Ces jours-ci, dans le sillage d'un scandale politique français dont personne ne dit le fin mot — le ridicule, au-delà de la violation de la vie privée qui voit les tartuffes dans leur levée de boucliers, si le candidat moralisateur d'un pouvoir discrédité s'est retiré, ce n'est pas à cause de la morale, c'est parce qu'il craignait, à juste titre, qu'on se paie sa tête à chaque apparition— on parle à nouveau de "complot russe" , marronnier commode de ceux qui n'ont rien à dire. Contre toute évidence.
Notre ami Yasha Levine, russo-américain présente ci-dessous une nouvelle version outre-atlantique de cette absurdité, pays où, faut-il le rappeler, la version Clinton de sa propre défaite aux élections a été démentie publiquement par le procureur chargé de l'enquête. Yasha le fait en termes "sémantiques". En effet, comme tout discours raciste dans son essence, la russophobie s'appuie sur un langage.
Racisme respectable : seuls les
Russes sauvages et arriérés ont des « oligarques ». Les Américains
civilisés n’ont que des « riches ».
(traduit de l'américain par TM)
Depuis que Bloomberg s’est mis à grossièrement acheter sa
voie vers les élections — lâchant des centaines de millions de dollars à des
réseaux de télévision, à des
associations à but non-lucratif, et submergeant les marchés intermédiaires
d’espèces sonnantes et trébuchantes — un débat nativiste, étrange, et de gauche
a fait rage en sourdine.
Le sujet de la discussion : Michael Bloomberg est-il un
oligarque ? Et peut-on parler d’oligarques en Amérique ? Dans un tel
pays, c’est impossible, n’est-ce pas ?
Pour Jason Johnson — docteur en journalisme et membre de
MSNBC — la réponse à ces trois questions est : non, non, et non.
Selon lui les oligarques ne peuvent exister que dans un pays
sauvage et corrompu comme la Russie. Dans une société comme l’Amérique, fondée
sur le respect des règles et démocratique, les oligarques sont impossibles,
tout simplement !
« Appeler
Bloomberg un oligarque a des implications dans ce pays que je crois injustes et
déraisonnables. Je suis en désaccord avec beaucoup de choses faites par
Bloomberg quand il était maire de New York. Mais l’oligarchie, dans notre
terminologie, fait penser à quelqu’un qui aurait fait fortune dans le pétrole
en Russie. Mike Bloomberg est uniquement
un riche. L’Amérique est pleine de riches. Être riche ne signifie pas qu’on
est un oligarque qui abuse de son pouvoir »
Jason Johnson n’est pas le seul à entretenir de telles
idées. Prenons, par exemple, Jeff Stein, un journaliste de Newsweek vieille école.
De même que Jason, Jeff a été vraiment perturbé par « Bloomberg est un oligarque ».
Pour montrer à quel point, il s’est servi de Twitter ce week-end pour diffuser
ses récriminations.
Il a dénigré un type au hasard pour s’être servi du mot
« oligarque », expliquant que le terme ne peut s’appliquer qu’à des « Russes
assassins et corrompus » avant de passer à l’offensive, accusant les
gens qui insistaient pour appeler Bloomberg un oligarque d’être racistes. Pour
Jeff « orientaliser »
l’homme d’affaires autodidacte était une offense anti-asiatique !
D’après ce que je comprends, voici son mode de pensée :
dans la mesure où seuls de fourbes asiatiques comme « Les Russes »
peuvent être des oligarques, dire que Bloomberg en était un revenait à
le traiter d'asiatique fourbe. C’est très logique. Très ipso facto.
Ça ne s'invente pas, non, vraiment. Voyez par vous
mêmes :
La croyance de Jeff selon laquelle des Américains ne peuvent
être des « oligarques » — que l’oligarchie est exclusivement une
affliction politique étrangère — est profondément raciste et nativiste. Et le
fait que des gens comme lui et Jason (et
de nombreux autres) puissent le dire publiquement sans la moindre conscience
est un exemple de la façon dont cette xénophobie décontractée est devenue
normale dans les milieux politiques et médiatiques « de gauche ».
Comme je l’ai signalé auparavant, beaucoup de gens pensent
que le racisme vient d’en bas — des ignorants, de la classe inférieure. Mais
ceci montre une nouvelle fois que le racisme vient des couches supérieures de
la classe politique et médiatique — ceux-là mêmes qui prétendent s’opposer à
Donald Trump et ses parti-pris de bigot.
Ce qui rend tout cela plus cynique encore est que l’élite
politique américaine est l’artisan de la création de l’oligarchie russe —une
oligarchie qu’ils tentent à présent de dépeindre comme surgie d’un gène barbare
spécifique aux Russes. Mais personne ne veut le reconnaître. Bon Dieu, l’année
dernière, Mark Ames et moi étions censés écrire un livre sur la façon dont l’Amérique
— et en particulier l’administration Clinton — avait créé l’oligarchie russe.
Mais aucun éditeur américain n’en voulait parce que ça allait a contrario de l’hystérie
antirusse nativiste qui s’est emparée de l’Amérique.
Yasha Levine
Yasha Levine |