Le poète Boris Ryjii
Dans
l’année qui précéda son suicide (2001), le poète Boris Ryjii écrivit ces vers
énigmatiques, il y a juste 20 ans. Quelle fulgurance entrevue, quel monument à
quel géant, quelle pose d’orgueil cisèle-t-il dans la tradition esseninienne du
poète se détachant dans la foule parce qu’il en est l’humble essence ?…
Il était le seul à le savoir. Il nous reste, comme disait Nietzsche (gniark, gniark),
de sa vision
à peine esquissée et pleine de trous : « une prodigieuse
convoitise ».
Le
constructiviste Selvinski ne définissait-il pas la poésie
comme « une
plaisanterie subtile » ?…
Tu m’envies,
et l’envie…
(Vers traduits du russe par TM)
Tu m'envies et l'envie — c'est méchant,
d'ailleurs,
Il y a de quoi m'envier, gamin, en réalité —
J'ai bu et avec le héros de l'épique poème
sans cérémonie bavardé
Dans la ville par lui imaginée, l'hôtel par
lui inventé, évocateur.
Ah! gamin vieillissant, sur moi l'épigone, sur
moi,
Voyou invétéré, s'est abattue une telle joie,
Un ange à l'aile brisée à la fenêtre sous une
pluie bleue.
En effet, je le méritais, n'est-ce pas,
j'avais le pas franchi.
De musique, des rues et d'alcool
m'empoisonnant
Du ciel et de la mer du Nord. Et tu dis
«Vous», abruti,
À celui que l'on compte chez les morts, qu'on a
viré des vivants.
Boris
Ryjii, 2000.
Завидуешь мне, зависть...
Завидуешь мне, зависть – это дурно, а между тем
есть чему позавидовать, мальчик, на самом деле – я пил, я беседовал запросто с героем его поэм в выдуманном им городе, в придуманном им отеле. Ай, стареющий мальчик, мне, эпигону, мне выпало такое счастье, отпетому хулигану, любящему «Пушторг» и «Лошади в океане», – ангел с отбитым крылом под синим дождем в окне. Ведь я заслужил это, не правда ли, сделал шаг, отравил себя музыкой, улицами, алкоголем, небом и северным морем. «Вы» говори, дурак, тому, кто зачислен к мертвым, а из живых уволен.
Борис Рыжий
2000
[1] Œuvre
(1929) du poète constructiviste Illiya
Selvinski, complexe roman en vers,
où sont intégrés des fragments de
Pouchkine, Khlebnikov,
Erhenbourg, des références à Maïakovski,
des adresses à
divers poètes contemporains dont Zaïtsev, dans un fil mêlant « Evguéni
Oneguine » et le « Don Juan » de Byron.
[2] Poème de
Sloutsovski (1951), sur le naufrage en pleine mer d’un navire américain
transportant des chevaux qui nagent vers nulle part pour survivre — célébré
notamment par Evtouchenko,
et plus ou moins renié par son auteur en 1972.
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