TM devant la statue de Gagarine, Moscou, mai 2012, photo © Doubshine |
INTERVIEW
DE TM, TRADUITE PAR SOI-MÊME (TOUT ARRIVE !).
Au
lien suivant : http://mtrpl.ru/marignak , nos
lecteurs russophones pourront trouver l’original de l’interview que les
rédacteurs du site Métropole, dont j’avais tout récemment traduit un article
pour ANTIFIXION ont eu la gentillesse de solliciter de votre serviteur (Yop-la-boum ! Numéro de claquettes subliminal subséquent). Le fait est suffisamment rare pour
qu’on se donne la peine de la traduire, dans l’une des deux autres langues
diplomatiques des Nations Unies. Ayant rabâché aux lecteurs francophones un
certain nombre des informations contenues dans cet entretien on se contentera
de leur en transmettre les meilleurs passages (sans compter qu’on a la rame).
EXTRAITS
CHOISIS :
Questions
de Tania Cohen et Stanislav Iakovlev
« Thierry
nous a déniché lui-même : il a traduit l’article d’Igor Antonovski et nous
l’a envoyé. Marignac est âgé de 55 ans : mais il produit l’impression de
quelqu’un de beaucoup plus jeune : refus juvénile des compromis, auto-ironie
acide, et affirmation sans appel des principes — tout ce que perdent les
nouvelles générations avec une constance jamais démentie.
Stanislav Iakovlev : (…) Non, le « vieux pirate »
(Limonov) n’est pour rien dans notre intérêt. Nous suivons depuis longtemps vos livres et
vos essais, nous les lisons avec plaisir, et avec plus d’attention encore
maintenant : Ce dont vous parliez dans des textes vieux de 10-15 ans
entretient une surprenante analogie avec ce qui se produit aujourd’hui en
Russie.
Il
est clair, bien que ce soit pour un peu inattendu que le thème de la Russie est
particulièrement populaire et particulièrement en France. Houellebecque et
Beigdeber écrivent sur notre pays, et même le livre de Carrère parle finalement
moins de Limonov que de la Russie vue à travers le destin d’un de ses
non-conformistes plus éclatants et des plus connus. De nos jours, la Russie est
à la mode, semble-t-il. Surtout pour les Français. À quoi cela
correspond-il ? À la fameuse crise des valeurs européennes ? Ou bien
s’agit-il d’une variante locale de la nostalgie russe classique :
« Voir Paris et mourir » ? Ou bien est-ce que les rédac-chefs de
magazine sur papier glacé se sont tout simplement réunis pour décider de
l’exotisme à fourguer aux lecteurs la saison prochaine, et l’un d’eux a eu une
illumination soudaine — on n’a pas encore essayé la Russie ?
TM :
Vous répondre me gêne un peu aux entournures. En fait, il y a déjà un certain temps
que je suis un observateur extérieur. Je ne vis plus en France, où tout
m’écœure. Y compris les auteurs de best-sellers que vous venez d’énumérez,
créateurs selon moi d’une « littérature des complexes ». Ils n’ont
même pas honte de s’abaisser à flatter les instincts les plus débiles de leurs
lecteurs.
La mode russe est explicable par toute
une série de raisons. Bien entendu, l’éternel exotisme renaissant de temps à
autre. Mais il existe d’autres facteurs : Votre pays s’est
considérablement rapproché du nôtre. À Paris, un clochard sur deux débite ses
litanies de jurons en russe. Et nos boutiques sont accrochées au pognon des
Nouveaux Russes comme les toxicos à l’héroïne. Déjà 15 ans qu’ils se dopent
avec !
Ensuite, il faut bien évoquer la
fatigue mortelle de la culture française, quasiment détruite. Ce n’est pas par
hasard qu’une publicité sur deux à Paris comme en province est écrite en
américain. Pour quelques-uns d’entre nous, toutefois, il est hors de question
de servir d’esclaves au Grand Frère. Peu de nourriture intellectuelle dans la
culture américaine de la consommation. C’est ainsi que la Russie a acquis un
nouveau prestige.
