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25.6.18

Un style débarrassé du superflu


(Notice du poète Brodski et vers de Limonov traduits par TM)
Les vers d’Édouard Limonov exigent, c’est connu, que le lecteur soit préparé. Ce qui semble excentrique dans ces vers, n’est en réalité rien d’autre que le développement naturel de la poésie dont les fondements ont été posés par Lomonossov, et que se sont appropriés au XXe siècle Khlebhikov et les poètes du groupe Oberiou[1]. Ce qui rapproche l’œuvre de Limonov de celle de ces derniers, c’est le profond tragique de son contenu, revêtu, en général, d’un habit extraordinairement léger d’esthétisme volontaire, frisant parfois le maniérisme. La circonstance distinguant Limonov du groupe Oberiou, et de tous les poètes vivants et morts, c’est que le style chez lui, si audacieux soit-il (il faut remarquer la surabondance d’inversions dans ses vers) n’est jamais une fin en soi, mais une illustration supplémentaire d’un haut niveau de trouble émotionnel – c’est à dire le pain dont se nourrit la poésie. Édouard Limonov est un poète qui a pris, mieux que tant d’autres, conscience que le chemin vers la clairvoyance philosophique ne se trouve pas tant dans thèse et antithèse, mais plutôt dans le langage lui-même, débarrassé de tout ce qui est superflu.
Iossif Brodski, prix Nobel de poésie 1987.
N.Zabolotski, chef de file du groupe oberiou autoportrait, 1925


Sur les villes une lune sanglante
Nous deviendrons des puces, des bactéries

J’aime la lune sanglante
Dans ses ruines et crevasses, j'aime mon pays

Chez le dictateur, un intellectuel sévère
Et bon — simplement égaré

Excellent — mais avec une vie de misères
Alors le sang humain il fait couler

Sous les doigts tout le cafard et l’ennui
Et la mort est ennuyeuse comme un épouvantail de pierre

D’une limousine, l’enfant apercevait
Comme un panier posé, le grand Yéti

Sur une falaise nordique surélevée
L’enfant du dictateur sur la terre trônait

Des questions sans réponses le taraudaient
Autour de lui des soldats au rouge nez

Et la brise marine secoue les bananes
Les habitants ont l’air de tsiganes

Et la lumière d’en haut. Et l’écume de la mer
Et le Yéti — signe que bientôt viendrait la guerre
ÉDOUARD LIMONOV, TIRÉ DU RECUEIL « MON HÉROS NÉGATIF », VERS 1976-1982.


Кровавая луна над городами
Бактериями станем. станем вшами
А я люблю кровавую луну
В развалинах и впадинах страну
С диктатором - интеллигентом строгим
Хорошим - только сбившимся с дороги
Прекрасным - но имевшим жизнь плохую
Поэтому и льющим кровь людскую
Под пальмами вся та ж тоска и скука
И смерть скушна как каменная бука
Ребенок увидал из лимузина
Большая бука села как корзина
На возвышенной северной скале
Диктатора ребенок на Земле
Имеет нерешенные вопросы
Вокруг него солдаты красноносы
И ветер с моря шевелит бананы
А жители глядятся как цыганы
И верхний свет. И вспененное море
И бука - знак войны что будет вскоре
ЭДУАРД ЛИМОНОВ, ИЗ СБОРНИКА « МОЙ ОТРИЦАТЕЛЬНЫЙ ГЕРОЙ»





[1] GROUPE DE POÈTES DE LÉNINGRAD (1927-1930) , LITTÉRALEMENT UNION DE L’ART RÉEL, CULTIVANT LA POÉSIE DE L’ABSURDE, SOUS L’INFLUENCE DE KHLEBNIKOV.