JE VOUS EN PRIE, NE ME FAITES
PAS DIRE « GAME OF DRONES » !
Par War Nerd (Le fou de guerre)
« Après mûre réflexion, il serait peut-être plus simple
pour Pompeo d’admettre que l’Iran existe »…
(Traduit de l’anglais par Thierry Marignac)
Nous venons de traverser l’un des engagements militaires
décisifs du XXIe siècle, la supposée « attaque de drones » sur les
énormes installations pétrolières de Khurais et Abquaiq.
Le 14 septembre vers 4 h du matin, des explosifs transportés
par un engin volant ont touché ces deux cibles qui sont distantes de 200 km
l’une de l’autre. Cela a été baptisé « attaque de drones » par les
médias saoudiens parce que les engins volants étaient apparemment assez
lents pour être pris sous le feu de deux
nids de mitrailleuses dans les installations visées.
Il s’agissait d’une attaque massive, pas un geste
symbolique, mais plutôt d'une frappe stratégique à l’industrie qui est le seul
ciment de l’Arabie Saoudite.
Et c’était une attaque de grande envergure. Il y avait une
flopée de missiles : les Saoudiens reconnaissent 17 impacts, et d’un
nombre supérieur encore de frappes manquant la cible. Les effets ont été de
grande ampleur et les financiers parlaient de « coup qui change la
donne », expression très grossière dans leur dialecte.
Il est clair qu’il s’est passé quelque de grave.
Mais les reportages qui nous sont parvenus sont défectueux,
pleins de trous, à commencer par l’insistance sur les « drones ». Si,
comme Mike Pompeo y a fait allusion plusieurs fois, l’attaque a été lancée
d’Iran ou du secteur sud-ouest de l’Irak contrôlé par une milice shiite , le
drone aurait du franchir une distance de 500 à 800 km pour toucher Khurais et
Abquaiq, sachant que ces deux cibles sont distantes de 200 bornes l’une de
l’autre.
Même un lancement depuis la Côte iranienne aurait excédé de
beaucoup la portée du Abadil/Qaset le
drone porteur de projectiles des Iraniens et des Houtis.
Khurais est à environ à 200 km à l’intérieur des terres, et
le côté perse du Golfe offre encore une largeur d’au moins deux cents kilomètres
à cet endroit.
Donc à moins que le Abadil/Quaset
n’ait fait l’objet de perfectionnements inédits à ce jour, il possède un alibi
en béton. Alors je me pose la question : pourquoi est-ce que la première
vague d’actualités a tant insisté sur
les « drones ». Pourquoi obligatoirement des drones ? Pourquoi
pas de simples missiles balistiques, versions du SCUD ? Si on prend un
compas imaginaire et qu’on dessine le diamètre de la portée des missiles
balistiques et de croisière fabriqués par les usines iraniennes, la distance
pose moins de problèmes. Le réglementaire missile sol-sol balistique iranien le
Shahab-3 peut être modifié de manière
à atteindre des cibles distantes de 2000 km. Ce qui signifierait qu’ils ont été
lancés d’Iran comme l’affirme Mike Pompeo. Mais ça peut aussi vouloir dire
qu’ils ont été lancés des territoires Houthi au nord-ouest du Yémen. De Sana’a,
la capitale tenue par les Houthis, la distance jusqu’à Khurais est de 1600 km
par la route — elle n’est pas très embouteillée en ce moment, bien sûr, peu de
gens se bousculent pour passer par là — et bien moins à vol d’oiseau comme ce
serait le cas d’un Shahab-3. Même Abqaiq,
plus près du Golfe, se trouverait dans ce cercle imaginaire des 2000 k avec
Sana’a en son centre. L'Iran a d’autre part des missiles de croisière,
susceptibles d’être assez lents et assez sonores pour essuyer le feu des nids
de mitrailleuse dans les installations, et ont sans aucun doute la portée
nécessaire pour atteindre ces cibles de n’importe où dans la région : Irak,
du sud, Iran, ou Yémen nord-ouest. Ils peuvent aussi en avoir équipé leurs