Enfin, le politiquement correct règne
en Europe. Beaucoup de gens en sont dégoûtés, y compris les rats dans le genre
des auteurs que vous avez cités, qui s’en nourrissent (berck, j’ai la nausée
rien que de les évoquer).
S.I. : Vous connaissez bien la Russie, et pas
seulement dans les guides touristiques (…). Il est peu probable que la mode
russe présente reflète et explique au consommateur européen la Russie réelle.
Selon vous, sans doute le plus « Russe » des Français, cette mode
est-elle bonne ou mauvaise ? Si vous en étiez le « directeur
artistique », qu’y changeriez –vous ?
TM : Bon
Dieu, vlà aut’chose ! J’ai du mal à me voir en « directeur
artistique », c’est un rôle qui ne convient pas du tout. À mes yeux, seule
compte la réalité. Ce qu’il y a de positif dans la « mode russe »,
c’est qu’elle procède d’un refus de la camelote anglo-saxonne surgie des
profondeurs de notre culture agonisante. C’est déjà pas mal.
Mais j’ai aussi observé la façon dont
Moscou était devenue une ville américaine où tout le monde a trois boulots, et
un individus sur deux est avocat. Il y a encore quinze ans, le centre-ville de
la capitale était le soir plongé dans l’obscurité. J’en suis sans doute resté
là. Aujourd’hui le fric règne en ville et je n’y suis plus très à l’aise.
S.I. : Comment se fait-il, vu la demande sur
tout ce qui est russe, et vos compétences en la matière, que vous ne soyez pas
au faîte de votre gloire ?
Par
exemple Carrère a écrit un texte spectaculaire, la biographie de Limonov,
Pourquoi n’écririez-vous pas un texte alternatif, plus vivant, avec des épisodes
importants négligés par Carrère ? Vous avez des choses à raconter sur la
Russie, et c’est le moment de le faire, Pourquoi ne prenez-vous pas le
micro ?
TM :
Excellente question, camarade major ! (Rires). Et merci des
compliments ! J’ai travaillé 30 ans comme auteur-traducteur dans l’édition
et, comme vous pouvez le constater, je ne suis pas au faîte de la gloire. Quels
qu’aient été mes efforts pour avoir le plus beau style possible et apprendre
deux langues étrangères etc, voilà où
nous en sommes.
En ce qui concerne Limonov : quand
j’en parlais il y a dix ans dans l’édition on me foutait dehors. Quand il était
en taule, tout le monde avait peur du " Fasciste russe". Il fallait un
idiot ordinaire de bonne famille comme Carrère pour casser la baraque avec ce sujet.
Mais je suis le fils bâtard et égaré, détesté par tout le monde. Je ne regrette
cependant rien, j’ai vécu des moments incomparables, bien plus passionnants que
leurs intrigues de coulisses bon marché.
S.I. : S’agit-il d’une position assumée de
non-conformisme ? Une telle publicité vous assomme ? Ou bien vous
ignore-t-on volontairement et votre nom figure sur la « liste
noire ». Quelle sont les raisons de ce conflit et sa logique ?
TM :
L’un et l’autre. Je n’aime pas les
apparitions publiques, et j’ai toujours considéré que ce qui comptait chez un
auteur c’était son travail intellectuel. On m’a exclu de l’édition une première
fois après mon premier roman « Fasciste ». Et du reste, moins pour le
roman lui-même que pour mon refus de me justifier. Ce n’est que deux ans plus
tard que j’ai pu retrouver du travail comme traducteur. D’ailleurs, ce roman
eut une certaine influence sur Limonov. Je me souviens des lauriers qu’il lui
tressait pour son côté inattendu. On attendait de votre humble serviteur,
ancien toxico, une sorte de reportage de rue, mais j’en avais décidé autrement.
Sur la liste noire — j’y suis depuis ma naissance.
