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23.9.13

L'art de la préface


         Darius James est un vieux copain, encore un, hélas, que je ne vois plus beaucoup, auteur de Negrophobia ( l’Incertain 1994, pour la traduction française) roman que les libraires noirs classe moyenne refusèrent de distribuer à cause de son titre, et de  That’s Blaxploitation,(St-Martin's Press, 1997) hilarante « étude » du ciné noir populaire des années 1970 avec son imagerie drogue et proxénétisme de bande dessinée. Je l’avais rencontré à New York en 1992 à l’occasion de l’anthologie Jungles d’Amérique (L’Arbre à Cames 1993) et retrouvé au même endroit pour l’anthologie Les Chaînes de l’esclavage (Florent Massot, 1998). Entretemps (1995, 97?…), je l’avais hébergé dans mon domicile de Pigalle où il était comme chez lui (obsédé !). Plus tard,  j’avais suivi ses aventures berlinoises, quand il dormait dans l’arrière-salle d’une librairie tenue par d’anciens membres de la Bande à Baader. Bien qu’il soit couleur ébène, on l’avait admis dans l’Internationale blanc-bec. Un génie comique. Dans l’avant-propos qui suit,  introduisant un recueil de ses compositions intitulé  Voodo Stew ( Ragoût Vaudou, éditions Verbercher Verlag, Berlin, 2002) livre bilingue anglais-allemand, on découvre son talent pour l’auto-préface !… 
Une bonne leçon de style et d'humour pour nos prétentiards auteurs de gauche et de droite à la française, si lourdement chargés du sort de l'humanité !…


INTRODUCTION
(Traduit de l'anglais par TM)
         J’écris cette introduction sous la pression de la rue. J’ai promis à Jörg qu’il l’aurait cet après-midi. Je pensais l’écrire hier, mais, à la place, j’ai fait le ménage chez moi (ou du moins, j’ai essayé). Pourquoi ai-je remis au lendemain ? Je pourrais dire que je ne sais pas quoi dire sur ce que j’écris. Et que si je devais écrire sur ce que j’écris, ça signifie que je me suis planté au départ, en écrivant. Je pourrais. Mais je n’en ferai rien, parce que je n’y crois pas. Je remets au lendemain parce que je suis paresseux et facilement distrait, surtout quand ces distractions ont un rapport quelconque avec l’absorption d’alcool, de drogues, ou la sexualité. Beaucoup d’auteurs de ma connaissance, en particulier les journalistes spécialisés dans la culture populaire, sont de grands paresseux. Un journaliste hip-hop vieille école de mes amis passe le plus clair du temps qu’il devrait consacrer à trimer sur son ordinateur portable dans les bars topless de Harlem. Mais à la date indépassable de remise des copies, il a fait son boulot, la tête envapée par la fumée d’herbe, un string de strip-teaseuse couleur cacao coincé entre ses dents tachées de nicotine. Et ce mec-là travaille beaucoup. Le stimulant pour agir, c’est toujours l’oseille. Agitez- moi une poignée de dollars sous le nez et je bosse comme un malade.


         La seconde raison pour laquelle j’ai traîné à écrire l’introduction de ce livre, c’est que, hum, je ne me souviens plus ce qu’il y a dedans. Au départ, il ne devait y avoir qu’un seul volume, mais pour des raisons compréhensibles par quiconque aurait quelque lumière sur les stratégies sans budget des minuscules maisons d’édition  marxistes allemandes s’efforçant de survivre dans l’économie mondialisée de multinationales décidément antimarxistes, c’est devenu un livre en deux volumes. Je ne me souviens donc plus de ce qui constitue Voodoo Stew 1 (Ragoût Vaudou 1) et Voodoo Stew 2. Je sais qu’un article que j’ai rédigé pour un gros bouquin très cher intitulé « What I’d say ? » y figure sous le titre « Histoire de la maison de disque Atlantic Records », et je peux vous en parler.
         En gros, un mec m’a passé un coup de fil d’Angleterre pour me dire qu’il composait un livre sur la musique noire. Il m’a dit que les contributeurs étaient les suspects habituels : Nat Hentoff, Greil Marcus, Robert Chrisagu, etc. Et il s’est soudain rendu compte : J’ai pas un seul Noir pour écrire sur la musique noire ! Et il m’a proposé UN MAX de pognon. Plus de blé qu’on ne m’avait jamais offert pour un papier de vingt feuillets. Et il m’a juré que je pouvais écrire ce que je voulais sur Atlantic Records. Il ne s’agissait pas de leur tailler une pipe publirédactionnelle ! « Je veux que votre article soit aussi authentique que leur musique ! ». Ah !