alliés Houthis : je n’en sais rien. Il se peut que ces missiles lents et
bruyants aient distrait les gardes tandis que les missiles balistiques
terminaient leur longue courbe. Ou il peut s’agir de drones lancés comme de
pures leurres par les cellules shiites du Royaume saoudite. La Province
orientale de celui-ci où se trouvent Abquaiq, Khurais et les gros champs de
pétrole, est peuplée par une majorité de shiites — et comme me l’a appris mon
expérience personnelle, les shiites de toutes obédiences sont loin d’être ravis
par la férule des bigots Wahabites. Personne ne sait combien de shiites vivent
en Arabie Saoudite, parce qu’il n’y a qu’une seule secte légale dans le pays, et les
shiites n’en font pas partie. Alors les derniers à vouloir savoir combien de
shiites au juste vivent dans la province orientale sont les hommes du clan Saoud de
Najd. Mais, quoiqu’il en soit, la colère des shiites de l’est devient parfois
si féroce et bruyante qu’elle brise le silence des Saoudiens, comme lorsqu’on
exécute le clergé shiite pour… être le clergé shiite. Il est donc possible
qu’il y ait eu un mélange de tactiques de même que d’armes impliquées dans
cette affaire : des drones comme leurres, lancées près de la cible par des
cellules dormantes : des missiles de croisière comme diversion et des
missiles balistiques de type SCUD. Quoi qu’il en soit cette attaque a été un
grand succès. Mais cela n’aurait dû surprendre personne. En tout cas pas les
lecteurs/auditeurs de WarNerd. On a répété à l’émission sans arrêt, que
l’Arabie Saoudite ne pouvait mener une guerre contre l’Iran parce que ses
infrastructures sont trop vulnérables « aussi fragiles qu’une colonie sur
la Lune » comme le disait notre ami Michael Pollak. Et voilà une attaque
low-tech à point nommé (le 14/09/2019) sur les infrastructures pétrolières
dans la province orientale. C’était inévitable. Les installations pétrolières
sont les cibles les plus aisées du monde. Ces deux installations saoudiennes
sont des cibles immenses, ce qui signifie qu’on a pas besoin d’un système de
guidage de précision.
Obtenir des données exactes sur la taille de ces
installations n’est pas facile mais Abqaiq, la plus petite, compte 44 000
résidents, au premier rang des plus grosses et plus vulnérables
« communauté fermées » sur la terre. Ce qui fixe tous ces gens dans le
désert de la province orientale c’est l’argent que rapporte le pétrole. Ce qui
les garde en vie, c’est l’eau, soit transportée par camion ou aspirée des
usines de désalinisation du Golfe. Et les Houthis ont déjà frappé l’une de
celles-ci à l’autre coin du Royaume. Ce qui nous ramène au point de
départ : je vous l’avais bien dit.
L’Arabie Saoudite ne peut faire la guerre à l’Iran. On ne sait pas (et en cas
de guerre ça n’aurait même pas d’importance)
d’où ces attaques ont été lancées ou quelles armes ont été utilisées. Le
propos, comme War Nerd le répète depuis des années, c’est que l’invasion
saoudienne du Yémen est un désastre, que la guerre avec l’Iran en serait un de
plus grande ampleur encore, et qu’après mûre réflexion il serait plus simple
pour Pompeo d’admettre que l’Iran existe, et que la famille Saoudienne fasse de
Ashura un jour férié légal. Ce qui est beaucoup plus intéressant dans cet événement
est qu’il marque un tournant décisif dans l’histoire militaire. De nombreuses
blagues définissaient le terrorisme comme « une violence perpétrée par des
groupes ne disposant pas d’aviation ». Eh bien, maintenant ils en ont une
— ceux que vous aimez et les autres.
© Andreï Molodkine |
Question :
Combien faut-il de F16 pour détruire les infrastructures saoudiennes par voie
aérienne ?
Réponse : Aucun.
Le War Nerd.