En cette fin d’année agitée, après
une série d’opérations de guérilla et contre-guérilla féroces, provocations,
embuscades, manœuvres et contre-manœuvres dans la partie septentrionale
Nord-Nord-Est —proche du cercle polaire — de l’extrême-continent virtuel,
théâtre des opérations du conflit opposant les irrédentistes d’ANTIFIXION, au
contingent répressif de la DINSIC (repérés, ils ont refilé le boulot à leurs collègues d'outre-quiévrain dont nous vous épargnerons la liste des visites, on peut la consulter sur Extreme-Tracking, on ne sait pas encore si EUROPOL est sur le coup), enfin — on respire !… — la trêve des
confiseurs.
Les forces de l’art, par la voix de
leur avocat Daniel Mallerin, et du peintre Placid s’interposent en nous offrant
des images pacificatrices d’un Paris post-moderne, qui personnellement nous
donne de l’urticaire — la ville, pas les images, remarquables, comme toujours —,
et devraient, outre épargner des victimes innocentes, nous permettre de nous
murger tranquilles dans la bonne humeur, et le ravissement de l’esthète, la
Kalachnikov sagement rangée dans l’étui à violon :
50 VUES DE PARIS
Toute affaire cessante, se rendre
au 3 de la Place des Grés à Charonne (XXe), loin des parcours
obligés, loin de n’importe quelle station de métro conseillée. Une mignardise de
place à la Raymond Peynet lovée sous un bouquet de magnolias. Aucune chance de
louper le N°3 en descendant la Vitruve, le ruban y descend tout droit, c’est le
local du Parti communiste de l’arrondissement, de plain pied sur la placette comme
une extension de la terrasse du Bar-restaurant Les Magnolias qui lui fait face, et d’ailleurs les vieux militants y
ramènent leur pinte, c’est encore plus tranquille, il y a des chaises, une
cuisine, un décor de vieille école, une atmosphère sans âge débarrassée des gaz
consuméristes, une lumière tamisée, les magnolias aux fenêtres et des
proportion parfaites pour y réaliser une exposition - vocation que s’est découverte
récemment la cellule dormante du XXe en donnant carte blanche au dessinateur
Jacques Pyon, lequel ambitionnant de faire
planer le genre humain, avait transformé la faucille et le marteau en enseigne
de cirque psychédélique, autant dire que le bocal communiste avait déjà fait
peau neuve avant que Placid ne s’y installe.
Aussitôt la porte franchie, une
espèce de chatouillement assaille les rétines : chatoiement, soulèvement, ordonnancement.
Ce sont les luminosités franches de
la gouache ; ce sont les immeubles, les palais, les tours, les flèches et les
dômes grattant sur leurs grands chevaux les ciels de Paris ; ce sont 50
ces hautes et étroites tranches de paysage disposés en deux rangs l’un
au-dessus de l’autre - rail martial étirant la verticalité démultipliée sur
tout l’espace.
50 nuances de ©Placid |
Chaque tranche est l’original d’une
chronique tenue par Placid de 2014 à 2017 dans le Mensuel CQFD (un tiers de page) sous le titre « Vu de
Paris, une sorte de rapport d’observation sur l’arrogance ordinaire de la
capitale (point de vue d’autochtone) taillé sur mesure pour l’équipe de rédaction
gaucho-marseillaise, gnark gnark.
Sur une table du local, un classeur
regroupant les 50 coupures, permet de constater
que la singularité du mode d’expression
– une peinture en colonne rivée par un texte lapidaire – s’assimile sans mal
aux grilles de lecture ordinaires de la presse écrite. D’apparence enlevée et collant
autant que possible au train de l’actualité, la chronique procède d’un travail documentaire
perché à caractère caustique mais aussi et bien-sûr artistique – Placid, c’est
chic - malgré la qualité de reproduction prolétarienne. On lit ça en quelques
minutes, enregistrant l’image sur le mode automatique.
Une vitesse blasphématoire au
regard des objets d’art accrochés aux cimaises…
© Placid, Mosquée |
Passer de l’imprimé à l’original, l’expérience
est riche de paradoxes. Le premier, c’est le très long temps que ça demande :
50 textes à lire et autant de tableaux à décrypter par le détail ! Mais
c’est là précisément le motif du déplacement, la condition du plaisir à
grappiller au bout de la rue Vitruve, sur la place aux magnolias.