         Bref, je me suis impliqué dans cette affaire bien plus que je n’aurais dû. J’ai fini par passer entre six et huit heures par jour à interviewer Ahmet Eretgun — Qui m’a roulé dans la farine avec une histoire à dormir debout selon laquelle on le traitait comme un nègre dans les pensionnats suisses où il avait étudié, raison pour laquelle il avait tant d’affinités avec la musique des Noirs. Bon, la plupart des gens bien placés ne racontent que des bobards quand ils sont interviewés (sachant que les médias ne racontent que des bobards), et en ce qui concerne Eretgun, le truc, c’est que son père était l’ambassadeur de Mustapha Kemal Atatürk aux Etats-Unis. Et est-ce que j’étais au parfum du génocide arménien en 1915 (Où est-ce qu’il voulait en venir ? Je suis Amerlock. Tout le monde sait que les Amerlocks sont idiots). J’aurais dû sans aucun doute lui demander ce que sa famille cossue et disposant de relations politiques bien placées avait à voir avec ça. En dehors de cette histoire, je trouvais que Ahmet était un mec plutôt sympa. Quoi qu’il en soit, je finis par me quereller avec l’angliche sur les rapports entre les spectacles de minstrels (Blancs grimés en noir, en vogue dans les années 1930-40) et la musique Country and Western, et mon article ne parut pas dans la première édition du livre. Mais qu’est-ce que j’en avais à secouer. On m’avait payé, j’avais villégiaturé un mois dans un bled anglais brumeux pour chiens perdus et traîné une semaine à Cannes. Et ça m’avait également permis de rompre avec mon épouse. Donc, c’était positif.


         Qu’est-ce qu’il y a d’autre dans ce bouquin ? Little Richard ? Je n’en suis pas certain. C’est peut-être dans le deuxième volume. Mais je vais vous dire une chose. Un soir, j’ai bouffé avec Ike Turner, je lui ai dit que j’avais interviewé Little Richard et voici ce qu’il m’a répondu :
         —Little Richard ? Lequel ? Le vrai Little Richard ? Ou bien son numéro de prêchi-prêcha ?
         Bon Dieu. Je ne souviens plus de ce qu’il y a dans ce bouquin. Je pourrais vous parler de ma vie à Berlin. Mais il n’y a pas grand-chose à raconter. Je suis fauché comme les blés et j’ai des copains super. Ma meilleure amie s’appelle Claudia. Elle a fait un beau boulot de traduction sur ce bouquin. Elle a vraiment capté le rythme et les flux de ma langue. C’était pas facile, vu comment j’aime tordre la langue américaine dans tous les sens. Et puis il y a Mario et Anna. Anna s’occupe très bien de ma dentition. Je suis très fan de tous les médecins qui me soignent, ici. Genre, j’ai, LA SÉCURITÉ SOCIALE. Pour moi, c’est incroyable. Après avoir foutu le camp de chez moi dans mon adolescence, je n’ai jamais eu de sécurité sociale. Qui a les moyens d’avoir une assurance maladie aux Etats-Unis ? Il y a aussi mes amis Florian et Inès. Inès cuisine la bouffe noire comme les Anciens, et comme dit mon père « C’est tellement bon que tu t’en claques les fesses ! ». Et puis, il y a Angie Reed. C’est la meilleure artiste de performance que j’ai vu depuis longtemps. Un mélange de Penny Arcade et de LaWanda Page. Penny est une actrice douée de la grâce qui a travaillé, entre autres, avec Jack Smith. (…). Je pourrais m’éterniser (je le fais souvent). Contentez-vous de lire mon bouquin. Et de dire à Jörg et Werner ce que vous en pensez. Moi ? Je m’en tape. Je suis seulement content qu’il soit sorti.
         Darius James, 2002.