On notera que chez l’un comme chez l’autre l’économie de moyens est frappante. En accord avec leur sujet, leur style est dépouillé. Le vieux Kropivniski reste impersonnel dans un humour qui grince comme un ricanement d’outre-tombe. Tandis que le jeune Ryjii tient dans la pure émotivité d’une adresse sentimentale, bien que les images dont il use ne soient pas dépourvues d’une ironie amère…
C’est à la demande du musicien de Pétersbourg, Vsevolod Dorokhov, qui compose des mélodies sur les poèmes de Ryjii, et souhaite les chanter en français aussi, que nous avons traduit cet ultime poème.
(Traduction © Thierry Marignac)
L’homme
Il est à la terre rattaché tellement,
Malheureusement, il n’est pas très résistant :
L’échéance de sa vie est courte foncièrement :
Le corps est un matériau pourrissant.
Il fut jeune, il allait étudier,
Mais quelle horreur :
Il a mûri rapidement. Et
Il a senti de la mort la terreur.
Parmi les dépouilles mortelles, les décomposés,
Tous ceux qui sont du siècle prisonniers —
Modestement son court siècle il a traversé
Cet humain avec humilité.
Et voici la vieillesse arrivée.
Ah, comme semble racorni !
Il est devenu chauve, il est devenu gris —
En fait, il a perdu toute beauté.
C’est un poète. Son âme comme avant,
Baigne dans l’espoir aveuglant
Et la rêverie comme un firmament étoilé
—
Et la mort lui semble absurdité.
Il appréciait les teintes de la vie
Les caresses de femmes, et l’amour,
La beauté de la nature dans ses atours,
Et le babillage de la poésie.
La mort est-elle possible ! Dieu tout-puissant !
Comme c’est absurde ! Qu’est-ce que c’est vraiment :
Vivre et être et brusquement que quick
Après d’intolérables souffrances iniques ?
Pourquoi donc est-il né ?
Ou bien le monde terrestre a-t-il seulement rêvé ?
Ou bien la vie n’est-elle qu’un délire insensé
Et l’univers ne peut exister ?
Il est à la terre rattaché tellement,
Mais il est fragile, malheureusement :
Quelque chose tremble et kapout —
Comme s’il n’avait jamais vécu là, sans doute.
Rien ne savent les gens.
En bêtes sauvages, ils naissent en errant,
Vivant, se multipliant,
Et après — ça y est enfin mûrs — crevant.
Evguéni Kropivnitski, 5 octobre 1955.
ЧЕЛОВЕК
Он к земле привязан очень,
К сожаленью он не прочен:
Жизни срок сугубо мал:
Тело – тленный материал.
Был он млад, ходил в гимназию,
Но какое безобразие:
Возмужал он быстро. Ах,
Он почуял смерти страх.
Среди тленных, среди бренных,
Среди всех от века пленных –
Прожил скромно краткий век
Сей смиренный человек.
Вот и старость наступила.
Ах, как выглядит он хило!
Облысел, стал он сив –
В общем стал он некрасив.
Он поэт. Душа как прежде,
В ослепительной надежде
И мечта как звездная твердь –
И ему нелепа смерть.
Оценил он жизни краски
И любовь и женщин ласки
И природы красоту,
И поэзии лепоту.
Неужели смерть! О боже!
Как нелепо! Это что же:
Жить да быть и вдруг каюк
После нетерпимых мук ?
Для чего же он родился ?
Или мир земной лишь снился ?
Или жизнь нелепый бред
И не существует свет ?
Он к земле привязан очень,
К сожаленью он непрочен:
Что-то трахнет – и капут –
Словно он не жил тут.
Ничего не знают люди.
Как зверьё родятся в блуде,
Размножаются, живут,
А потом – готово – мрут.
Евгений Кропивницкий, 5 октября 1955.
Ne me quitte pas…
Ne me quitte pas, à l’heure
Où l’étoile de minuit se consumerait,
Où dans la rue et dans la demeure
Tout est bon comme jamais.
Ni pour ceci-cela, ni pour quoi que ce soit
Juste comme ça et notamment
Quand j’ai mal, laisse-moi,
Laisse-moi complètement, va-t-en.
Que se vident les cieux
Que les forêts noircissent
Qu’aux abords du sommeil, la terreur m’envahisse
Que se ferment mes yeux.
Que l’ange de la mort, comme au cinéma
Verse du poison dans le vin
Les cartes de ma vie qu’il rebatte vers rien
Et sur le linceul jette une croix.
Mais tu resteras éloignée —
À la fenêtre, blanc merisier
Tu riras, en ne touchant rien,
En me tendant la main.
BORIS RYJII, 2000
Не покидай меня
Не покидай меня, когда
горит полночная звезда,
когда на улице и в доме
всё хорошо, как никогда.
Ни для чего и низачем,
а просто так и между тем
оставь меня, когда мне больно,
уйди, оставь меня совсем.
Пусть опустеют небеса.
Пусть станут чёрными леса.
пусть перед сном предельно страшно
мне будет закрывать глаза.
Пусть ангел смерти, как в кино,
то яду подольёт в вино,
о жизнь мою перетасует
и крести бросит на сукно.
А ты останься в стороне —
белей черёмухой в окне
и, не дотягиваясь,
смейся,
протягивая руку мне.
Борис Рыжий, 2000.