Entier
dans la lumière, accessible à tous les yeux,
J’adopte
l’habituelle procédure
Levé
vers le micro icône de l’homme pieux…
Non-non,
aujourd’hui plein pot sur l’embrasure.
Et le
microphone ne m’aime pas
N’importe
lequel déforme ma voix,
Certain
que si quelque part je mens
Il
soulignera le mensonge férocement.
Les feux
de la rampe cognent sur mes côtes
Les
fanaux éclairent mon visage sans douceur
Les
projecteurs aveuglent droite et gauche sans faute
Et la
chaleur !… La chaleur !… La chaleur !…
Я весь в свету, доступен всем глазам,-
Я приступил к привычной процедуре:
Я к микрофону встал как к образам...
Нет-нет, сегодня - точно к амбразуре.
И микрофону я не по нутру -
Да, голос мой любому опостылит,-
Уверен, если где-то я совру -
Он ложь мою безжалостно усилит.
Бьют лучи от рампы мне под ребра,
Светят фонари в лицо недобро,
И слепят с боков прожектора,
И - жара!.. Жара!.. Жара!
Я приступил к привычной процедуре:
Я к микрофону встал как к образам...
Нет-нет, сегодня - точно к амбразуре.
И микрофону я не по нутру -
Да, голос мой любому опостылит,-
Уверен, если где-то я совру -
Он ложь мою безжалостно усилит.
Бьют лучи от рампы мне под ребра,
Светят фонари в лицо недобро,
И слепят с боков прожектора,
И - жара!.. Жара!.. Жара!
Il s’agit bien sûr ci-dessus d’un extrait
d’une célèbre chanson de Vladimir
Vissotski. J’ai toujours vu à travers cette danse avec le serpent sous la
lumière crue une des plus élégantes — et tragique — métaphore de la « vie
d’artiste », du vertige funambule sous l’œil public.
Et puis l’autre jour à Nijnii-Novgorod, ce n’était plus une
métaphore, j’étais face à l’abîme de la salle que le déferlement de lumière
rendait opaque, dérobant au regard trois cents personnes tirées à quatre
épingles dont je venais de quitter les rangs.
La toute récente catastrophe —
l’incendie sibérien— alourdissait l’atmosphère, au deuil s’ajoutait, vu les circonstances,
un sentiment de colère sourde. Sous les feux de la rampe, les nerfs en dents de
scie, l’estomac noué par le trac, chaque élément d’ambiance prend une
importance cruciale. Je pensais pouvoir me réfugier dans le confort du discours
imprimé sur papier, mais tout était noir de lumière, comme dit Gombrowicz au premier chapitre de Ferdydurke. Impossible de lire.
Photo de famille |
Le festival Maxime Gorki durait déjà depuis trois jours, et les visages
s’étaient succédés sur les diverses scènes, insolites : l’animateur d’une
revue de poésie d’avant-garde sur la toile, grand type brun en treillis
militaire et lunettes noires qui ne touchait pas à l’alcool, poétesse moscovite
à la robe fleurie, jeune fille de Tourgueniev,
romancière de Pétersbourg en robe
rouge et noire, carrée d’épaules et sûre d’elle, poète de Moscou qui ressemblait, avec sa barbe blanche et sa veste de
velours, à un peintre de Montmartre, traducteurs baltes, polonais, finlandais.
Une attachée du parlement local toute en distance, le port de tête hautain, un
visage aigu d’oiseau de proie, des yeux gris comme le ciel.
Et Novgorod
aux cent mille coupoles comme disait Cendrars.
Sur la Volga gelée, large comme un bras de mer, la berge qui tombe à pic de la
balustrade des élégantes, comme à Kiev
sur le Dniepr, comme à Odessa sur la Mer Noire.
Le contexte international pesait lui
aussi dans la balance, les Russes étaient très discrets, riant de mes allusions
narquoises à l’hystérie occidentale, fiers que je me sois déplacé. Moins que
moi d’avoir été invité. En filigrane, leur réaction se lisait comme toujours en
Russie profonde: une déception attristée, ah non, pas vous les Français, on
vous aimait bien… Mais pas un mot, juste déchiffrable dans leur sympathie pour
le Parisien que je ne cesserai jamais d’être…
Je jugeai donc utile de reparler des
Bas-Fonds, film de Renoir avec Gabin et Jouvet, trésor
du cinéma français de la Grande Époque, exemple des relations mutuelles entre
nos cultures et peuples au-delà des mascarades publiques, chef-d’œuvre de la
France à double origine russe, Gorki et
l’énigmatique Zamiatine, qui écrivit
le scénario. Zamiatine était
l’auteur de la première contre-utopie du XXe siècle, lue par Orwell et Huxley, une de leurs sources d'inspiration. Aucun dessein proprement politique chez Zamiatine
le mathématicien, une simple vision du développement de la science comme
promesse totalitaire.
Et puis de Gorki, personnage plus complexe qu’il ne semble au premier abord,
révolutionnaire et dandy vivant à Capri avec une actrice avant Octobre Rouge, copain de Khodassevitch, l’amant poète de Berberova. Des relations ambiguës avec
la religion de l’homme qui mourut en disant : J’ai discuté avec Dieu.
Mon discours imprimé ne servait
vraiment à rien, morceau de papier vite gênant sous l’œil probable de la foule
invisible. La théorie des trous noirs, tension à son comble dans mes artères de
timide, ne même pas pouvoir jauger les réactions du public. Et la sueur à mon
front sous la brûlure des projecteurs. Un millier de nuances, piqûres d’épingle
sur mes nerfs en pelote.
Puis l’usage de la langue du peuple
chez Gorki, remarquable dans ses
nouvelles, très dialoguées, quasi théâtrales. Un instrument, assurai-je, très
délicat, très subtil, difficile d’éviter la vulgarité — tout le monde n’est pas Céline, ou Zola. Je dansais alors sur la crête du style, cherchant à ne
commettre aucune erreur de syntaxe.
Il faisait toujours aussi chaud.
L'organisateur, Dimitri Birman, et TM |
Semble-t-il, je n’avais pas trop
entamé mon crédit de sympathie pour « l’écrivain non-conformiste »
comme me définissait la fiche toute en nuances sur le site du festival Gorki. C’est une des
caractéristiques du nouveau soft power
russe, que craignent tant les laquais de l’OTAN — il est subtil, il a largué la
langue de bois. L’influence pas si douce américaine a de beaucoup plus gros
sabots. Il était question de mon amitié bien connue et très ancienne avec Édouard Limonov, pas toujours très bien
en cour au Kremlin, de mon enquête vieille de quatorze ans sur la toxicomanie —
sujet tabou — en Ukraine : Vint, le
roman noir des drogues en Ukraine. Il était question de Kozlov et Doronine, dont j’avais traduit et publié les livres chez Zapoï — loin d’être des écrivains
officiels.
Bref, une intelligence qu’on
chercherait en vain dans la médiacratie euro-américaine aux ordres.
Et le ciel gris sur la Volga
blanche.
TM
2018