Nager vers la Norvège, de Jérôme Leroy
Le réchauffement climatique, prétexte de cette équipée,
n’explique pas tout dans le dernier recueil de Jérôme Leroy. Je soupçonne
d’autres motivations : notamment un faible récurrent dont je lui fis la
remarque, un jour de canicule à la fête de l’Huma tandis que nous faisions
assaut d’élégance entre les vieux birbes du polar dans leurs sacs à patate, et
que je reluquais les jolies militantes envapées par son talent se succédant à
sa table :
—Je note un certain
penchant pour les blondes, avais-je observé.
—Ce sera le titre de
mes mémoires, avait-il répondu du tac au tac, Un certain penchant…
Pour les infortunés souffrant de cette affection chronique —
dont on ne parle pas assez — évidemment, la Scandinavie, c’est l’opium du
peuple.
On oublie aussi la souplesse du camarade, c’est un poète
communiste. Bien que l’écart ne soit peut-être pas si grand, si l’on songe au
lyrisme de certaines pages des Manuscrits
de 44[1], ou
au regard de chamane nécessaire pour découvrir « le caractère
fétiche de la marchandise et son secret[2] ». Or il en est de l’utopie dans les
poèmes de Leroy comme de la passante de Baudelaire : Ô toi que j’eusse aimé, Ô toi qui le savais… La présence ineffable du
trouble violent qui s’enfuit d’une phrase définitive, À nouveau, elle manque. La trouvaille n’est pas seulement habile,
elle est envoûtante, et sa fugacité fait son charme : La seule bonne nouvelle pour l’humanité était la réapparition des
coquelicots.
Non, je ne rentrerai pas dans une discussion pour déterminer
si l’utopie est blonde, je laisse ça aux réseaux sociaux. Le temps presse, à la
brasse, on a à peine dépassé Rotterdam. Ceux qui crawlent jusqu’au Cap Nord
sont aussi dopés que Ben Jonhson à Séoul. Et puis, on a beau dire, (Il avait lu dans la journée que la
température de l’Arctique était de vingt degrés supérieure à la moyenne
saisonnière), ce genre d’expédition athlétique, c’est un peu de tristesse
dans l’eau froide : L’âge et une
légère gueule de bois, me rendent aussi fragile que la trame du ciel…
Jérôme
s’est beaucoup entraîné, avant de se jeter à l’eau, la plupart du temps au sec,
dans les TER de la France profonde, mais aussi dans les ICE, sous les cieux
crissants de gel de la Baltique où l’entraîne — vieux gredin ! Ça c’est du
droit d’auteur ! — une œuvre littéraire traduite dans la langue de
Gœthe ; dans les sous-préfectures, où il faut respirer profondément, à
Annemasse au bistrot où fument, pensifs, de vieux Arabes, dont l’histoire ne
dit pas s’ils jouent aux dominos, mais le rythme du poème le suggère, un
claquement elliptique.
Ces errances retransmises entre deux icebergs, dont
l’envoûtante monotonie est un piège, comme le sang sur la plaine disait Carl
Watson, voguent au fil du temps comme Un
amour déraisonnable, Juste au moment où tout s’effondre.
Et, faute d’avoir trouvé le passage Nord-Ouest dont s’enivraient
les rêveurs sur caravelle, le poète touchant au but avait rejoint son adolescence…
Thierry Marignac,
2019.
Nager vers la Norvège,
Jérôme Leroy, La petite Vermillon, La Table Ronde, 207 pages, 16 €.