©Andreï Molodkine |
Les lecteurs de ce blog se souviendront de Yasha Levine membre historique du défunt magazine eXile et de ses articles sur la russophobie des médias américains grand public. Il intervient ci-dessous sur le thème du dernier scandale anti-Trump. Nous ne saurions trop recommander au lecteurs anglophones de s'abonner à sa lettre d'informations.
TRUMP, L’UKRAINE ET LES DIASPORAS
UTILISÉES COMME ARME DE GUERRE
Par Yasha Levine
(Traduit de l’anglais par TM)
Les gens ont oublié aujourd’hui qu’une grosse partie des
« renseignements » qui ont contribué à gonfler le scandale de
l’ingérence russe dans les élections de 2016 ou « RussiaGate » a été
fournie et disséminée par des politiciens ukraino-américains.
J’étais en Russie pour la sortie de l’édition russe de Surveillance Valley, je n’ai donc pu suivre les derniers
développements du scandale de l’ingérence Trump-Ukraine — celui-ci portant sur
les activités louches de Hunter Biden en Ukraine — d’aussi près que je l’eus souhaité.
Mais j’ai observé comment l’affaire comprise au sens large se développait
depuis plusieurs années et l’un des éléments intéressants est la composante
très importante qu’on peut qualifier ainsi : immigrants utilisés comme
arme de guerre.
Donald Trump a essayé de tordre le bras de l’Ukraine pour
qu’elle sorte le linge sale sur Joe Biden et son fils Hunter quasiment depuis
son investiture. Et il a redoublé d’efforts à mesure qu’approchaient les
élections de 2020. Trump connaît bien ses angles d’attaque et voit
manifestement ici l’occasion rêvée de démontrer l’hypocrisie et la corruption
du Parti Démocrate. Et on dirait que ça marche. Le Parti Démocrate fonce déjà à
la rescousse pour défendre Hunter Biden, et déploie tous ses efforts pour
minimiser le mode de vie kleptocratique
et jet-set du fils à papa. Je veux dire que le gamin s’est fait virer de la
réserve de Marine Nationale pour usage de coke, juste à temps pour décrocher un
boulot à 50 000$ par mois chez un oligarque ukrainien qui cherchait les bonnes
grâces des officiels américains.
Mais le scandale d’ingérence Trump-Ukraine est plus vaste
que l’affaire Biden.
Il faut revenir à l’élection de 2016 et au
« RussiaGate », la croyance que Donald Trump et ses sbires se sont alliés à Vladimir
Poutine pour frauder aux élections. Pendant presque trois ans quasiment tous
les médias grand public l’ont répété, comme s’il s’agissait d’une parole
d’Évangile. Puis en avril dernier cette actualité en boucle a été douchée par
un peu de froide réalité. Comme l’annonça un New York Times groggy dans un gros titre : « MUELLER NE
TROUVE AUCUNE COLLUSION TRUMP-RUSSIE ».
Le récit du RussiaGate avait été alimenté par beaucoup de
sources très louches. Mais les gens ont oublié aujourd’hui qu’une notable
proportion de ces « renseignements » avait été fournie et disséminée,
par du personnel politique ukraino-américain.
Exactement : des ukraino-américains ont travaillé avec
des officiels du gouvernement ukrainien, des militants politiques et des
journalistes pour compromettre Trump, nourrissant l’écosystème américain de
cette désinformation. C’était particulièrement vrai des premières informations
sur le hacking du Parti Démocrate et
tout ce qui avait rapport à Paul Manafort le peu reluisant lobbyiste
Républicain qu’on présentait comme un génie du mal au service du GRU et
l’éminence grise de la quête de Poutine pour subvertir la démocratie
américaine.
Il
est capital de se souvenir que les journalistes américains n’étaient que trop
heureux de s’emparer des plus minuscules indices et des histoires les plus
abracadabrantes pour les ré-emballer et en faire des scoops solidement fondés
de sources dignes de confiance. J’ai eu un collègue dans un grand journal
américain qui se plaignait de l’appétit insatiable de leurs rédac-chefs pour toutes les histoires de collusion
Trump-Russie. Ils n’en avaient jamais assez et imprimaient n’importe quoi sans
poser de questions, même lorsque la nouvelle s’avérait finalement complètement
fausse. Et c’est arrivé très souvent.
