La transmission, mission s'il en fût, est semée d'embûches — a priori, personne n'en a rien à secouer. Contre toute attente, votre serviteur y connut quelques succès. Le poète homosexuel de Times Square Bruce Benderson, l'ex guitariste punk britannique Charles Higson, le plus punk des auteurs russes Vladimir Kozlov, les génies littéraires déjantés: Carl Watson, misanthrope de Chicago, et, plus récemment, Andreï Doronine, ex-camé de Norislk, la ville du nickel construite par les prisonniers du Goulag. Les délires nymphomanes de Kathy Acker dans Algeria, le beau poème d'amour en prose de la lesbienne Sarah Schulman avec After Delores. La violence de Phillip Baker, gangster jamaïcain croisé à Brooklyn, dans Rasta Gang. Par quel miracle suis-je parvenu à les traduire et faire publier à Paris — sujet sur lequel je me perds en conjectures. L'acharnement, sans doute. Avec le mallarméen Sergueï Tchoudakov, le Villon russe, l'histoire est un peu différente, c'est notre co-blogueuse Kira Sapguir qui me mit au parfum sur le poète maquereau de l'ère Kroutschev. mais j'apportai ma pierre à l'édifice en y faisant allusion devant mon vieil ami Danila Doubschine, féroce collectionneur, et érudit, qui n'en avait jamais entendu parler, assez vexé, du reste — Parisien, j'en savais plus que lui sur un poète de Moscou et non des moindres. Une semaine plus tard, Danila savait tout et m'emmenait dîner chez l'éditeur de Tchoudakov. Ensuite, il tourna un documentaire sur Tchoudakov, et tout ce qui restait dans l'ombre sur la biographie du poète maudit sur lequel on ne possédait qu'une photo vit le jour petit à petit, y compris sa mort mystérieuse. Je ne m'étais pas trop trompé, en le comparant à Lautréamont, sur lequel on possède à présent des informations sérieuses. Tchoudakov, chassé de chez lui par des bandits caucasiens dans les féroces années 1990, était mort de froid (fiche de police) dans une entrée d'immeuble. Récemment, de nouvelles photos du poète,visiblement prises par la police (ci-dessous), sont apparues. C'est notre co-blogueur Vincent Deyveaux qui nous les envoie. Le poème qui les accompagne est un témoignage de solitaire.
(Traduit du russe par TM)
J'oppose à l'univers
Pas terminé, mon
verre
Sur le parquet de
sapin
Les rongeurs font
leur chemin
Je suis dans un
château étranger
Comme une sorte de
Jeanne d'Arc
Le système des
rats dérangés
À domicile un
zooparc
Il est convenable
légalement
Dans la vie
quotidienne soviétique
Les oreilles à
l'appareil téléphonique
Les coller, les
clouer instamment
J'y décèle un
obstacle dans ma strophe
Attendre les coups
de fil, inutile
Personne au bout
du fil
Ne demandera "Tchoudakov?"
Et encore, à demi-couplet
Démarche
littéraire
Sur l'épineux
parquet
Du Nouvel An, je
suis destinataire
À l'honneur de Boutyrka[1], je bois en rafales
Sur la nappe, une
tache s'étale
Les frais du
lavage s'ajoutant
Aux dépenses pour
le vin du Nouvel An
De cette situation
solitaire
J'ai conçu une
évasion
En tout quatre
vers
De la neige du
Nouvel An, la vision
Une lime je ne
prendrai pas
Héros romanesque
je ne suis pas
Mon sobre
compagnon d'ivresse, ce soir
N'est que mon
double dans le miroir
Les lois du genre,
hélas
De banalités sont
remplies
Dors bien, Janna,
Nous attendent les
rêves de la nuit
31 décembre 1972
Sergueï Tchoudakov
Поставлю против света
недопитый стакан
на ёлочках паркета
гуляет таракан.
Я в замке иностранном
как будто Жанна д'Арк.
Система с тараканом
домашний зоопарк.
Положен по закону
простой советский быт
ушами к телефону
приклеен и прибит.
Я вижу в нём препону
не стану ждать звонков
никто по телефону
не скажет Чудаков.
Ещё на полкуплета
литературный ход
на ёлочках паркета
встречаю новый год.
Пью залпом за Бутырку
на скатерти пятно
прибавь расход на стирку
к расходам на вино.
Из этой одиночки
задумал я побег.
Всего четыре строчки
и новогодний снег.
Я не возьму напильник
я не герой из книг
мой трезвый собутыльник
лишь в зеркале двойник.
Увы законы жанра
банальности полны.
Спокойной ночи Жанна
нас ожидают сны.
Сергей Чудаков
31 декабря
1972