2.1.20

Tandis que règnent nos classes dominantes…

Le poète Boris Ryjii


Dans l’année qui précéda son suicide (2001), le poète Boris Ryjii écrivit ces vers énigmatiques, il y a juste 20 ans. Quelle fulgurance entrevue, quel monument à quel géant, quelle pose d’orgueil cisèle-t-il dans la tradition esseninienne du poète se détachant dans la foule parce qu’il en est l’humble essence ?… Il était le seul à le savoir. Il nous reste, comme disait Nietzsche (gniark, gniark), de sa vision 
à peine esquissée et pleine de trous : « une prodigieuse convoitise ».
Le constructiviste Selvinski ne définissait-il pas la poésie 
comme « une plaisanterie subtile » ?…
Tu m’envies, et l’envie…
(Vers traduits du russe par TM)
Tu m'envies et l'envie — c'est méchant, d'ailleurs,
Il y a de quoi m'envier, gamin, en réalité —
J'ai bu et avec le héros de l'épique poème sans cérémonie bavardé
Dans la ville par lui imaginée, l'hôtel par lui inventé, évocateur.
Ah! gamin vieillissant, sur moi l'épigone, sur moi,
Voyou invétéré, s'est abattue une telle joie,
 De «Pouchtorg»[1] et des «Chevaux dans l'océan»[2] amoureux —
Un ange à l'aile brisée à la fenêtre sous une pluie bleue.
En effet, je le méritais, n'est-ce pas, j'avais le pas franchi.
De musique, des rues et d'alcool m'empoisonnant
Du ciel et de la mer du Nord. Et tu dis «Vous», abruti,
À celui que l'on compte chez les morts, qu'on a viré des vivants.
Boris Ryjii, 2000.

Завидуешь мне, зависть...
Завидуешь мне, зависть – это дурно, а между тем
есть чему позавидовать, мальчик, на самом деле –
я пил, я беседовал запросто с героем его поэм
в выдуманном им городе, в придуманном им отеле.
Ай, стареющий мальчик, мне, эпигону, мне
выпало такое счастье, отпетому хулигану,
любящему «Пушторг» и «Лошади в океане», –
ангел с отбитым крылом под синим дождем в окне.
Ведь я заслужил это, не правда ли, сделал шаг,
отравил себя музыкой, улицами, алкоголем,
небом и северным морем. «Вы» говори, дурак,
тому, кто зачислен к мертвым, а из живых уволен.
Борис Рыжий
2000




[1] Œuvre (1929) du poète constructiviste Illiya  Selvinski, complexe roman en vers, 
où sont intégrés des fragments de Pouchkine, Khlebnikov, 
Erhenbourg, des références à Maïakovski, 
des adresses à divers poètes contemporains dont Zaïtsev, dans un fil mêlant « Evguéni Oneguine » et le « Don Juan » de Byron.
[2] Poème de Sloutsovski (1951), sur le naufrage en pleine mer d’un navire américain transportant des chevaux qui nagent vers nulle part pour survivre — célébré notamment par Evtouchenko, 
et plus ou moins renié par son auteur en 1972.