Chatouillement d’aise : Placid
a extrait les textes des images, en les déplaçant sur des cartels disposés sous
les œuvres (le classicisme de l’ensemble parachève le charme obsolescent du
lieu), ce qui a pour effet de donner toute son tranchant à leurs qualités
littéraires : l’ironie, l’économie, la précision et juste ce qu’il faut de
frime démagogique pour rester sur la ligne de front insoumise.
L’image déshabillée de son commentaire
- une colonne de peinture flottant au centre d’une feuille blanche – c’est
encore une autre sorte de chatouillement, une perplexité qui oblige à reconstituer
mentalement le cadre de la colonne CQFD, l’outil utilisé par l’artiste pour
découper un élément du paysage parisien comme s’il était vu au travers d’une meurtrière. Ceci explique cela, qui n’est pas
une œuvre d’art, seulement.
Chatouillement à se défaire de ses
habitudes – voir sans regarder –, se défaire de la manie de l’harmonie et de
notre assujettissement à la composition – l’ordre visuel est imaginaire.
La rouerie de Placid désarçonne et
amuse tant elle se montre scrupuleusement conforme à son engagement contractuel -
tranche de paysage vaut planche anatomique –, une façon de passer au rayon X le
mythe de la grandeur de Paris. La réalité du mensonge sous le pinceau, sous le
scalpel : l’hôtel particulier de Bernard Tapie, l’immeuble de TF1, l’incinérateur
d’Ivry, l’entrée du Palais de Justice ou de la FIAC, le Ministère de la
Défense, etc. L’observation est drôle par sa rigueur implacable. Du sol aux faîtages,
la juxtaposition des matériaux, les coutures, les ratures architecturales,
l’envahissement du mobilier urbain, la collision du génie artisanal et de la
vulgarité, l’étalage des signes d’ostentation, la saturation des signes
d’injonction, tout ce bazar objectif, dans tous ses détails désopilants, ruine
joliment l’effet de stupeur recherché par les bâtisseurs.
Par la précision et la franchise
des couleurs, mais aussi par la sensation du risque répété, de son
accomplissement minutieux, la gouache - dans tous ses détails – offre ses
prodiges – plus réels, plus vivants et plus vrais que la vérité documentaire. Il
faut voir passer la muleta de près ! Ces prouesses fascinent autant que
les enluminures qui se détachent d’un manuscrit ésotérique, comme une libre et
sévère exigence, une façon de poésie. Le
peintre montre du doigt du pinceau l’astre du Pouvoir, son arrogance, sa
volonté d’intimidation, sa grotesque marque de fabrique. Et l’on regarde la
chose, et l’on regarde le doigt.
©Placid, Les Cheminées sur Seine |
La virtuosité tient sur un fil plein
d’épreuves et de traitrises, c’est le stress de l’envoyé spécial, la galéjade du
dessinateur. Il vous raconte 50 aventures cocasses. Car l’artiste, lui-même en
personne, présente chaque jour son exposition – sans corps intermédiaire –
comme une conversation sans fin.
Placid reporter raconte- en live - comment
il remplit virilement sa mission sur le mode « bouclage » - CQFD
n’est pas la NRF, mais un organe de presse vent debout dans le boucan national.
En deux jours choisit sa cible, mène son enquête, collecte les informations, se
rend sur place, tourne des heures durant autour – le froid, la pluie, le vent,
la foule, la parano des uns, la curiosité des autres, etc. - choisit son angle
de vue, sa meurtrière et attaque au pinceau, sans dessin préparatoire, la
représentation scrupuleuse de l’emblème choisi – l’exécution dure environ une journée – et la nuit venue, la gouache séchant,
complète son reportage par la rédaction du texte calibré de façon à se loger à l’impression dans une partie de
l’image, et expédie le scan à Marseille au dernier carat. Un vrai
« pro » sachant gagner ses galons.
Le poète montre les traces de pluie
sur le macadam, un soupçon de crachin dans un ciel de traîne.
Jusqu’au 5 janvier.
DANIEL MALLERIN, 2018.