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17.9.19

Ne me faites pas dire "game of Drones"

JE VOUS EN PRIE, NE ME FAITES PAS DIRE « GAME OF DRONES » !

         Par War Nerd (Le fou de guerre)
         « Après mûre réflexion, il serait peut-être plus simple pour Pompeo d’admettre que l’Iran existe »…
         (Traduit de l’anglais par Thierry Marignac)
         Nous venons de traverser l’un des engagements militaires décisifs du XXIe siècle, la supposée « attaque de drones » sur les énormes installations pétrolières de Khurais et Abquaiq.
         Le 14 septembre vers 4 h du matin, des explosifs transportés par un engin volant ont touché ces deux cibles qui sont distantes de 200 km l’une de l’autre. Cela a été baptisé « attaque de drones » par les médias saoudiens parce que les engins volants étaient apparemment assez lents  pour être pris sous le feu de deux nids de mitrailleuses dans les installations visées.
         Il s’agissait d’une attaque massive, pas un geste symbolique, mais plutôt d'une frappe stratégique à l’industrie qui est le seul ciment de l’Arabie Saoudite.
         Et c’était une attaque de grande envergure. Il y avait une flopée de missiles : les Saoudiens reconnaissent 17 impacts, et d’un nombre supérieur encore de frappes manquant la cible. Les effets ont été de grande ampleur et les financiers parlaient de « coup qui change la donne », expression très grossière dans leur dialecte.
         Il est clair qu’il s’est passé quelque de grave.
         Mais les reportages qui nous sont parvenus sont défectueux, pleins de trous, à commencer par l’insistance sur les « drones ». Si, comme Mike Pompeo y a fait allusion plusieurs fois, l’attaque a été lancée d’Iran ou du secteur sud-ouest de l’Irak contrôlé par une milice shiite , le drone aurait du franchir une distance de 500 à 800 km pour toucher Khurais et Abquaiq, sachant que ces deux cibles sont distantes de 200 bornes l’une de l’autre.