S.I. : Dans un de vos articles, vous parlez de
vous-mêmes et de vos amis comme de représentants d’une génération indifférente
à la politique, une génération qui, selon Alain de Benoist était censée choisir
entre « La bêtise de la droite et la mesquinerie de la
gauche » : d’un côté le régime gaulliste corrompu et perverti, d’une
laideur esthétique à faire peur, et de l’autre, les anciens émeutiers vendant
leur radicalisme hypocrite (…). Choix inacceptable pour votre génération, d’où
votre apolitisme et votre absence d’illusions.
TM : Ce n’est pas par hasard que le
punk-rock date de cette époque-là. Une révolte sans objectif. La politique,
pour les plus honnêtes d’entre nous (et peu d’entre eux sont encore vivants)
est une chose répugnante jusqu’à aujourd’hui.
S. I. : Vous avez certainement remarqué,
qu’une situation semblable s’est récemment mise en place en Russie. Dans des
proportions moindres, mais la coïncidence est frappante. Limonov, qui
avec sa « Stratégie 31 » ( selon laquelle tous les 31 du mois il se
livrerait à une manifestation de rue, en accord avec l’article 31 de la
constitution russe, NDT) avait
entretenu la flamme de l’agitation, s’est retrouvé pratiquement seul lorsque
les manifestations de masse ont commencé. D’une manière ou d’une autre, il
était resté idéaliste, et les idéalistes se font toujours baiser. Vous avez
très bien décrit ça dans « Fasciste », et la contestation
contemporaine en Russie a répété l’affaire quasiment mot pour mot. D’ailleurs,
il serait grand temps que votre livre soit publié par une maison d’édition
russe.
TM :
Vous comprenez bien que Limonov n’est pas un politicard. C’est un écrivain
romantique. Je considère que sa véritable victoire est d’avoir créé une culture
souterraine en Russie, comme il n’y en avait jamais eu auparavant. C’est la
victoire de Limonov en tant qu’artiste. En politique, il s’est souvent égaré.
Putain, c’est pas sa tasse de thé.
Je suis entièrement d’accord pour être
publié en Russie. Toutes les propositions sont bienvenues. Mais il semble qu’on
m’ait définitivement exclu de l’annuaire des auteurs en France, du coup cela
semble peu probable…
S.I. : Dites-nous, Monsieur Marignac, dans des
circonstances où on a perdu toutes ses illusions, désamorcé tous les idéaux,
mais qu’on a gardé une forme de passion, comment poursuivre ? Pour que
vous puissiez conseiller ceux qui se trouvent en situation de déception totale,
de méfiance et d’impuissance objective analogue à celle que vous
décrivez ? Partagez, SVP, avec nous, l’expérience qui vous a permis de
survivre. Vous allez rire, mais pour nombre de vos lecteurs russes, c’est très
actuel.
TM : En
effet, je rigole. Tout d’abord parce que je ne suis ni prophète, ni leader, ni
guide, mais un simple romancier. Indiquer la voie m’est impossible, je n’en ai
donc pas l’intention. La seule chose dont je puisse parler : je ne crois
qu’aux entreprises concrètes et aux personnes concrètes, capables de faire preuve de
courage, de bonté, et de dévouement. C’est que je m’étais efforcé de faire en
Ukraine. Après mon reportage sur les toxicos, l’organisation « Narcotiques
Anonymes » de Kiev a obtenu un budget de la Croix Rouge. À bouffer pour
tout le monde pendant cinq ans (!). En France, du reste, ce livre ne s’était vendu
qu’à 280 exemplaires. Mais je m’en foutais. J’avais rempli ma mission.
Et je ris ensuite, parce que c’est la
première fois de ma vie que j’apprends que j’ai des lecteurs en Russie. Tous
les espoirs sont encore permis !
Tania Cohen : Comment est né votre intérêt pour la
Russie ?
TM : Je
me suis lié d’amitié avec Limonov, créature étrange dans le Paris des années
1980, puis j’ai eu une liaison avec une femme d’origine russe amie de Natacha (Medvedeva).
C’est à travers eux que j’ai commencé à m'intéresser à la culture, aux mœurs, au peuple. Mais
plus tard.
TC : (…) Pourquoi considérez-vous que
Limonov est un « vieux pirate » ?
