Darius James est un vieux copain, encore un, hélas, que je ne vois plus
beaucoup, auteur de Negrophobia ( l’Incertain 1994, pour la traduction française) roman que les libraires noirs classe moyenne refusèrent de distribuer
à cause de son titre, et de That’s
Blaxploitation,(St-Martin's Press, 1997) hilarante
« étude » du ciné noir populaire des années 1970 avec son imagerie
drogue et proxénétisme de bande dessinée. Je l’avais rencontré à New York en 1992 à l’occasion de
l’anthologie Jungles d’Amérique (L’Arbre à Cames 1993) et retrouvé au même endroit pour l’anthologie Les Chaînes de l’esclavage (Florent
Massot, 1998). Entretemps (1995, 97?…), je l’avais
hébergé dans mon domicile de Pigalle où il était comme chez lui
(obsédé !). Plus tard, j’avais suivi ses aventures berlinoises, quand il dormait
dans l’arrière-salle d’une librairie tenue par d’anciens membres de la Bande à
Baader. Bien qu’il soit couleur ébène, on l’avait admis dans l’Internationale
blanc-bec. Un génie comique. Dans l’avant-propos qui suit, introduisant un recueil
de ses compositions intitulé Voodo
Stew ( Ragoût Vaudou, éditions Verbercher Verlag, Berlin, 2002) livre bilingue anglais-allemand, on découvre son talent pour l’auto-préface !…
Une bonne leçon de style et d'humour pour nos prétentiards auteurs de gauche et de droite à la française, si lourdement chargés du sort de l'humanité !…
Une bonne leçon de style et d'humour pour nos prétentiards auteurs de gauche et de droite à la française, si lourdement chargés du sort de l'humanité !…
INTRODUCTION
(Traduit de l'anglais par TM)
(Traduit de l'anglais par TM)
J’écris cette introduction sous
la pression de la rue. J’ai promis à Jörg qu’il l’aurait cet après-midi. Je
pensais l’écrire hier, mais, à la place, j’ai fait le ménage chez moi (ou du
moins, j’ai essayé). Pourquoi ai-je remis au lendemain ? Je pourrais dire
que je ne sais pas quoi dire sur ce que j’écris. Et que si je devais écrire sur
ce que j’écris, ça signifie que je me suis planté au départ, en écrivant. Je
pourrais. Mais je n’en ferai rien, parce que je n’y crois pas. Je remets au lendemain
parce que je suis paresseux et facilement distrait, surtout quand ces
distractions ont un rapport quelconque avec l’absorption d’alcool, de drogues,
ou la sexualité. Beaucoup d’auteurs de ma connaissance, en particulier les
journalistes spécialisés dans la culture populaire, sont de grands paresseux.
Un journaliste hip-hop vieille école de mes amis passe le plus clair du temps
qu’il devrait consacrer à trimer sur son ordinateur portable dans les bars
topless de Harlem. Mais à la date indépassable de remise des copies, il a fait
son boulot, la tête envapée par la fumée d’herbe, un string de strip-teaseuse
couleur cacao coincé entre ses dents tachées de nicotine. Et ce mec-là
travaille beaucoup. Le stimulant pour agir, c’est toujours l’oseille. Agitez- moi
une poignée de dollars sous le nez et je bosse comme un malade.
La seconde raison pour laquelle j’ai traîné à écrire
l’introduction de ce livre, c’est que, hum, je ne me souviens plus ce qu’il y a
dedans. Au départ, il ne devait y avoir qu’un seul volume, mais pour des
raisons compréhensibles par quiconque aurait quelque lumière sur les stratégies sans
budget des minuscules maisons d’édition
marxistes allemandes s’efforçant de survivre dans l’économie mondialisée
de multinationales décidément antimarxistes, c’est devenu un livre en deux
volumes. Je ne me souviens donc plus de ce qui constitue Voodoo Stew 1 (Ragoût Vaudou 1) et Voodoo Stew 2. Je sais qu’un article que j’ai rédigé pour un gros
bouquin très cher intitulé « What
I’d say ? » y figure sous le titre « Histoire de la maison de disque Atlantic Records », et je peux
vous en parler.
