11.5.21

Appareil à Vagues, le dernier recueil de Vincent Deyveaux, l'orfèvre du laconisme…

 

Le poète exultant, son œuvre à la main !…





ÉLUDER SANS DÉCEVOIR 
     
    En ce qui concerne l’œuvre construite autour de l’impossibilité d’une œuvre : c’est un royaume casse-gueule, la note cristalline de l’ellipse risque de sombrer dans l’anodin du brouhaha universel, sa finesse de se fondre dans la grisaille. Il faut être Vincent Deyveaux pour s’en tirer avec brio, c’est à dire composer une ambiance de sommeil de verre, brisé au moindre écart de température, écrivit un soir de défonce feu un ami à moi, artiste sans œuvre — comme me le rappelait il y a peu le romancier Pierre-François Moreau — disparu il y a si longtemps que je peux lui piquer la formule.
     Il prend un pseudonyme pour être reconnu. 
V.D. 
    Voici le recueil d’un orfèvre du laconisme : L’Appareil à vagues devenu, dans sa traduction russe, Générateur de vagues, titre que je préfère parce qu’il est plus actif, mais Mister Deyveaux, dans sa réserve implacable, favorise sans doute la neutralité de l’appareil. Roulements de tambours : ce recueil paraît demain 12 mai 2021 à St-Petersburg, en version bilingue, traduit en russe par Olga Logoch. 
    C’est si intime, que ça se brise. 
V.D. 


    Si l’Exil est un hôtel pour reprendre sa formule qui m’est si chère, Mister Deyveaux y a élu domicile. À plus d’un titre : depuis presque vingt ans qu’il vit en Russie… Il était fait pour finir à Antifixion !… 
    Ce drôle de type a connu plusieurs exils, dans son kaléidoscope de biographies : dix ans peintre à Munich, originaire de Marseille ; monteur de cinéma à Moscou où il était parti sur un coup de tête, photographe ; poète à Pétersbourg ; vagabond en Russie, du Caucase jusqu’en Sibérie d’Extrême-Orient. Il en extrait ce résidu sec, à l’humour froid, dont il pétrit sa poésie entièrement constituée d’allusions. Du grand art. 
    Il trouve un argument à la cuisine entre l’évier et la cocotte. 
V.D.

 
    Nous nous entendons très mal : mon tempérament parfois volcanique à éruptions lui paraît du dernier mauvais goût. Quant à moi, je ne lui pardonne pas d’avoir arrêté de fumer. Pire encore : il aime l’art contemporain !… 
    Nous nous entendons très bien : nos variations sur l’exil, notamment linguistique, et ses échos dans la caisse de résonnance subjective sont souvent d’une proximité aussi surprenante que paradoxale. Et combien d’éclats de rire à Piter !… 
    Elles foncent dans la nuit, les nouvelles femmes. 
V.D. 
    Il y a peu de choses aussi navrantes que les théories en poésie. On écartera immédiatement pour mémoire la poésie idéologique à ordre du jour qui paraît-il connaît un regain d’intérêt commercial dans la fange TéléramInrockObsMondÉration. Ça ne vaut rien, mais ça rapporte. Béaba racoleur à l’américaine, comme le homard… 
     Une époque effroyable dans un grand confort. 
V.D


    J’avais exprimé de sérieux doutes quant à la possibilité d’écrire de la poésie en français après DADA, dans Des Chansons pour les sirènes, jusqu’à ce que deux amis me prouvent le contraire, ce qui est la tâche des artistes : Vincent Deyveaux et son tango autour de l’inexprimable, Jérôme Leroy avec ses rengaines de vieux matois du folklore populaire, aux dérives aériennes… Par ordre alphabétique !… Chacun dans une doctrine diamétralement opposée mais tout aussi talentueuse. L’un nageait vers la Norvège, l’autre générait des vagues !… 


    Devoir se démentir soi-même !… Ce qu’il ne faut pas subir quand on est critique !… Je hais les poètes !… Ils me cassent les pieds !… Ils m’obligent à des révisions déchirantes !… Dès que je suis Ministre de la Culture, je convoque ces deux zouaves à mon bureau !… Fini de faire le malin !… 
    Quoi qu’il en soit – et que le lecteur me pardonne ce petit prurit d’autorité d’inspiration stalinienne — L’Appareil à vagues de Mister Deyveaux est un joyau d’une grande pureté dont la poésie subliminale, créatrice d’un climat intérieur, figure parmi ce qu’on peut faire de mieux dans une époque dégradante. 



 Thierry Marignac, mai 2021.