Blue Dream © Andreï Molodkine |
Trump et ses soutiens de droite — de Sean Hannity à Rush
Limbaugh en passant par Epoch Times — se sont plaints de l’ingérence
ukrainienne dans l’élection 2016 depuis le début. Pour eux, il s’agissait
clairement d’une collusion entre les officiels du Parti Démocrate et un pouvoir
étranger pour influencer les élections — ce dont on accusait Trump. Les réacs
exagèrent peut-être certains éléments de l’affaire, mais dans l’ensemble c’est
plutôt exact : des Américains ont en effet travaillé avec des officiels
d’un gouvernement étranger pour tenter d’influencer les élections et un certain
nombre d’Ukrainiens-Américains ont pris part à cet effort.
Leur rôle n’a jamais été un secret. Ceux qui étaient
impliqués parlaient ouvertement – Bon Dieu, ils allaient jusqu’à se vanter,
même — dans la presse. Et pourquoi s’en seraient-ils privés ? En 2016,
personne ne pensait que Trump remporterait les élections, alors pourquoi se
cacher ?
Mon collègue Mark Ames a été le premier à évoquer l’angle
ukraino-américain dès décembre 2016 :
—Quand on parle d’une »
recherche de l’opposition », s’agit-il de celle du Democratic National
Comitee dirigé par la lobbyiste
ukrainienne Alexandra Chalupa ?
Ken Vogel, journaliste de Politico qui avait contribué à propager le RussiaGate en se fondant
sur des informations de contrebande sorties d’Ukraine, devait confirmer les
informations de Mark un mois plus tard et parvint même à faire admettre
publiquement à des gens qu’ils avaient travaillé à influencer les élections.
Comme Mark l’avait signalé il y a trois ans, l’un des
personnages centraux dans cette affaire était une lobbyiste ukrainienne
américaine aux relations très haut placées nommée Alexandra Chalupa. Elle était
employée par le DNC pour s’adresser aux communautés ethniques tout en servant
de conduit à la désinformation d’origine ukrainienne. Elle rencontrait
régulièrement des officiels ukrainiens, transmettait l’information au DNC, travaillait à l’encouragement des
comités d’enquête du Congrès, et servait en coulisses de source aux
journalistes américains.
Alexandra a une histoire familiale intéressante qui recoupe
mes recherches sur la transformation de la communauté ukrainienne-américaine en
arme. Elle vient d’une famille très active politiquement et se meut dans des cercles
nationalistes ukrainiens — un milieu récemment parvenu au pouvoir en Ukraine
après le soulèvement du Maïdan en 2014. Ses grands-parents ont fui l’Ukraine
orientale avec l’armée allemande devant l’avance soviet. La fuite d’Ukrainiens de cette manière pendant la guerre — avec les Allemands — signifie presque
certainement que son grand-père collaborait avec les Nazis. Et les archives
historiques, selon le chercheur Moss Robeson, semblent le confirmer. Ce qui placerait sa famille au milieu de la politique Guerre Froide américaine tendant
à instrumentaliser les collabos ukrainiens contre l’URSS — un programme dont j’ai
brièvement parlé dans mon précédent éditorial. Ce qui donne également au rôle d’Alexandra
dans le scandale d’ingérence ukrainienne une symétrie historique très claire.
Mais… c’est une autre histoire, plus vaste… pour un autre article.
©Andreï Molodkine |
Ce qui m’intéresse ici c’est l’aspect géopolitique des
immigrants Américains et les privilèges des diasporas : Quelqu’un comme
Alexandra Chalupa peut se permettre de se vanter ouvertement de son travail
pour influer sur les élections américaines sans aucune répercussion —
uniquement parce que son ingérence cadre avec les intérêts des dirigeants de la
politique extérieure américaine. En revanche, le système n’est pas tendre au
moindre soupçon de coopération avec l’autre camp.