Géopolitique du ricanement
«Je
suis né au mois de mars, c'est moi le printemps», annonçait Céline dans Mort à crédit, avant d'être voué
aux gémonies, pour des raisons éloignées de sa production littéraire, que nous lui
reprochons aussi (quelle déception!…), en aparté toutefois, manquerait plus qu'on se
joigne au chœur bêlant de la politcorrectitude, je vous demande un peu — avec
nos complexes allégeances France Libre à Dominique de Roux — mais
qui n'empêchent pas son statut de génie de la littérature française du XXe
siècle — oh quel ennui, ces règlements de comptes intéressés à près d'un siècle
de distance.
TM, St-Pétersbourg, 2017, photo © Vladimir Troyan |
À
l'époque dont nous parlons, Johnny Rotten voulait passer ses vacances au
Mur de Berlin pour voir un peu d'Histoire plutôt que de s'emmerder sur une plage
peuplée d'abrutis, (Holiday in the Sun), les graphistes punk de Bazooka
pirataient au montage l'organe officiel de la vermine de 68, un quotidien qui
pollue l'atmosphère aujourd'hui encore — les idéalistes avaient déjà fait du reniement
une profession de foi, ce qui est, rendons leur justice, un tour de force.
Bref, on avait peu d'illusions en banque, dans le crépuscule chatoyant des fins de
régime, et plus loin, des fins d'époque. Quelques années plus tard, un groupe
allemand sortait Brejniev Rap, la voix enrouée du despote finissant, aux échos de chiourme et
d'emphysème. Bref, on se tapait de la lutte armée en Amérique du Sud, les
catastrophes humanitaires au bout du monde nous laissaient froids, la
pourriture du gaullisme dans ses derniers râles — nous lui trouvions une
certaine esthétique décadente. On ne savait pas tout sur tout là où on n'avait
jamais mis les pieds. On n'avait pas d'opinion sur la globalité et son
contraire, on ne se sentait pas obligé de faire son petit BHL, à chaque
tremblement de terre.
On
ricanait. À y repenser, en contemplant avec consternation la péroraison
présente qui se prend au sérieux du matin au soir — c'était plutôt sain, malgré les drogues dures.
TM, Pétersbourg, 2017, photo © Vladimir Troyan. |
Ici,
nous présenterons quelques poèmes: les Russes Vavilov et Limonov. Ils semblent
avoir gardé l'esprit du ricanement. L'actualité est ce qu'elle est, et on ne
rasera jamais gratis, certainement pas demain.
Vavilov,
dans une veine Lautréamont, dont on se souvient l'épisode du cheveu de Dieu
tombé dans un lit de bordel, (Chants de Maldoror) nous parle de la
minette du Tout-Puissant, avant de ricaner sur le Kaddhafi de la Grande Époque.
Puis
Limonov, dans un rare moment antipolitique, nous décrit le pouvoir comme un
fauve altéré de sang, ce qu'il n'a cessé d'être, puisque c'est sa vocation.
Hommage
aux mânes du No Future, génération emportée par la bestialité des fins
de siècle, qui annonçait celle du suivant, son puritanisme d'ange
exterminateur, sa féodalité sans merci, sous la posture d'angélisme.
P.S. Alexandre Vavilov prendra part à une compétition de Slam à Paris et au mois de mai. Mon vieil ami Édouard a fêté ses 74 ans, le 23 février. Enfin, je dédie la première traduction à Serge Quadruppani, qui a retrouvé sa chatte égarée avec tant d'émotion, il y a peu de temps.
P.S. Alexandre Vavilov prendra part à une compétition de Slam à Paris et au mois de mai. Mon vieil ami Édouard a fêté ses 74 ans, le 23 février. Enfin, je dédie la première traduction à Serge Quadruppani, qui a retrouvé sa chatte égarée avec tant d'émotion, il y a peu de temps.
(Traductions de TM)
Кошка Бога
Кошка, которая жила на вершине мира,
Считала, что это она создаёт закаты,
Верила, что квартира Бога – это её
квартира,
А все остальные – хоть в чём-то да виноваты
Перед её высочеством, кошкой Бога…
Поэтому Бог ложился, она вставала
И каждому человеку – пускай немного,
Но портила жизнь: устраивала скандалы,
Стихийные бедствия, экологические
катастрофы,
Творила вселенский хаос в какой-нибудь
точке мира,
Одного из евреев по дурости довела до
Голгофы,
Взорвала что-то чертовски опасное близ Алжира…
Ну а потом – залезала к Богу под одеяло,
Будто там и была, чему прям-таки крайне
рада,
И настолько нежно на ушко ему урчала,
Что Бог не решался сослать её в недра ада.
