopée répond également aux plus
classiques critères romanesques : l’auteur, croisement authentique de généraux russes blancs et de hobereaux hongrois,
aurait reçu de son père, fils de l’exil russe des années 1920, des confidences
sur son lit de mort final… au Pérou. Le train d’or gardé, pillé, puis livré à
diverses puissances par la Légion Tchèque qui traitait avec tout le monde, y
compris les bolchéviques sous le commandement d’un général français, n’était
qu’une partie du trésor de la couronne impériale. Mikhaïl, lui-même de sang
royal, reçoit des mains du monarque bientôt exécuté, les diamants bruts qui
constituaient la face cachée du trésor impérial. Et dans les trente années qui
suivent, toutes les puissances occultes, tous les 2e bureaux, toutes
les banques d’Europe et d’Amérique vont tour à tour — pour s’emparer des diamants — favoriser et contrecarrer
le projet de Mikhaïl : restaurer la
Troisième Rome et renvoyer la meute communiste au chenil. Le jeune officier
fera ses armes en menant une guérilla impitoyable aux Seigneurs de la Guerre
Rouges massacreurs du peuple, à la tête de sa horde de cavaliers mongols
fanatiquement dévoués au plus noble des hommes. Dans une langue très pure — des amours
avec une princesse asiatique dans la cachette des diamants au Boutang, aux
complots d’Himmler et Allen Dulles à l’ambassade de Berne pour conclure une
paix séparée avec les anglo-américains et se retourner contre l’Armée Rouge —
ce roman dévide la tragédie du XXe siècle à travers moult péripéties, avec des
personnages attachants, comtesse hongroise, princesse touranienne, généraux
blancs décatis, banquiers suisses homosexuels, agents de l’Empire anglais tout
aussi invertis, bolchéviques et nazis dans la spirale maudite de leur volonté
de puissance. En bref, les prémices de
notre cauchemar climatisé contemporain,
selon le mot d’Henri Miller, facilité par ces tumultes qui furent les
holocaustes dont nous sommes les enfants, pour paraphraser Pierre Legendre —
par le prisme enfantin, grâces soient rendues à cette divine légèreté de la
littérature populaire, du Testament du
Tsar.
Un mot sur le style : il possède la clarté et
l’intuition tranchante du français bien né, guéri d’avance de la lèpre
d’anglicismes, passant pour moderne de nos jours, tant dans les arts que dans
les médias. En ce sens, il est digne de Dumas, Jules Verne, et Cecil
St-Laurent.
Un mot sur l’entreprise éditoriale : Y & O, résume l’audace du couple
qui s’est lancé à l’assaut des forteresses avec un premier roman exalté, Youri
et Olivia sa compagne, une édition créée par l’enthousiasme d’une femme
amoureuse du dernier des romantiques, nostalgique du flamboiement noir et rouge
d’époques où la noblesse n’était pas un vain mot. Il convient de saluer cette
intrépidité. En des temps larvaires dominés par le marketing, c’est assez rare pour être signalé. On échappe enfin au
livre-serpillière où la confession sordide sert de passe-droit, tenant lieu de
littérature. Il est question de tout autre chose que des turpitudes de tout un chacun, des « oppressions »
plus ou moins fantasmées, de l’utilitarisme mesquin des écrivains engagés soucieux du tiroir-caisse.
En croisant Youri et Olivia au Salon du Livre Russe début
décembre 2019 pour vendre mon Icône
anti-commerciale, je mesurai la chance que m’aura réservé cette vie d’auteur-traducteur
« culte » : des rencontres mémorables.
Thierry Marignac, février 2020.