23.1.17

"Banditsky" d'Andrey Constantinov



   La Razvodka*, c’est une entourloupe, une mise-en-scène prévue pour que l’arnaqué se comporte comme le souhaitent les arnaqueurs. Exemple : un groupe de Tambov se met d’accord avec des Tchéchènes et leur propose de « tomber » sur un commerçant qui est sur leur territoire. Les Tchéchènes vont le voir et lui déclarent qu’à présent c’est à eux qu’il lui faudra payer et que le groupe de Tambov est hors-jeu, que ce n'est plus leur territoire. Le commerçant, affolé, se précipite chez ceux-ci pour demander protection. Ils le calment et l’assurent qu’ils vont organiser une rencontre. Le commerçant peut d’ailleurs être invité à cette Strelka, (en l'occurence une fausse) pour s’assurer que tout est « clair ». Après, les Tambovskie vont s’adresser à lui avec des mots du genre : « …ces Tchéchènes sont de vrais monstres, y’a rien à faire avec eux et il va falloir les liquider, on va s’en occuper. Mais nous, tu nous payes pour protéger ton établissement, pas pour tuer des types. Pour ça, il va falloir nous payer un supplément… » Le commerçant donne son accord, pourvu qu’on le libère de ces « monstres ». S’en suit une mise-en-scène de premier ordre : au cours d’une nouvelle rencontre, toujours sous les yeux du commerçant, ceux de Tambov sortent leurs armes et tirent, à blanc, sur les Tchéchènes qui tombent comme des mouches…Le commerçant s’en va, rassuré, tandis que les acteurs se relèvent et se partagent la prime.
    Après avoir assisté à un tel spectacle, la proie s’estime généralement fière d’être défendue par un tel groupe, et elle pourra par exemple affirmer : « Un Krycha **» c’est quand je dispose de bandits que je paye pour que les autres bandits me laissent tranquille. » 
   Le commerçant commet trois erreurs d’appréciation. La première : les Bandits ne sont pas à sa disposition. Ensuite, il ne les paye pas, ce sont eux qui lui prennent de l’argent. Et enfin, ce qu’il pense être une couverture n’est en réalité qu’un service minimal de police parallèle. Les racketteurs lui laissent un numéro de téléphone où les joindre « au cas où… ». A la rigueur, ils placeront un ou deux types dans son restaurant, son entreprise, mais pas plus; en fait des videurs, juste utiles à virer les types ivres, rien de plus. Et il faudra les payer séparément…Pour ce qui est des attaques, cambriolages et autres, le businessmen devra se débrouiller tout seul. Ce Krycha va lui coûter 20 ou 30% de son bénéfice mensuel. Il faut garder à l’esprit que les bandits ne le protègent pas lui mais qu'ils protègent leur source de revenus. 
   Un vrai Krycha, c’est une protection complète. Elle coûtera environ 60% du bénéfice : les bandits vont contrôler les livraisons, les contrats, trouver des crédits pour l’entreprise ou faire eux-même crédit, se mettre en quête de clients, etc. Bref, ils vont aider au développement des affaires. 
Vladimir Koumarine, à la tête des Tambovskie
   Mais les risques encourus par le commerçant avec « protection complète » ne seront pas moindres, bien au contraire. D’abord, les bandits peuvent l'impliquer dans des manœuvres commerciales douteuses et alors, comme il est le seul représentant légal, il devra le cas échéant en répondre devant la justice. D’autre part, des sources bien informées assurent que la vague d’assassinats de banquiers et d’entrepreneurs en 1993 relevait d’une « guerre des Krycha » : des entreprises avec « protection complète » entraient en conflit commercial avec d’autres entreprises avec « protection complète »… 

* Razvodka : littéralement, une séparation, un divorce. Dans ce cas, c’est un conflit scénarisé, monté par un groupe criminel. 
** un Krycha, c’est-à-dire un toit, une couverture, protection. 

Andreï Constantinov, 2016
traduction Vincent Deyveaux 
extrait de "Banditsky", collection Zapoi, La Manufacture de Livres (clic)

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