TM : (…) À
vrai dire, je ne sais trop pourquoi c’est sorti de ma bouche. J’en étais le
premier surpris. Peut-être parce qu’il semble en pleine forme, énergique, il
plaisante, rien n’a pu le briser, alors qu’il a fait deux ans et demi de taule
à un âge avancé.
TC : Il y a longtemps que vous vous êtes
vus ? En quoi est-ce que Limonov a changé au cours des trente ans où vous
l’avez connu ?
TM : Je
l’ai loupé la dernière fois que je suis passé à Moscou (le vieux pirate était
en pétard : je passe à Moscou et je ne vais pas le voir ?
Sacrilège !). On s’est vus pour la dernière fois en mai 2012, en compagnie
de notre camarade Danila Doubschine, metteur en scène.
Limonov a changé en ceci que c’était un
écrivain bohème et c’est devenu un leader radical. Sinon, en tant qu’individu,
il est tel qu’il a toujours été.
TC : D’après vous, pourquoi est-ce les Français se
sont amourachés de Limonov ?
TM : Ils
l’ont détesté pendant vingt ans ! Ils l’ont traité de tous les noms, l’ont
laissé tomber quand il était en prison à quelques remarquables exceptions près,
parce que le politiquement correct interdisait de le soutenir. Ce n’est qu’à
travers l’exposé d’un bourgeois de gauche comme Carrère qu’ils se sont
intéressés à lui, un destin hors normes.
Ils s’emmerdent ferme, ces moutons.
TC : Quel votre auteur russe préféré en
dehors de Limonov et Medvedeva ?
TM : Vladimir
Kozlov, véritable auteur et punk authentique de Biélorussie. J’ai traduit deux
de ses romans, et je recommande le dernier : « Guerre » une
fiction autour des « partisans sibériens » tués par le FSB il y a
quelques années. (…).
TC : Pourquoi avez-vous choisi Kozlov
précisément ?
TM : J’ai
choisi Kozlov parce que sur la couverture de « Racailles » son
premier roman, figurait le skin-head le plus monstrueux de la planète. Après,
je me suis pris de passion pour son style et ses fictions. À présent, troisième
phase, nous sommes amis.
(…)
TC : Vos livres traitent souvent d’une
Russie marginale et souterraine, clodos, toxicos… Quelles sont les spécificités
des « éléments déclassés » d’Europe de l’Est, leur différence avec
leurs frères européens occidentaux ? Mikhaïl Guigolachvili, a donné par
exemple dans « La Roue du diable », les particularités de la
toxicomanie en Géorgie…
TM : La
différence la plus importante tient à ce que les toxicos de la CEI sont la
plupart du temps obligés de se confectionner leur produits de prédilection, ils
ont rarement accès à des drogues déjà raffinées. J’ai lu Guigolachvili, on m’a
demandé de le traduire. La particularité du paysage géorgien semble tenir à
leur proximité avec la matière première.
TC : Que savent les Français sur la
Russie ? Sur l’Ukraine ? Que souhaitent apprendre à ce sujet ?
TM : D’après
moi, ils en savent bien peu, et n’ont aucune envie particulière d’en savoir
plus. Sinon, mes livres seraient des best-sellers.
(…)
TC : Vos livres sortiront-ils en russe, ou
bien les écrivez-vous exclusivement pour les Européens ?
TM :
J’écris pour tout le monde. Je souhaite ardemment être publié en Russie et
partout. Mais il semble que personne n’ait besoin de moi nulle part. Vous avez
des relations ? Vous pouvez aider l’artiste maudit et affamé ?
TC : Écrivez-vous quelque chose en ce moment
sur la Russie ?
TM : Je
n’écris pas. Je n’ai pas d’éditeur. Or je suis un pro. Je n’écris pas pour me
toucher. J’écris pour être lu.
(…)
TC : Qui est le meilleur auteur
français ?
TM : Votre humble serviteur,
sans discussion possible. Et je n’écris même plus.
TC : Que détestez-vous plus que tout ?
TM :
L’hypocrisie en Union Européenne et aux Etats-Unis.
(…).