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25.2.20

LE TESTAMENT DU TSAR DE YOURI FEDOTOFF

            ROULETABILLE 
ET MICHEL STROGOFF CONTRE LES FORCENÉS
         Le jeune auteur Youri Fedotoff — en littérature on est jeune jusqu’à l’Académie et Dieu merci, Youri, à son premier roman, n’en est pas encore là ! — a invoqué les Dieux oubliés de la littérature populaire : de Michel Zévaco au « hussard » Jacques Laurent sous son pseudonyme de Cecil St-Laurent, en passant par Gaston Leroux et… le grand Frédéric Dard, celui des « romans de la nuit ». Dans sa fresque épique qui nous entraîne des tumultes de la Guerre Civile russe aux derniers soubresauts de l’Allemagne nazie, aucune des exigences du genre ne manque à l’appel : des chevauchées aux confins de l’Asie Centrale, des faits d’armes, des amours princières, des intrigues de palais et de chancelleries, des trésors cachés, des financiers de l’ombre, des agents secrets, des demi-mondaines, les figures damnées des forces du mal, les héros solaires du bien. En effet, le jeune Mikhaïl, — officier de la Garde, aussi noble de cœur et de lignée qu’Athos, « le plus noble des hommes » — tout proche du Tsar finissant, reçoit de celui-ci la mission de soustraire aux démoniaques bolchéviques une partie de son trésor, dans le but de restaurer un jour ou l’autre la monarchie sacrée de la « Troisième Rome ». Et la blessure au cœur de la barbarie bolchévique : Sverdlovsk, lors du massacre de la famille impériale à Ékaterinbourg, arrachant le fusil des mains d’un jeune soldat hésitant, pour achever une des gamines du Tsar d’une balle sacrilège — une orgie sacrificielle, que beaucoup de nos jours considèrent en Russie comme un pacte avec le diable, scellé par le sang, qui promettait 70 ans de domination du pays aux communistes.



         La mise en scène de cette épopée répond également aux plus classiques critères romanesques : l’auteur, croisement authentique de généraux russes blancs et de hobereaux hongrois, aurait reçu de son père, fils de l’exil russe des années 1920, des confidences sur son lit de mort final… au Pérou. Le train d’or gardé, pillé, puis livré à diverses puissances par la Légion Tchèque qui traitait avec tout le monde, y compris les bolchéviques sous le commandement d’un général français, n’était qu’une partie du trésor de la couronne impériale. Mikhaïl, lui-même de sang royal, reçoit des mains du monarque bientôt exécuté, les diamants bruts qui constituaient la face cachée du trésor impérial. Et dans les trente années qui suivent, toutes les puissances occultes, tous les 2e bureaux, toutes les banques d’Europe et d’Amérique vont tour à tour — pour s’emparer des diamants — favoriser et contrecarrer le projet de Mikhaïl   : restaurer la Troisième Rome et renvoyer la meute communiste au chenil. Le jeune officier fera ses armes en menant une guérilla impitoyable aux Seigneurs de la Guerre Rouges massacreurs du peuple, à la tête de sa horde de cavaliers mongols fanatiquement dévoués au plus noble des hommes. Dans une langue très pure — des amours avec une princesse asiatique dans la cachette des diamants au Boutang, aux complots d’Himmler et Allen Dulles à l’ambassade de Berne pour conclure une paix séparée avec les anglo-américains et se retourner contre l’Armée Rouge — ce roman dévide la tragédie du XXe siècle à travers moult péripéties, avec des personnages attachants, comtesse hongroise, princesse touranienne, généraux blancs décatis, banquiers suisses homosexuels, agents de l’Empire anglais tout aussi invertis, bolchéviques et nazis dans la spirale maudite de leur volonté de puissance. En bref,  les prémices de notre cauchemar climatisé contemporain, selon le mot d’Henri Miller, facilité par ces tumultes qui furent les holocaustes dont nous sommes les enfants, pour paraphraser Pierre Legendre — par le prisme enfantin, grâces soient rendues à cette divine légèreté de la littérature populaire, du Testament du Tsar.
         Un mot sur le style : il possède la clarté et l’intuition tranchante du français bien né, guéri d’avance de la lèpre d’anglicismes, passant pour moderne de nos jours, tant dans les arts que dans les médias. En ce sens, il est digne de Dumas, Jules Verne, et Cecil St-Laurent.
         Un mot sur l’entreprise éditoriale : Y & O, résume l’audace du couple qui s’est lancé à l’assaut des forteresses avec un premier roman exalté, Youri et Olivia sa compagne, une édition créée par l’enthousiasme d’une femme amoureuse du dernier des romantiques, nostalgique du flamboiement noir et rouge d’époques où la noblesse n’était pas un vain mot. Il convient de saluer cette intrépidité. En des temps larvaires dominés par le marketing, c’est assez rare pour être signalé. On échappe enfin au livre-serpillière où la confession sordide sert de passe-droit, tenant lieu de littérature. Il est question de tout autre chose que des turpitudes de tout un chacun, des « oppressions » plus ou moins fantasmées, de l’utilitarisme mesquin des écrivains engagés soucieux du tiroir-caisse.
         En croisant Youri et Olivia au Salon du Livre Russe début décembre 2019 pour vendre mon Icône anti-commerciale, je mesurai la chance que m’aura réservé cette vie d’auteur-traducteur « culte » : des rencontres mémorables.

 Thierry Marignac, février 2020.