         Même un lancement depuis la Côte iranienne aurait excédé de beaucoup la portée du Abadil/Qaset le drone porteur de projectiles des Iraniens et des Houtis.
         Khurais est à environ à 200 km à l’intérieur des terres, et le côté perse du Golfe offre encore une largeur d’au moins deux cents kilomètres à cet endroit.
         Donc à moins que le Abadil/Quaset n’ait fait l’objet de perfectionnements inédits à ce jour, il possède un alibi en béton. Alors je me pose la question : pourquoi est-ce que la première vague d’actualités  a tant insisté sur les « drones ». Pourquoi obligatoirement des drones ? Pourquoi pas de simples missiles balistiques, versions du SCUD ? Si on prend un compas imaginaire et qu’on dessine le diamètre de la portée des missiles balistiques et de croisière fabriqués par les usines iraniennes, la distance pose moins de problèmes. Le réglementaire missile sol-sol balistique iranien le Shahab-3 peut être modifié de manière à atteindre des cibles distantes de 2000 km. Ce qui signifierait qu’ils ont été lancés d’Iran comme l’affirme Mike Pompeo. Mais ça peut aussi vouloir dire qu’ils ont été lancés des territoires Houthi au nord-ouest du Yémen. De Sana’a, la capitale tenue par les Houthis, la distance jusqu’à Khurais est de 1600 km par la route — elle n’est pas très embouteillée en ce moment, bien sûr, peu de gens se bousculent pour passer par là — et bien moins à vol d’oiseau comme ce serait le cas d’un Shahab-3. Même Abqaiq, plus près du Golfe, se trouverait dans ce cercle imaginaire des 2000 k avec Sana’a en son centre. L'Iran a d’autre part des missiles de croisière, susceptibles d’être assez lents et assez sonores pour essuyer le feu des nids de mitrailleuse dans les installations, et ont sans aucun doute la portée nécessaire pour atteindre ces cibles de n’importe où dans la région : Irak, du sud, Iran, ou Yémen nord-ouest. Ils peuvent aussi en avoir équipé leurs alliés Houthis : je n’en sais rien. Il se peut que ces missiles lents et bruyants aient distrait les gardes tandis que les missiles balistiques terminaient leur longue courbe. Ou il peut s’agir de drones lancés comme de pures leurres par les cellules shiites du Royaume saoudite. La Province orientale de celui-ci où se trouvent Abquaiq, Khurais et les gros champs de pétrole, est peuplée par une majorité de shiites — et comme me l’a appris mon expérience personnelle, les shiites de toutes obédiences sont loin d’être ravis par la férule des bigots Wahabites. Personne ne sait combien de shiites vivent en Arabie Saoudite, parce qu’il n’y a qu’une seule secte légale dans le pays, et les shiites n’en font pas partie. Alors les derniers à vouloir savoir combien de shiites au juste vivent dans la province orientale sont les hommes du clan Saoud de Najd. Mais, quoiqu’il en soit, la colère des shiites de l’est devient parfois si féroce et bruyante qu’elle brise le silence des Saoudiens, comme lorsqu’on exécute le clergé shiite pour… être le clergé shiite. Il est donc possible qu’il y ait eu un mélange de tactiques de même que d’armes impliquées dans cette affaire : des drones comme leurres, lancées près de la cible par des cellules dormantes : des missiles de croisière comme diversion et des missiles balistiques de type SCUD. Quoi qu’il en soit cette attaque a été un grand succès. Mais cela n’aurait dû surprendre personne. En tout cas pas les lecteurs/auditeurs de WarNerd. On a répété à l’émission sans arrêt, que l’Arabie Saoudite ne pouvait mener une guerre contre l’Iran parce que ses infrastructures sont trop vulnérables « aussi fragiles qu’une colonie sur la Lune » comme le disait notre ami Michael Pollak. Et voilà une attaque low-tech à point nommé (le 14/09/2019) sur les infrastructures pétrolières dans la province orientale. C’était inévitable. Les installations pétrolières sont les cibles les plus aisées du monde. Ces deux installations saoudiennes sont des cibles immenses, ce qui signifie qu’on a pas besoin d’un système de guidage de précision.

         Obtenir des données exactes sur la taille de ces installations n’est pas facile mais Abqaiq, la plus petite, compte 44 000 résidents, au premier rang des plus grosses et plus vulnérables « communauté fermées » sur la terre. Ce qui fixe tous ces gens dans le désert de la province orientale c’est l’argent que rapporte le pétrole. Ce qui les garde en vie, c’est l’eau, soit transportée par camion ou aspirée des usines de désalinisation du Golfe. Et les Houthis ont déjà frappé l’une de celles-ci à l’autre coin du Royaume. Ce qui nous ramène au point de départ : je vous l’avais bien dit. L’Arabie Saoudite ne peut faire la guerre à l’Iran. On ne sait pas (et en cas de guerre ça n’aurait même pas d’importance)  d’où ces attaques ont été lancées ou quelles armes ont été utilisées. Le propos, comme War Nerd le répète depuis des années, c’est que l’invasion saoudienne du Yémen est un désastre, que la guerre avec l’Iran en serait un de plus grande ampleur encore, et qu’après mûre réflexion il serait plus simple pour Pompeo d’admettre que l’Iran existe, et que la famille Saoudienne fasse de Ashura un jour férié légal. Ce qui est beaucoup plus intéressant dans cet événement est qu’il marque un tournant décisif dans l’histoire militaire. De nombreuses blagues définissaient le terrorisme comme « une violence perpétrée par des groupes ne disposant pas d’aviation ». Eh bien, maintenant ils en ont une — ceux que vous aimez et les autres.
© Andreï Molodkine

         Question : Combien faut-il de F16 pour détruire les infrastructures saoudiennes par voie aérienne ?
         Réponse : Aucun.
         Le War Nerd.