La poétesse et sa prof de danse orientale, une actrice de théâtre de Baoumanka, quelque part dans le Caucase, au printemps dernier… photo © Maria Tchoumakova. |
Mais qui joue les romanciers…
Le roman est écrit. Le romancier est orphelin. Il erre chez lui, dans son jardin, Il téléphone à qui il ne faut pas, Il peaufine des vieilleries — à ses affaires, il n’y est pas.
Le roman est écrit. Le romancier — son créateur, son roi, Comme de son trône renversé À présent dans les mains d’une impartiale loi Il ne lui reste plus qu’à espérer, Que Celui qui a écrit le romancier Lui envoie la grâce ranimée Que tous les trésors de Montecristo, plus précieuse, Un sujet ! Pour se libérer à nouveau de la fallacieuse Maison, jardin Des coups de fil qui ne servent à rien, — Des nuits d’insomnie à la lueur des bougies Un nouveau roman, brusquement, il établit. 2002 Но кто играет романистом Роман дописан. Романист осиротел. Скитается по дому, саду, Звонит, кому не надо, Чинит старьё – он не у дел.
Роман дописан. Романист – Как будто свергнут с трона, Теперь в руках бесстрастного закона, Лишь оставляющего уповать, Что Тот, Кто написал и романиста, Пошлет живительную благодать Ценнее всех сокровищ Монте-Кристо – Сюжет! Чтоб вновь освободиться Звонков, кому не надо, - Не спать при свéчах по ночам, Роман слагая новый невзначай.
Les écrivains sont des cassandres Connaissant aveuglément l’avenir ; La prophétie est leur salamandre, Ne se noie pas dans l’eau, dans le feu vit sans faillir. Les écrivains voient la racine De ce qui se trame à l’entour Des souriants corps-à-corps et massacres en sourdine Des vaisseaux et des désordres de velours
Les écrivains sont des cassandres fantomatiques Médiums de la volonté cosmique Mais de quoi sont-ils eux-mêmes brisés Créés pour le bonheur, de douleur ils vont claquer ? Margarita de Sosnizka Писатели – кассандры, слепо знающие грядущее; Пророчества их – саламандры, в воде не тонущие, в огне живущие.
Писатели видят корень того, что творится вокруг: Улыбчивых рукопожатий и боен, судов и бархатных заварух.
Писатели – призрачные кассандры, медиумы космической воли... Но что так изломаны сами, cозданные для счастья, гибнущие от боли?
Маргарита Сосницкая Terminal Croisière est une eau-forte littéraire très aboutie par son trait, son style, le chromatisme des gris, les sensations, avec des pages magnifiques — tout le passage à l’île de Wight, et autres nombreux effets maritimes. C’en est décadentiste à certains égards comme le seraient une gravure d’un Félicien Rops, un parfum capiteux de JK Huysmans, des feuilles de fiers poètes forcément maudits. Le récit d’un galérien dandy qui, sur un malentendu, serait monté à bord d’un bateau croisière d’affairistes. Et si on pousse l’analogie picturale : Un Odilon Redon égaré au milieu d’une installation de Jeff Koons ou de Damien Hirst. Bref, la symbolique d’une bordée en un monde auquel le narrateur n’appartient pas, restant un marginal par sa fonction de traducteur, ses maigres revenus, et aussi par son pessimisme, ses obsessions — évidemment la situation enrichit plus son imaginaire que son portefeuille. De ce point de vue, le roman est réussi. Et peut-être même, par ce double effet de continuité et de rupture avec le précédent L’icône, il y a encore de la marge pour pousser davantage la radicalité poétique. Reste l’intrigue. À pousser le bouchon, à quoi bon une intrigue dans un roman de sensations ? Le choix est là un peu entre-deux. Le pan roman polar, ses différents ressorts dramatiques, comme les personnages autres que le narrateur peuvent paraître manquer de reliefs. Sauf que plus de psychologie, de part documentaire, analytique, aurait contrarié, sinon affadi, la dimension poétique, la nostalgie. Une question quasiment insoluble. On navigue là entre surcharge et minceur, selon qu’on y voit le verre à moitié vide ou à moitié plein. C’est de la cuisine, mais c’est la forme qui veut ça. C’est un roman de sensations. On peut dire que Terminal Croisière a les défauts de ses qualités. Les personnages de l’intrigue polar se confondent, mais cet effet renvoie à l’intrigue sentimentale tout aussi floue, au paysage marin, aux affairismes d’un monde qui échappe. J’admets que la pente critique est glissante. Que mon point de vue est réversible. L’harmonie est forcément tributaire de la dissonance. Je dirais que l’impression reste plutôt confuse pour tout ce qui est autre que la confusion. On peut aussi la lire comme la ligne de force du roman. Comme c’est écrit : « cédant la place à une confusion et un bonheur indescriptibles, aveuglants, je ne voyais plus rien… » Pierre-François Moreau, novembre 2021.
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