J'ai croisé Daniel Orlov à
Niijnii_Novgorod, il y a déjà deux ans. Il était costaud, cordial et
sympathique, rudesse joviale d'un mec qui avait longtemps travaillé dans le
Grand Nord sibérien. Une gueule et une carrure, une tonitruance à la Hemingway.
Son roman «Tchesnok» (L'Ail, éditions «Э », 2018), celui d'un travailleur sibérien dans
l'industrie lourde, me plut beaucoup. La première scène racontait le règlement
de compte annuel des prolos de Kronschtad, où il vit, des prolos du port avec les
chauffeurs de taxi qui les arnaquaient toute l'année sur la vodka en dehors des
heures légales, devant la gare. Plus que tout autre, son hommage à mon ami Édouard
Limonov, me paraît digne d'être traduit…
Sans doute écrirai-je quelque chose de plus intelligible plus tard. Pour
l'instant, je ne peux pas. On s'était habitué depuis longtemps à l'idée que
«son heure avait sonné», tout d'abord une commotion cérébrale, puis, il y a
deux ans, un diagnostic d'oncologie. Ça ricanait qu'il nous enterrerait tous.
Cependant, le Vieux (comme il s'était lui-même baptisé, persuadé d'avoir le
droit de s'inventer un nouveau nom) savait qu'il allait mourir. Parce que rien
de ce qu'il a dit ces derniers jours n'était accidentel. C'était le dernier
Grand Écrivain russe au sens du XIXe siècle. Il ne faisait pas seulement partie
des Titans, il faisait partie des Célestes. Un dinosaure à l'époque des
blaireaux, des marmottes, des boîteux en livrée. Un Mishima russe, le dernier
ronin de l'empire rouge. Je suis heureux d'avoir eu la chance de reconnaître devant lui mon
amour de ses livres et de m'effondrer sous ses yeux sur une marche d'une scène
à Krasnoïarsk, ayant bu jusqu'à l'ivresse dans l'euphorie de l'amitié de
littérature et de la vie en général. Le Vieux aimait lui aussi la vie, comme
homme et comme écrivain. Et ses livres
en témoignaient avec incandescence. Il n'y a plus d'écrivains russes de
ce calibre. Il fut contemporain de cinq générations, on n'en fait plus des
comme lui. Ceux d'aujourd'hui sont des petits bras.
Daniel Orlov
Наверное, потом я напишу что-то внятное. Сейчас, если честно, не могу. Мы
давно свыклись, что ему "пора". Вначале геморрагический инсульт,
потом около двух лет назад диагноз "онкология". Хихикали, что ещё
переживёт всех нас. Однако Дед (он так сам себя назвал, чувствуя, что имеет
право придумать себе новое Имя) знал, что помирает. Потому всё сказанное им в
последние дни сказано не просто так. Он был последний Великий русский писатель
в понимании ещё 19 века. Он был даже не из Титанов, он был ещё из небожителей.
Динозавр во времена барсуков, сурков и хомяков в военных френчах. Русский
Мисима, последний ронин красной Империи. Я счастлив, что успел признаться в
любви к его книгам и рухнуть у него на глазах со ступенек какой-то красноярской
сцены, напившись допьяна в эйфории любви к друзьям, литературе и вообще к
жизни. Дед тоже любил жизнь как мужик и писатель. И этим жарко пахли его книги.
Таких русских писателей больше нет. Он был ровесником пяти поколений, таких
больше не делают. Теперешние мелковаты.