Nous nous excusons auprès des lecteurs qui auraient déjà lu cet article en 2008, mais l'été n'est pas tout à fait terminé, c'est la saison des rediffs, et il semblait nécessaire de mettre en perspective le "scoop" bidon sur la "nouveauté" des cyberopérations euratlantiques contre la Fédération Russe, et des services de "contrattaque" dans l'espace virtuel.
L’EFFET CNN : LA GÉORGIE DONNE UNE LEÇON DE GUERRE DE L’INFORMATION À LA RUSSIE
de YASHA LEVINE
(Collaborateur régulier d’eXile, journaliste)
(TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR TM)
ORIGINAL AU LIEN SUIVANT:
Au réveil, j’ai découvert un lien étrange envoyé par un ami. Un sondage mené sur le site de CNN :
Pensez-vous que les agissements des Russes en Géorgie soient justifiées
1)Oui, c’est une opération de maintien de la paix
2) Non c’est une invasion
Curieusement, 92% des lecteurs trouvaient l’action des Russes justifiée. Vu le reportage abruti et pro-géorgien de CNN, c’était absurde. Les spectateurs moutonniers et grégaires de CNN, se servaient-ils de leur cerveau ? Le sondage a été supprimé du site. Enlevé après qu’on ait émis des accusations de manipulation. Les bloggers russes avaient fait circuler le sondage et appelé les Russes à s’exprimer. Et s’il y a bien quelque chose que CNN n’aime pas, c’est donner la parole à ces sacrés Russes. CNN ne se doutait pas le moins du monde que ce sondage en apparence anodin allait démontrer la fracture de l’opinion entre l’Occident et la Russie et soulignerait l’importance de la guerre de l’information dans ce conflit, sans compter qu’il indiquerait le camp soutenu en réalité par CNN.
« L’information n’est plus une fonction subalterne mais une fonction opérationnelle. Mortelle autant qu’utile.
—Rapport de fonctionnement, AIR FORCE 2025
Les Géorgiens n’ont pas seulement pris ce message à cœur ils ont suivi des passages entiers du manuel « Information Operations » et l’ont suivi à la lettre. Un simple coup d’œil suffit à démontrer que l’offensive géorgienne est une exemple presque parfait de la façon dont la guerre moderne se livre sur le front de l’information. Les Géorgiens ont prouvé qu’ils avaient assimilé à fond les concept « Info Ops », produisant de la contre-propagande, lançant une campagne de désinformation et manipulant les médias comme s’ils faisaient ça tous les jours.
Oh, les Russes ont joué un rôle là-dedans. Mais on comprend mal s’ils se moquaient de ce que croyait le monde ou bien s’ils se sont plantés lamentablement. Malgré une victoire militaire, ils vont avoir des difficultés pour faire accepter au monde leur plan pour la Géorgie d’après-guerre. Tout ça parce qu’ils ont échoué à gagner le cœur de l’opinion. Les Géorgiens connaissaient la valeur d’un plan de guerre de l’information bien élaboré. C’est parce que les Géorgiens ont subi un entraînement intensif par les ténors de cet art : l’Amérique et Israël. Les deux ont fourni une assistance stratégique militaire, sans parler de l’entraînement à l’usage des armes. Les Américains venaient de leur rafraîchir la mémoire avec un stage d’un mois, intitulé "Immediate Response 2008 » (la facture était payée par le contribuable américain). Des conseillers israëliens ont été repéré pendant les premiers jours de la guerre et entraînaient les Géorgiens depuis des années. Du reste, le Premier ministre Géorgien lui-même est un ex-citoyen israëlien.
Alors, comment est-ce ça a si mal tourné pour les Russes et si bien pour les Géorgiens ? Empruntant quelques idées à un document sur les opérations d’information militaire rédigé par l’état-major US, je vais tenter d’évaluer leur actions. Où ont-ils échoué ? Comment peuvent-ils s’améliorer ?
OPÉRATIONS PSYCHOLOGIQUES
DÉFINITION (US ARMY) : Les opérations psychologiques (PSYOPS) sont focalisées sur le domaine informatif du champ de bataille. Les PSYOPS cherchent à provoquer, influencer ou renforcer les attitudes, le raisonnement et le comportement de dirigeants étrangers, leaders de groupes et d’organisations dans une direction favorable à des objectifs militaires et nationaux amis.
ANALYSE : Pas besoin de réfléchir. La Géorgie a dominé le champ de bataille psychologique depuis le début. Comme l’a découvert MARK AMES (voir: "La Guerre Froide des néo-cons II")les dirigeants géorgiens passaient des coups de fil en PCV à tous les gens influents de Wall Street ou peu s’en faut, les persuadant que la Géorgie était victime d’une agression russe au moment où les rockets géorgiennes rasaient Tskhinvali. Et ça se passait avant même que la Russie fasse son entrée officielle dans la bataille. Saakashvili s’est arrangé pour être disponible 24/24 pour des interviews de CNN ou de la BBC. Il a répété les mêmes phrases simples en un anglais quasi-impeccable, toujours à proximité d’un drapeau de l’UE. « La Russie est l’agresseur. Nous sommes un petit pays démocratique. Aidez-nous ». La Géorgie utilisait « l’effet CNN » comme aiment à le dire les militaires, d’une façon extrêmement efficace. L’effet pro-géorgien CNN était si puissant, en fait, que CNN s’est même servi d’images de Tskhinvali dans un reportage sur la destruction de la ville géorgienne de Gori. Vous pouvez vérifier.
