12.10.23

1er prix du roman d'espionnage: "Lorsque Tous trahiront" de Pierre Olivier

 


LE MAELSTROM DES TRAÎTRES, ROMAN. 

     C’est sans doute la logique du paradoxe qui voulait que le 1er prix du roman d’espionnage soit décerné par l’AASSDN (Amicale des Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale) — fondée en 1953 à la mémoire notamment des agents morts pour la France pendant la Seconde Guerre mondiale et présidée par Alain Juillet, à Lorsque Tous trahiront, de Pierre Olivier. Il s’agit d’un saisissant maelstrom de traîtres, dans les remugles de la collaboration finissante. 
     Mais les agents doubles ou triples font partie du métier… 
     Ayant peu de goût chez Antifixion pour la prétentieuse expression galvaudée « roman noir », aux « maîtres » autoproclamés d’une nullité effarante, on préfèrera ici parler de littérature des ténèbres. La noirceur du tableau dressé par Pierre Olivier, règlements de comptes entre survivants du PPF réfugiés non loin de Sigmaringen fin 1944, enchaînement de trahisons à triple bande sur fond d’apocalypse, peut difficilement être surpassée. Alignez-vous, les tâcherons. 
     Si son antihéros de la LVF finit par susciter une sorte de sympathie dans son entêtement désespéré à éclaircir les troubles circonstances de la mort suspecte de Jacques Doriot — jusqu’à ce jour une énigme — c’est qu’il est capable, bien que vétéran de l’atroce campagne de Russie, d’éclairs d’humanité. Et qu’il porte en lui une forme de « pureté des maudits » lui imposant de faire justice coûte que coûte. Même et surtout si cela ne sert plus à rien. 


     « Le grand Jacques », selon la formule des militants du PPF, périt mitraillé par un avion allié (probablement britannique) dans une voiture qui l’emmène rejoindre Marcel Déat, cherchant à regrouper les vestiges de la collaboration dans un « Comité de la Libération Française », visant à créer une très hypothétique contre-résistance — utopie qui ne trompe plus grand monde. 
     Notre lieutenant de la LVF est en stage de formation comme radio des futurs commandos que le PPF rêve « d’infiltrer » dans la France libérée. Blessé en Russie, boiteux, diminué et amer à 25 ans, c’est un Phillip Marlowe surmultiplié, avec cette lassitude invincible…de frapper à des portes auxquelles personne ne se soucie de répondre, de questionner des morts (Raymond Chandler, The Long Goodbye).      
    Son expérience d’ancien combattant du Front de l’Est lui confère un statut de formateur lui aussi — orientation, survie, combat en forêt — une position d’autorité qui le place aux premières loges de « l’enquête » sur la mort du Chef. Attribuée tout d’abord à la malchance dans une Allemagne qui a perdu la supériorité aérienne, celle-ci devient bientôt une charade à tiroirs : la voiture habituelle de Doriot a été sabotée, remplacée par un véhicule beaucoup plus voyant, cible désignée. 


    La succession plus ou moins truquée du Chef à la tête du PPF aggrave la suspicion : qui donc, au crépuscule nazi, traite avec les Alliés ? Bientôt notre lieutenant se verra recruté par les Allemands dans une enquête en Bavière-Hesse, chez les débris du PPF — des voyous et des maquereaux, pour l’essentiel. Ce roman du désespoir est aussi un roman de l’errance dans une Allemagne méridionale relativement épargnée — bien que tout s’effondre et que rien ne puisse aboutir. Mais notre antihéros s’acharne, c’est la charge émotionnelle de ce roman très habile. 
     Servi par un style d’une sécheresse exemplaire, ce livre a une autre qualité « historique », celle de lever le voile, d’aborder par la bande un fait oublié : les contacts secrets, fin 44, début 45, entre Heinrich Himmler et Allen Dulles, inventeur plus tard de la guerre du Vietnam, à l’ambassade américaine de Bâle, sujet du classique soviet Dix-sept secondes au printemps, mettant en scène le célèbre espion russe Chtirlitz. Dans Lorsque Tous trahiront, l’intervention d’Himmler jette son voile d’ombre sur la découverte du pot aux roses. Les traîtres sont partout. Le contraste entre la sécheresse du style et la tension intérieure du personnage, la succession de ténébreuses figures, l’intrigue haletante, font de Lorsque Tous trahiront, un livre rare, et de son auteur un émule digne des meilleurs du genre. Les éditions Konfident, et La Manufacture de livres, sont également à l’origine de ce prix dont on n’a pas fini d’entendre parler, accueilli et soutenu par la Mairie du Ve arrondissement

     Thierry Marignac, octobre 2023.