Бог просыпался, натощак выкуривал сигарету,
Пытался вспомнить: а был ли на карте мира,
Допустим, Алжир? Потому что сейчас его типа
нету.
А кошка такая: «Не-е-е было там
никакого Алжира.
Я, чтоб ты знал, падших ангелов истребляла!
Вот сам подумай, на кой чёрт мне твои
афро-арабы?
Уж как я тебя люблю, а всё тебе, Боже,
мало…
Не бережёшь ты меня, не ценишь, хоть и пора
бы».
А Бог психует, кричит: «Как это не
было, блин, Алжира?
На кухне стоял – между раковиной и банкой с
квасом!
Я его лично туда поставил! Это моя
квартира!»
И всё это с таким недовольством, с
агрессией, басом.
Кошка, понятное дело, обиделась, нассала на
Трою.
Бог понимает, что прав, но чувствует себя
виноватым.
«Не обижайся, – шепчет, – я завтра новый Алжир
построю,
Потому что это вовсе не я, а ты создаёшь
закаты…
Кто его знает, может, и вправду не было там
Алжира,
Здесь такой беспорядок, бардак размывает
сушу…»
И думает кошка, которая живёт на вершине
мира:
«Ещё раз накажешь, я тебе, Бог, Карфаген…
разрушу».
Le
chat de Dieu
La chatte, sur les sommets du monde vivant
Comptait
qu’elle créait elle tous les soleils couchants,
Que
les appartements de Dieu étaient les siens
Que
tous les autres — étaient coupables plus ou moins
Devant
sa Majesté, la chatte de Dieu…
Alors
quand Dieu était couché, la chatte se levait subterfuge
Et
de chaque être humain, ne serait-ce qu’un peu
Elle
pourrissait la vie : en faisant du grabuge,
Catastrophes écologiques, fléaux naturels
En quelque point du monde, elle
jetait un chaos universel
Au Golgotha par malice, un Juif elle
conduisit,
Et explosa un truc diaboliquement
dangereux non loin de l’Algérie
Bon, et après, sous la couverture,
elle se glissait vers Dieu le Père
Comme si quelque chose par là, la
réjouissait carrément,
Elle lui miaulait ensuite, à
l’oreille, si tendrement,
Qu’il ne pouvait se résoudre à la
jeter au fond de l’enfer.
Dieu se réveilla, fuma à jeun une
cigarette,
Tenta de se souvenir, sur la carte du
monde, existait-il,
Admettons, l’Algérie ? À
présent, il n’en restait pas tripette.
Mais la chatte : « Non-on-on,
là-bas pas d’Algérie, c’est facile.
Sache, pour ta gouverne, les anges déchus, j’ai détruit !
Tes Afro-Arabes, qu’est-ce que tu veux que ça me fasse,
réfléchis ?
Je t’aime tant, mais toi mon Dieu, ça ne te suffit pas…
Il serait grand temps, mais tu ne me protèges, et ne m’estime
pas ».
Et Dieu se fout en boule,
s’écrie : « Comment ça pas d’Algérie bon sang ?
Elle était dans la cuisine, entre l’évier et la canette de
kvass !
C’est moins qui l’ai mise là ! C’est mon
appartement ! »
Et tout ça mécontent, agressif, d’une
voix de basse.
La chatte, c’est entendu, vexée,
pissa sur la ville de Troie
Dieu se sent coupable, sachant qu’il
a raison toutefois.
« Ne te vexe pas — murmure — demain la nouvelle Algérie sera mon enfant,
Parce que ce n’est pas moi du tout, mais toi qui crée le
couchant…
Qui sait, peut-être, qu’il n’y avait pas d’Algérie là, en fait,
Un tel désordre ici, un tel bordel que la terre ferme fait
naufrage… »
Et, songe la chatte qui vit du monde
sur les sommets :
« Je vais encore te punir, Dieu, je détruirai
Carthage… »
Ахтэна яхат
Покорить весь мир на гнедом жирафе
В никакой стране и раю проклятом.
Я хочу быть как… Муаммар Каддафи
В семьдесят восьмом – девяносто пятом.
Ахтэна яхат саави саану,
Саави темво саави самвира.
Ахтэна яхат. Всё идёт по плану.
Всё идёт по плану захвата мира.
Кто там в этом грёбаном Пентагоне
Смеет называть меня вурдалаком?
Все козлы, а я – Муаммар в законе,
Белый дом я – ахтэ нааха… раком.
За свободу слова не дам ни цента,
И за демократию врать не стану,
Но американского президента…
Ахтэна яхат саави саану.
