UKRAINE, TRUMP ET LE VÉRITABLE
SCANDALE
LE
JOURNALISTE AMÉRICAIN YASHA LEVINE DONNE CI-DESSOUS SON OPINION SUR LA DESTITUTION
DU PRÉSIDENT AMÉRICAIN :
(Traduit
de l’américain par TM)
J’ai tenté de rester aussi loin que possible de ce spectacle
de destitution alimenté par les barbouzes, mais il s’est révélé utile. Il a
aidé à mettre en lumière quelque chose qui est pris pour parole d’Évangile par
une grosse partie des cercles dominants politiques, militaires et relevant des
Affaires Étrangères en Amérique, mais cela n’a jamais été exprimé aussi
clairement, aussi publiquement et de façon si cohérente auparavant.
Permettez-moi de prendre une posture officielle, très Washington et d’appeler ça « la Doctrine Ukrainienne ».
Il s’agit de l’idée que l’Ukraine est une base avancée de la
guerre menée par l’Amérique contre la Russie — une barrière stratégique
militaire qui maintient la horde sauvage des Russes cloués sur place et les
empêche de submerger le monde occidental. C’est pour ça qu’on entend si souvent
l’antienne sur l’Ukraine comme partenaire « vital » et
« stratégique » et pourquoi cela exige des envois d’armes constants.
Si l’Amérique ne combat pas la Russie et ne tue pas de Russes en Ukraine, les
tanks russes vont déferler sur le Donbass, dépasser Kiev vers la Pologne, puis
l’Allemagne et la France… avant de s’embarquer et de naviguer jusqu’en
Amérique. Avant que vous ne puissiez vous en rendre compte, Poutine sera au
seuil de chez vous, à vous terroriser et vous piquer vos colis Amazon.
C’est une idée ridicule fondée sur un mode de pensée parano
Guerre Froide réchauffé. Nom d’un chien, la Russie n’a même pas pu empêcher
l’Ukraine de se tourner vers l’UE en 2014, parlez d’un pouvoir expansionniste. Cet
expansionnisme est mou du biceps pour le moins —et c’est dans un pays voisin
qui s’est trouvé dans l’orbite de la Russie culturellement, linguistiquement et
politiquement depuis des siècles.
Mais cette « Doctrine Ukrainienne" est plus qu’une
routinière inflation de la menace impérialiste. C’est fondamentalement
l’admission par notre classe politique dominante que nous sommes en guerre avec
la Russie. Non pas une guerre de « valeurs idéologiques » ou une
guerre de propagande d’influence douce, ou une guerre de sanctions mais ce que
les experts des laboratoires d’idées aiment appeler une guerre
« chaude » : une guerre dans laquelle l’Amérique combat la
Russie sur le sol ukrainien avec des corps d’Ukrainiens et des armes, un
entraînement, un soutien américain.
« Rappel : si nous n’avons pas d’Ukrainiens qui tuent
des Ukrainiens en Ukraine de l’Est avec des armes américaines, les Russes
envahiront d’abord l’Europe, puis l’Amérique, puis le monde. (21 décembre
2019) »
L’argument selon lequel « nous devons combattre les
Russes là-bas pour ne pas avoir à les combattre ici » a été répété sous diverses
formes pendant toutes les audiences de la procédure de destitution et la
couverture média non-stop qui les entoure. Les diplomates et les experts en
politique étrangère appelés à témoigner l’ont déclaré comme un état de fait.
Les Membres du Congrès en ont parlé comme si c’était une politique en œuvre. Il
n’y a eu aucun débat, aucune remise en question par le Parti Démocrate, et les
Républicains ne l’ont pas attaquée non plus. Pour autant que je sache personne n’était en désaccord avec le point de
départ selon lequel l’Amérique est en guerre avec la Russie. — et que l’Ukraine
en est le champ de bataille, bien que cette guerre n’ait pas été déclarée par
le Congrès ni qu’aucun président ne l’ai signée. Mais on ne déclare plus les
guerres de nos jours, n’est-ce pas ?
Si on lit les documents de la destitution, y compris les
articles de la destitution elle-même, on constatera que l’idée selon laquelle
nous sommes en guerre avec la Russie sous-tend une grosse partie de l’affaire
contre Trump. En dehors des accusations de népotisme, de corruption et de
tentatives d’influencer une élection, l’autre crime majeur de Trump est d’avoir
« compromis la sécurité nationale américaine » en retardant un peu
les presque 400 millions de dollars d’aide militaire à l’Ukraine, approuvés par
le Congrès. L’argument est qu’il « restera une menace pour la sécurité nationale »
s’il demeure président et doit être destitué. Cette ligne est exprimée plus
clairement encore dans le rapport du Comité de la Chambre sur la destitution.