En gros, un mec m’a passé un coup de fil d’Angleterre pour
me dire qu’il composait un livre sur la musique noire. Il m’a dit que les
contributeurs étaient les suspects habituels : Nat Hentoff, Greil Marcus,
Robert Chrisagu, etc. Et il s’est soudain rendu compte : J’ai pas un seul Noir pour écrire sur la
musique noire ! Et il m’a proposé UN MAX de pognon. Plus de blé qu’on
ne m’avait jamais offert pour un papier de vingt feuillets. Et il m’a juré que
je pouvais écrire ce que je voulais sur Atlantic Records. Il ne s’agissait pas
de leur tailler une pipe publirédactionnelle ! « Je veux que votre
article soit aussi authentique que leur musique ! ». Ah !
Bref, je me suis impliqué dans cette affaire bien plus que
je n’aurais dû. J’ai fini par passer entre six et huit heures par jour à
interviewer Ahmet Eretgun — Qui m’a roulé dans la farine avec une histoire à
dormir debout selon laquelle on le traitait comme un nègre dans les pensionnats
suisses où il avait étudié, raison pour laquelle il avait tant d’affinités avec
la musique des Noirs. Bon, la plupart des gens bien placés ne racontent que des
bobards quand ils sont interviewés (sachant que les médias ne racontent que des
bobards), et en ce qui concerne Eretgun, le truc, c’est que son père était
l’ambassadeur de Mustapha Kemal Atatürk aux Etats-Unis. Et est-ce que j’étais
au parfum du génocide arménien en 1915 (Où est-ce qu’il voulait en venir ?
Je suis Amerlock. Tout le monde sait que les Amerlocks sont idiots). J’aurais
dû sans aucun doute lui demander ce que sa famille cossue et disposant de
relations politiques bien placées avait à voir avec ça. En dehors de cette
histoire, je trouvais que Ahmet était un mec plutôt sympa. Quoi qu’il en soit,
je finis par me quereller avec l’angliche sur les rapports entre les spectacles
de minstrels (Blancs grimés en noir,
en vogue dans les années 1930-40) et la musique Country and Western, et mon
article ne parut pas dans la première édition du livre. Mais qu’est-ce que j’en
avais à secouer. On m’avait payé, j’avais villégiaturé un mois dans un bled
anglais brumeux pour chiens perdus et traîné une semaine à Cannes. Et ça
m’avait également permis de rompre avec mon épouse. Donc, c’était positif.
Qu’est-ce qu’il y a d’autre dans ce bouquin ? Little Richard ? Je n’en suis pas
certain. C’est peut-être dans le deuxième volume. Mais je vais vous dire une
chose. Un soir, j’ai bouffé avec Ike Turner, je lui ai dit que j’avais
interviewé Little Richard et voici ce qu’il m’a répondu :
—Little Richard ? Lequel ? Le vrai Little
Richard ? Ou bien son numéro de prêchi-prêcha ?
Bon Dieu. Je ne souviens plus de ce qu’il y a dans ce
bouquin. Je pourrais vous parler de ma vie à Berlin. Mais il n’y a pas
grand-chose à raconter. Je suis fauché comme les blés et j’ai des copains
super. Ma meilleure amie s’appelle Claudia. Elle a fait un beau boulot de
traduction sur ce bouquin. Elle a vraiment capté le rythme et les flux de ma
langue. C’était pas facile, vu comment j’aime tordre la langue américaine dans
tous les sens. Et puis il y a Mario et Anna. Anna s’occupe très bien de ma
dentition. Je suis très fan de tous les médecins qui me soignent, ici. Genre,
j’ai, LA SÉCURITÉ SOCIALE. Pour moi, c’est incroyable. Après avoir foutu le
camp de chez moi dans mon adolescence, je n’ai jamais eu de sécurité sociale.
Qui a les moyens d’avoir une assurance maladie aux Etats-Unis ? Il y a
aussi mes amis Florian et Inès. Inès cuisine la bouffe noire comme les Anciens,
et comme dit mon père « C’est tellement bon que tu t’en claques les
fesses ! ». Et puis, il y a Angie Reed. C’est la meilleure artiste de
performance que j’ai vu depuis longtemps. Un mélange de Penny Arcade et de
LaWanda Page. Penny est une actrice douée de la grâce qui a travaillé, entre
autres, avec Jack Smith. (…). Je pourrais m’éterniser (je le fais souvent).
Contentez-vous de lire mon bouquin. Et de dire à Jörg et Werner ce que vous en
pensez. Moi ? Je m’en tape. Je suis seulement content qu’il soit sorti.