Ахтэна яхат саави самвира!
Вашингтон всецело подвергну аду!
Ливию признают столицей мира
Даже те, кто ахтэн яхат сааду.
Ахтэна яхат саави саата.
Сеять справедливость не перестану,
И Совбез ООН, и любое НАТО,
Если надо, – тоже яхат саану.
Я войду в Нью-Йорк на гнедом жирафе,
Всех пересчитаю по некрологу,
Потому что я – Муаммар Каддафи…
Ахтэна яхат вам теперь, – ей-богу.
Александр Вавилов
Akhten
Iakhat
Du haut d’une girafe bai, le monde
entier soumis
Dans un pays bidon, un paradis maudit.
Je veux être comme…Mouammar Kaddhafi.
De soixante-dix-huit à
quatre-vingt-quinze, comme lui.
Akhten Iakhat, saavi,
Saavi temvo, samvira
Akhtena Iakhat. Tout se passe comme
prévu, oui.
Comme prévu, du monde on s’emparera.
Qui donc dans ce putain de Pentagone
S’est permis de me traiter de bête
Tous des chiens, et moi — je suis
Mouammar le Don
La Maison Blanche je — akhte naakha…
en levrette.
Pas un centime à la liberté
d’expression,
Je ne mentirai pas sur la démocratie,
Mais du président américain, les
élucubrations…
Akhten Iakhat saanou saavi.
Akhten Iakhat saavi samvira !
Je ferai de Washington un trou
infernal
La Lybie sera reconnue comme capitale
mondiale
Même ceux qui — Akhten Iakhat saada.
Akten Iakhat saavi saata
Je ne cesserai la
justice de diffuser
Dans n’importe quel OTAN, et Conseil de Sécurité,
Même ceux qui,
Iakhten Iakhat, saata.
J’irai à New York
sur ma girafe bai
Je vous énumérerai
sur la nécrologie
Parce que je suis
Mouammar Kaddhafi
Akhten Iakaht,
fichtre, pour vous maintenant, c’est fait.
Alexandre Vavilov
On ne présente plus Édouard Limonov |
Власть львица
Власть мощным сфинксом лапу подымает
Грозит,
оскалясь пастью, и рычит
Власть –
львица, и хвостом нам львица не виляет,
Но
сильным, как прутом, им по боку стучит…
Власть
смертью отдаёт и кровью, грязным телом.
Бросается и сбив, ломает кости нам,
С добычею
своей, храпя остервенело,
Волочит
храбреца к прибрежным валунам…
Там
начинает жрать, живот и пах в начале,
Страдалец
ещё жив, и в желтые зрачки
Он
смотрит, онемев, в своем ума едва ли:
«Она меня
жует!» и… ужаса куски…
Прибой
смывает кровь, шипя над грудной мяса
Из облака
Господь взирает, выгнув бровь
Ему не comme il faut, глаза
прикрыл он рясой…
Такая вот
она, державная любовь…
У львицы
круп стальной, все лапы из металла
В глаза её
искрит вольфрамова дуга,
Привыкла
отвечать на позывной «Валгалла»
В комплект
клыков-когтей добавлены рога…
Эдуард Лимонов, Золушка береманая.
Le
pouvoir est une lionne
Le pouvoir, a levé la patte, tel un sphinx
puissant,
Il menace et rugit, montre les dents du
loup
Le pouvoir — est une lionne, et n’agitera
pas sa queue pour nous,
Mais leur frottera les côtes, à coups de
barre, violemment…
Le pouvoir rend la mort et le sang, d’un
corps souillé.
S’élance, et nous brise les os, offensive.
Avec sa proie, grinçant, acharné,
Traîne le téméraire vers les rocs de la
rive.
Et là se met à dévorer, par le ventre et
l’aine commençant,
La victime vit encore, et d’une jaune
prunelle,
Contemple, muette, à peine dans son état conscient :
« Elle me mâche ! » et…
horreur, en rondelles…
Le ressac lave le sang, sur la chair de la
poitrine, grésillant.
Des nuages le Seigneur observe, fronçant le
sourcil,
Il ne trouve pas ça comme il faut, de sa
soutane ses yeux voilant,
Voilà l’amour des puissances, semble-t-il…
La lionne a une croupe d’acier, toutes ses
pattes sont métalliques,
Dans ses yeux un arc au tungstène
étincelle,
Du Walhalla, elle est habituée à entendre
l’appel,
À ses griffes et ses crocs on ajoutait des cornes rustiques.
À ses griffes et ses crocs on ajoutait des cornes rustiques.
Édouard Limonov, Cendrillon Enceinte