Les Russes se sont contentés de convoquer une réuniuon d’urgence du Conseil de Sécurité de l’ONU pour une résolution exigeant que la Géorgie et l’Ossétie du Sud déposent les armes. Une opération psychologique de portée minime, surtout qu’elle n’était pas soutenue par les Etats-Unis.
NOTE D’OPÉRATIONS PSYCHOLOGIQUES : GÉORGIE : A+, RUSSIE F+
CONTRE-PROPAGANDE :
DESCRIPTION (US ARMY) : La contre-propagande sert à identifier et contrer la propagande ennemie, exposer les tentatives de l’adversaire d’influencer des populations amies et la compréhension circonstanciée des forces armées amies. Elle comprend des efforts pour nier, neutraliser, ou diminuer les effets, voire prendre l’avantage grâce à des opérations psychologiques ou de propagande à l’étranger.
ANALYSE :
Dès que la Russie a commencé à produire des communiqués selon lesquels le bombardement géorgien de Tskhinvali pouvait avoir causé plus de 1000 victimes civiles, la Géorgie s’est mis sur la défensive. Leur brutal assaut pour reprendre la ville a été vite oublié, et remplacé par des communiqués géorgiens faisant état de raid de l’aviation russe sur des cibles civiles. C’était maintenant la Géorgie qui était la victime d’une invasion russe. Lorsque la Russie accusa la Géorgie d’épuration ethnique en Ossétie du Sud, les Géorgiens accusèrent les Russes de vouloir les génocider. Des photos de cadavres prises par des journalistes occidentaux apparurent dans tous les journaux de l’Ouest. Pour enfoncer le clou, Saakashvili en personne s’est déplacé dans la ville en question. L’événement médiatique tourna court quand on repéra des chasseurs russes dans le ciel. Recroquevillé par la crainte, le président fut embarqué dans un véhicule civil et évacué d’urgence. Cette débacle convainquit les téléspectateurs russes que Saakashvili était un lâche, mais pour le public occidental c’était une preuve supplémentaire que les Russes attaquaient Gori. La contre-propagande géorgienne bénéficiait du fait que les Géorgiens ne mettait aucun obstacle à l’accès des journalistes à la zone des combats, alors que les Russes rendaient impossible pour les journalistes étrangers d’aller sur le terrain en Ossétie du Sud. Grosse erreur. Même les journalistes russes ont râlé à ce sujet. Lorsque la Russie a essayé de répéter qu’elle n’attaquait aucune cible civile, les Géorgiens ont prétendu qu’ils bombardaient des oléoducs pétroliers financés par les Occidentaux à l’intérieur de la Géorgie. Mensonge absolu mais ça n’a pas empêché qu’il fasse le gros titre du Drudge Report pendant deux jours. Et même maintenant après la signature par la Russie de l’accord de cessez-le-feu, un Saakashvili aux traits tirés accuse les troupes russes d’attaquer le centre de Gori et de faire marcher des colonnes de chars vers Tbilissi. Vrai ou pas, qui s’en soucie ? Le camp russe reste silencieux à ce sujet.
NOTE DE CONTREPROPAGANDE : GÉORGIE A, RUSSIE F ;
GUERRE ÉLECTRONIQUE
DESCRIPTION (US ARMY) : La guerre électronique se déroule dans tout l’éventail électromagnétique, y compris la radio, les ondes visibles, les infra-rouges, le micro-onde, l’énergie dirigée, et toutes les autres fréquences. Ce qui inclut un éventuel ciblage des mass média et des moyens de communication.
ANALYSE :
Les deux camps sont ici à peu près à égalité. Les deux pays ont monté des attaques cybernétiques sur des moyens d’information et des sites gouvernementaux. La Géorgie, toutes affaires cessantes, a commencé par bloquer toute émission de la télé russe sur son territoire et l’accès à tous les sites.ru. La Russie a fait la même chose, mais malgré ces célèbres hackers russes, la Géorgie a réussi à prendre l’avantage. Parvenant non seulement à faire sauter tous les reportages sur les attaques (cybernétiques) russes grâce à l’efficacité de sa contre-propagande, mais surtout, et c’est la grande victoire sur ce terrain de la Géorgie, en réussissant à bloquer le site web de Russia Today, la seule station de télé en langue anglaise couvrant les événements d’Ossétie du Sud.
Les Russes ne pouvaient pas s’aligner. Comment l’auraient-ils pu ? Foutre en l’air cnn.com ?
Yasha Levine, août 2008
Yasha Levine, août 2008
