RETOURÀ LA CASE DÉPART DEVLADIMIR KOZLOV
Au registre des rencontres littéraires (Le chic, que c’estchic !), Vladimir Kozlov figure parmi les quelques miracles de ma« carrière » de traducteur. Tombé par un hasard objectif sur son Gopnicki(« Racailles », traduit par votre serviteur, éditions Moisson Rouge, 2010), séduit par lacouverture où un skin-head bas du front figurait sur fond de toilettespubliques, le mégot au bec, l’œil bleu cobalt sans nuance. En réalité, je nedécouvris cet auteur que trois ans plus tard, dans un ghetto américain puisqueje traînais son bouquin dans tous mes déplacements sans le lire, et qu’étouffépar la Ville Noire, je cherchais l’exotisme russe, j’ouvris la première page.Pour retomber sur mes pattes : abstraction faite de la couleur de peau, etde l’omniprésence du dollar, remplacé par la rhétorique communiste, l’universdécrit était en tous points comparable à celui au sein duquel je jouais lesgrands sorciers blancs. Jusque dans le dispositif linguistique : unvocabulaire de trois cents mots à tout casser, dont la poésie jouait sur desvariations infimes, et lourdes de conséquences. Quatre ou cinqpossibilités : se saouler, se castagner, se défoncer, baiser, racketterles plus faibles (pas forcément dans cet ordre). La vie à bout portant, comme le précisa Gérard Guégan dans sachronique du livre à Sud-Ouest.
Pour Retour à la casedépart (Encore traduit par TM, Moisson Rouge, en librairie le 9 février, que les lecteurs veuillent bien excuser mon erreur d'hier) le problème est un peu pluscompliqué : il s’agit du même cul-de-sac, mais après la Pérestroïka, après l’adolescence — lesenjeux sont plus lourds, les crimes plus sanglants. Le narrateur pourrait êtrele cousin ou le frère de celui de Racailles.D’abord entraîné dans le maelstrom infernal de délinquance des années Yeltsine(on ne perd pas une guerre, même froide, sans en payer le prix), racket vodka,avant d’être bandit de grand chemin entre Biélorussie et Pologne, il se rachèteune conduite, rentré chez lui de justesse et devient rédacteur d’un Mnogotirajniy, la presse industrielle,pour assister à la saisie des ressources par la pègre (l’histoire russe desannées 1990) dans l’usine dont il rédige le périodique. Comme tout un chacundans ces latitudes sans merci, il finit par traiter, passer un marché (enlangage atlantiste : dealer)avec le monstre, qui prend bientôt le pouvoir en ville, s’emparant de lamairie. Personne n’est innocent, et notre narrateur non plus qui survit commeil peut. Obsédé de rock, de punk, il devient attaché culturel du maire et nepeut s’empêcher de mijoter un coup à la SexPistols, pour détourner des ressources qui appartiennent désormais à cetaccouplement hideux du pouvoir et du milieu. Il doit fuir. On le trouve enTchéquie, barman, loin des remugles de sa terre natale. Un jour, un envoyé deRussie le retrouve et son odyssée vers une apothéose finale au pays commence…
Ces fils narratifs sont entrelacés parallèlement, et c’estpetit à petit que l’histoire maudite du narrateur se fait jour. Entremaillés d’aperçusvivifiants sur la Tchéquie post-soviet, sur les touristes russes, où Kozlovdévoile une fois de plus son intelligence géopolitique, son refus total de parti-pris,son absence de banderoles, en un mot son honnêteté, son rejet absolu de labestialité des propagandes. Ce deuxième opus me le confirma, en Kozlov, outreles affinités slavophiles, j’avais trouvé un frangin, un sans-parti, un mecintègre, et, je le dirai avec une pointe d’envie, plus taciturne que moi encoredans sa révolte impassible.
Thierry Marignac, Janvier 2012.