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27.8.13

Psychowatson


         
         CARL WATSON, UN MEC PAS ORDINAIRE.
     Carl Watson est le seul génie littéraire que je connaisse sur cette planète, et je connais un nombre pharamineux de romanciers, écrivains, poètes, critiques et essayistes, sur trois continents. Carl Watson concocte un mélange unique de poésie, fiction, philo, états d’âme, et vision au scalpel de la terreur d’être, qui me semble digne des plus grands ancêtres, Bataille, Beckett, Hölderlin,  ceux qui ont vu : les os dénudés de la vie (Burroughs, Le Festin nu).
         Si j’étais écrivain, j’écrirais comme Carl Watson. Je ne suis, hélas, que romancier, fils d’un moindre Dieu. Vous vivez dans un monde enchanté, qui m’est refusé (Drieu La Rochelle, Troisième Lettre aux surréalistes sur l’amitié et la solitude, NRF, 1927).  Dans La Chambre d’Harry, (in Sous l’Empire des oiseaux, éditions Vagabondes, 2007) Carl Watson a décrit, mieux que je n’aurais su le faire, mes propres errances d’adolescent paumé dans la grande ville. Harry cherche une chambre, qu’il ne trouvera jamais, — le lieu magique de l’écriture. Entretemps, il passe la ville — dans ses aspects les plus dantesques — aux rayons X, sur le laser déchiqueté d’un cœur brisé. La chambre introuvable, mythologique, lieu de paix donc de puissance, dans la nordique Babylone ( New York, c’est pour les ploucs !…La ville, la seule, l’unique, c’est Chicago !…) au cœur de Skid Row, un des pires bas-fonds de l’Occident, sert de prétexte à l’étrange amour qu’éprouve Harry pour  La vie comme une décharge de revolver un tir désordonné et sinistre (E. Limonov,  Journal d’un Raté, Albin Michel, 1982) . Cette émotion est générée par la ville septentrionale, corsetée dans la pierre tombale des destins édictés du chaos urbain, Les politiques de restructuration du gouvernement (Watson, La Chambre d’Harry).
         J’ai tellement de respect pour Carl Watson — que je ne vois, hélas, plus beaucoup, que j’ai loupé lors de mon dernier séjour aux alentours de New York — que j’ai du mal à imaginer la littérature sans lui, infime particule fondamentale, dernière roue du carrosse dont on se souviendra. Seul en des temps délétères, Carl Watson s’accroche à l’inexorable. Il aborde le véritable sujet : L’écrasement de l’être au profit de l’étant (Annie Le Brun,  Si Rien avait une forme… », Gallimard, 2010).
         Une Vie psychosomatique est une réussite de l’éditeur Benoît Laudier, l'homme de Vagabonde. J’avais baissé les bras, comment persuader cet ermite de continuer son oraison magnétique, après Hôtel des actes irrévocables (Gallimard, 1997) et  Sous l’Empire des oiseaux (Vagabonde, 2008) ? Mais il restait suffisamment de vitalité à  Watson pour reprendre une nouvelle vie à travers la satire de son radar sur nos égarements en commençant par la cellule-force : le couple. Ou ce qui en tient lieu, et Watson dérive inévitablement sur la tangente abyssale, du vertige anthropologique de la filiation et ses perspectives tordues, à partir de la nostalgie, et du sex-appeal des impasses quotidiennes. Voici la manière dont la vitalité Vagabonde a relancé le génie qui luxe les synapses sur une trajectoire féconde. L’enquête qui court sur toute la durée de Une Vie psychosomatique dissèque nos tréfonds, comme toujours chez Watson. Cette fois, c‘est par le biais d’une satire constante. Ce chef-d’œuvre d’humour noir a les accents grinçants du mythe.
        
        Thierry Marignac, 2011