http://journal.liberty.su/photo/onemanstory
Alexandre Tchekmeniev (photographe) : « Histoire d’un humain ».
(Traduit du russe par TM)
Je voudrais raconter moins l’histoire de cette photo que l’histoire d’un homme. Feuilletant des tirages blanc et noir, je me suis arrêté sur ce cliché, que je ne pouvais montrer à grand monde, autrefois. Ce portrait a été fait dans la rue, dans la ville de Lougansk.
C’était un ami de mon père. On voyait bien en le regardant qu’il avait un certain nombre de «missions» à son actif (en argot de criminel, séjour en prison, exil forcé). Mais lorsqu’il évoquait ses huit «parcours» (en argot de criminel, condamnation, peine de prison) on n’y croyait pas tout de suite. Il s’avéra que ce temps passé sous les verrous à l’époque soviétique, l’était pour fainéantise et parasitisme — et qu’il l’avait subi pour question de principe. Il aurait probablement fait de nombreux autres séjours à l’ombre sans l’effondrement de l’Union Soviétique.
Je me souviens, qu’à la suite de ces peines de prison, il me demanda : «Alors, Sania, ton paternel ***, il est toujours en train de trimer à l’usine sur une machine-outil ?», « Eh bien oui, répondis-je, une inscription à la pointeuse pour la vie entière». «Mais moi, dit-il, je ne travaillais pas, et je ne travaillerai jamais, je préfère aller en taule». Il était comme ça. L’époque était comme ça. Le début des années 1990.
Mais au début des années 2000, pour pouvoir survivre, il lui fallut se résigner à travailler. Je ne sais pas comment ça s’était passé — je l’avais appris par des camarades à lui. Ils allèrent au cimetière, une fois, au Nouvel An, pour rendre hommage à la mémoire d’un ami, et burent plus que de raison. En rentrant chez lui, il s’endormit dans la neige. Et il s’en serait sorti quand même, mais des jeunes lui volèrent ses vêtements dans la nuit, et il mourut de froid.
Et pour moi, il vit encore grâce à cette photographie, et son histoire vit avec lui. Ce n’est pas grand-chose — une histoire qui se résume à deux paragraphes et quelques photos. En réalité, que laisserons-nous nous-même, vous et moi, sinon quelques clichés jaunis, et si Dieu le permet, une brève histoire écrite par quelqu’un d’autre…