Cette focalisation obsessionnelle sur la Russie, l’Ukraine
et la « sécurité nationale » quoi que ce terme puisse signifier — a
été utile en ce sens qu’elle a confirmé que d’autres journalistes, historiens et
moi, qui ont étudié et fait des reportages sur l’Ukraine savions depuis
longtemps. Le soutien de l’Amérique à
l’Ukraine a peu de choses à voir avec la
« démocratie » ou « l’état de droit » ou « la lutte
contre la corruption » ou n’importe lequel des slogans usés jusqu’à la
corde constamment brandis pour justifier des interventions impérialistes.
Aujourd’hui, l’Amérique voit l’Ukraine comme un allié stratégique parce qu’elle
s’en sert comme d’un bélier contre la Russie. Il s’agit de déstabilisation.
(Bon, déstabilisation et crapuleuse façon de gagner de l’argent, mais cela va
sans dire).
L’Ukraine ne peut vaincre la Russie quel que soit le nombre
de conseillers militaires américains entraînant les troupes ukrainiennes ou le
nombre de millions gagnés par les bonnes gens de Raytheon Inc. à vendre leurs
missiles Javelin. L’idée n’est pas que l’Ukraine gagne la guerre. L’idée est de
faire saigner la Russie — économiquement et militairement. Et peu importe
combien de gens meurent ou souffrent ou quelle proportion de l’Ukraine et de
son économie est dévastée au cours du processus.
Comme je l’ai déjà écrit auparavant, les dirigeants de la
politique étrangère américaine — ses diplomates, espions et politiciens — ont vu
l’Ukraine comme le champ de bataille clé dans leur combat contre l’Union
Soviétique depuis la fin des années 1940. Pendant des décennies, l’Ukraine et
sa diaspora ont été considérées comme des armes essentielles pour déstabiliser
l’Union Soviétique. C’est la raison pour laquelle l’Amérique, le Canada, le
Royaume-Uni et d’autres pays occidentaux ont ouvert leurs portes aux fascistes
et collaborateurs ukrainiens après la Seconde Guerre mondiale. Leur idéologie
féroce et leur volonté de mourir pour leur cause nationaliste perdue étaient
vues comme des qualités importantes dans la lutte contre le communisme.
Quelques-unes des premières opérations armées secrètes de la CIA contre l’Union
Soviétique consistaient à parachuter des guérilleros collabos ukrainiens nazis
derrière les lignes soviets pour des actions de sabotage et pour déchaîner la
révolte des paysans ukrainiens.
Et ça n’a pas beaucoup changé aujourd’hui.
Ça fait tourner la tête. Le bataillon extrémiste Azov a
récemment accueilli un important contingent occidental. C’est dingue. De quoi
ça a l’air de voir un officier américain rire avec un type qui porte un insigne
SS Wolsangel ? Nouvelle règle : Évitez les mecs à insignes SS !
L’Amérique voit toujours l’Ukraine comme une arme contre la
Russie. Et elle a toujours besoin des fascistes et ultranationalistes
ukrainiens pour combattre et tuer. Où pourrait-on trouver de jeunes hommes
prêts à se faire mutiler pour aller en découdre avec les Russes (ce qui
consiste principalement à braquer des mortiers contre d’autres Ukrainiens).
Les intérêts des fascistes ukrainiens et de l’appareil de la
politique étrangère américaine peuvent paraître alignés, mais cet alignement
est contraire à la volonté du peuple.
Il est important de se souvenir que la majorité des
Ukrainiens souhaitent la paix. Le président actuel du pays — Voldymir Zelenski
— a été élu cette année avec la plus grosse majorité de l’histoire
ukrainienne : 73% des votes. Il a fait campagne sur une plate-forme de
paix annonçant qu’il mettrait fin à la guerre en Ukraine de l’Est — une guerre
qui a fait des milliers de victimes et de mutilés, déplacé plus d’un million de
gens. J’ai vu des signes de cette destruction moi-même durant mon reportage sur ce conflit en
2014.
Un gamin de Lougansk me montra ces éclats "anti-personnel" des obus de mortier |
Les gens ont voté pour Zelenski en grand nombre principalement
parce qu’ils souhaitaient voir une solution pacifique à la guerre civile qui a
déchiré leur pays. On s’en doute la plus
grosse force du pays faisant barrage à la paix sont les mouvements fascistes et
ultra-nationalistes.
Mais on n’entendra rien de tout cela dans la frénésie
politicienne qui entoure les audiences de destitution. Il n’y est question que
de l’Amérique. En ce qui concerne les dirigeants de notre politique, l’Ukraine
n’est qu’un avant-poste plein d’Ukrainiens prêts à mourir pour nous sauver des
Russes. Voilà à quoi servent les amis et partenaires stratégiques !
Yasha Levine