9.11.23

Photos passées de Thierry Marignac: parution aujourd'hui.

    Jean-François Merle, auteur, traducteur, éditeur (il fut le grand manitou des éditions Omnibus pendant longtemps), et moi-même nous connaissons depuis plus longtemps qu'il n'est sain de se souvenir, vivant dans l'édition des vies parallèles pendant des décennies, combien de retrouvailles ricanantes devant combien d'andouillettes-frites ! J'avais rédigé une critique de son roman "Le Grand Écrivain" (aux éditions Arléa) dans ces pages, il y a quelques années.

    Aujourd'hui que j'ai le front de publier mon autobiographie en sourdine"Photos passées" éditions Manufacture de Livres, il a eu la gentillesse de me renvoyer l'ascenseur dans le délicat exercice ci-dessous…





    Cher Thierry, Si tu étais un publicitaire rusé, tu introduirais le propos de ton livre ainsi : « J’avais 64 ans quand j’ai fait la connaissance de mon père, il en avait 119, il était mort depuis longtemps » et tu ferais croire au naïf lecteur qu’il est devant un roman fantastique peuplé de fantômes (gros marché) ; sauf qu’il s’agit d’un récit pas du tout fantastique peuplé de fantômes. 
    Nous sommes toi et moi à un âge auquel on se dit qu’un grand bout de chemin a été accompli, où l’on peut se retourner, regarder derrière soi et juger des zigzags qu’il a pris : voilà comment je suis devenu qui je suis. Bon, on n’est pas obligé de le raconter, la plupart des destinées sont chiantes pour autrui (la mienne, par exemple). Et tout le monde n’a pas un mystère des origines à se mettre sous la dent. 
    Alors, une autobiographie ? Si l’on veut, mais pas seulement, et c’est heureux ; il s’agirait plutôt d’un récit de formation, un Bildungsroman, pour faire chic. En découvrant à l’âge de la retraite (nouvelle norme) le visage de ton géniteur, et on comprend que ça puisse remuer, tu te demandes comment ce type, là, sur la photo, a pu par son absence assourdissante façonner le personnage que tu es. Ce père dont tu connaissais l’existence, mais comme une abstraction, une rumeur mal cachée, le voilà, en noir et blanc, te tenant dans ses bras. 
     Ainsi lesté et élevé par des gens qui érigent le mensonge et les non-dits en vertus, tu t’en es pas mal sorti, ce n’était pas facile, tu fais partie des survivants. « Familles, je vous hais ! » disait le vieux Dédé. Ouais, d’accord, c’est bien joli mais quand la formule prend son sens dans la vraie vie, c’est moins marrant, la chose n’aide pas à l’équilibre mental et à l’épanouissement d’un jeune être ; d’où chez toi un certain nombre d’aventures périlleuses et une propension à ne pas tenir en place. 
    Je te fréquente depuis 35 ans, nous nous connaissons bien, à force, disons que je n’ai pas appris grand-chose en lisant Faute au passé, mais ce n’est pas ce que tu racontes qui me séduit (« l’intrigue », si je puis dire), mais comment tu le racontes. Comme dans Cargo sobre, récit d’un voyage transatlantique durant lequel il ne se passe à peu près rien, tu prends le lecteur par la main et tu l’embarques sur ton chemin en lui montrant les fleurs sur le bas-côté, tu digresses, tu sautilles, sur un ton de déambulation, désinvolte, amusé, gouailleur, et d’une effroyable lucidité. Et là, je dois le reconnaître, chapeau ; plutôt que de dépenser une fortune et des années dans une psychanalyse à l’issue incertaine (et je te vois mal rester immobile sur un divan), tu as réussi l’exploit non seulement d’aboutir à un résultat, je veux dire à une sorte de réconciliation, mais surtout d’avoir monnayé ton histoire auprès d’un éditeur, et ceci sans avoir eu besoin de coucher et sans user de chantage ou de menaces. 
    C’est donc qu’il a vu dans cette confession d’un enfant du siècle ce qu’elle est en définitive : de la littérature.


    JFM

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    Enfin, le livre est disponible chez l'éditeur au lien suivant: