CARL
WATSON, UN MEC PAS ORDINAIRE.
Si j’étais écrivain, j’écrirais comme
Carl Watson. Je ne suis, hélas, que romancier, fils d’un moindre Dieu. Vous vivez dans un monde enchanté, qui m’est
refusé (Drieu La Rochelle, Troisième
Lettre aux surréalistes sur l’amitié et la solitude, NRF, 1927). Dans La
Chambre d’Harry, (in Sous l’Empire
des oiseaux, éditions Vagabondes, 2007) Carl Watson a décrit, mieux que je
n’aurais su le faire, mes propres errances d’adolescent paumé dans la grande
ville. Harry cherche une chambre, qu’il ne trouvera jamais, — le lieu magique
de l’écriture. Entretemps, il passe la ville — dans ses aspects les plus
dantesques — aux rayons X, sur le laser déchiqueté d’un cœur brisé. La chambre
introuvable, mythologique, lieu de paix donc de puissance, dans la nordique
Babylone ( New York, c’est pour les
ploucs !…La ville, la seule, l’unique, c’est Chicago !…) au cœur
de Skid Row, un des pires bas-fonds
de l’Occident, sert de prétexte à l’étrange amour qu’éprouve Harry pour La
vie comme une décharge de revolver un tir désordonné et sinistre (E.
Limonov, Journal d’un Raté, Albin Michel, 1982) .
Cette émotion est générée par la ville septentrionale, corsetée dans la pierre
tombale des destins édictés du chaos urbain, Les politiques de restructuration du gouvernement (Watson, La Chambre d’Harry).
J’ai tellement de respect pour Carl
Watson — que je ne vois, hélas, plus beaucoup, que j’ai loupé lors de mon
dernier séjour aux alentours de New York — que j’ai du mal à imaginer la
littérature sans lui, infime particule fondamentale, dernière roue du carrosse
dont on se souviendra. Seul en des temps délétères, Carl Watson s’accroche à
l’inexorable. Il aborde le véritable sujet : L’écrasement de l’être au profit de l’étant (Annie Le Brun, Si
Rien avait une forme… », Gallimard, 2010).
Une
Vie psychosomatique est une réussite de l’éditeur Benoît Laudier, l'homme de Vagabonde. J’avais
baissé les bras, comment persuader cet ermite de continuer son oraison
magnétique, après Hôtel des actes
irrévocables (Gallimard, 1997) et Sous l’Empire des oiseaux (Vagabonde,
2008) ? Mais il restait
suffisamment de vitalité à Watson pour
reprendre une nouvelle vie à travers la satire de son radar sur nos égarements
en commençant par la cellule-force : le couple. Ou ce qui en tient lieu,
et Watson dérive inévitablement sur la tangente abyssale, du vertige
anthropologique de la filiation et ses perspectives tordues, à partir de la
nostalgie, et du sex-appeal des impasses quotidiennes. Voici la manière dont la
vitalité Vagabonde a relancé le génie qui luxe les synapses sur une trajectoire
féconde. L’enquête qui court sur toute la durée de Une Vie psychosomatique dissèque nos tréfonds, comme toujours chez
Watson. Cette fois, c‘est par le biais d’une satire constante. Ce chef-d’œuvre
d’humour noir a les accents grinçants du mythe.
Thierry Marignac, 2011