Carte de taulard de Richard Stratton |
LES TOURS ET LES DÉTOURS D'UNE VIE DE BÂTON DE CHAISE:
Dans cette vie étrange, d’un château l’autre, j’ai croisé un
certain nombre de drôles de citoyens. L’un des plus marquants fut Richard
Stratton, cow-boy de légende, journaliste à Rolling
Stone, candidat malheureux à l’équipe de lutte libre des JO de Mexico, puis
trafiquant de marijuana à la tonne, parrain de la Hippie Mafia, dont les fournisseurs se trouvaient aussi bien au
Mexique, en Colombie, qu’au Liban. Il était également proche de Norman Mailer
et de Hunter Thompson. Il me raconta comment, à Beyrouth, en pleine guerre
civile, trafiquant américain, on lui avait refilé une boule de libanais rouge,
pour goûter. Comment ensuite, au cours de la nuit, tandis que les obus de
mortier tombaient autour de l’hôtel, une escouade de la police libanaise avait
débarqué dans sa piaule pour l’emmener direct vers le patron des douanes nationales, qui voulait traiter avec l'Américain, et lui dit aussitôt que le hasch
qu’on lui avait refilé, c’était de la daube. Lui, patron de la douane, il avait bien mieux à offrir, direct de la plaine de la Bekaa, sous contrôle syrien.
Richard Stratton, aujourd'hui |
Ensuite, un caïd mafieux de Boston le menaça de mort, s’il
ne payait pas tribut. Richard, qui avait d’autres relations dans les Familles,
ne se laissa pas impressionner. Il les payait déjà, pour importer ses
cargaisons. Et s’en sortit sans dommages.
En 1982, Richard fut arrêté par la DEA, balancé par un
contact cocaïnomane. Lors de son procès, les fédéraux, désireux d’une affaire
retentissante, lui promirent une réduction de peine, s’il acceptait de mouiller
Thompson et Mailer. Jusqu’au jour d’aujourd’hui dit-il, s’il peut se faire face
dans le miroir au moment de se raser, c’est parce qu’il a refusé le marché.
Richard n’a pas que des motifs de satisfaction. Tant de ses
proches sont morts ou en taule, ou ce sont devenus des épaves, sans compter les
victimes innocentes, parfois abattues par tel ou tel truand pour telle ou telle
raison collatérale, qu’il lui a fallu repenser à tout ça, et que son rôle de
Robin des Bois de l’herbe, est loin de lui sembler sans tache.
En prison, Richard a écrit un beau polar sur le trafic (préfacé par Norman Mailer) : L’Idole
des camés (Rivages/Noir),
traduit par l’auteur de ces lignes, et il a percuté qu’on ne pouvait se
défendre contre l’arbitraire juridique, qu’en ayant une bonne compréhension du
langage dans lequel s’exprime la Justice. Sa peine avait été portée à 25 ans,
pour son refus de collaborer. Il découvrit, en étudiant les textes de loi, que
si l’on peut réduire la peine d’un suspect coopératif, on ne peut l’aggraver si
celui-ci refuse de collaborer avec la Justice. Ce serait de la coercition, et
c’est antidémocratique !…
Richard sortit donc au bout de 8 ans, en 1990, et lorsque je fis sa
connaissance, deux ans plus tard, il était marié avec Kim Wozencraft, ex-flic
des stups devenue toxico et envoyée en taule par le FBI, auteur de Rush, où elle racontait tout ça, porté
au cinéma, dans un film avec Janet Jennifer Leigh, et Jason Peric.
J’ai parlé et de l’un et de l’autre (depuis séparés) dans Cargo sobre. J’ai commis, au sujet de
Richard Stratton, une petite erreur par omission, dans ce livre, mémoire
fautive. J’ai incomplètement cité son Haïku
de prisonnier des pénitenciers fédéraux, oubliant les deux premières lignes,
réparons cet oubli :
Au bout des rouleaux
de barbelé,
Brille un ciel bleu empalé,
Les miradors, comme des phares
octogonaux,
Signalent le naufrage, des vies échouées
ici.
Norman Mailer et Richard Stratton au cours d'une party mémorable, où j'étais arrivé en retard!… |
Grâce à Richard, j’ai rencontré Norman Mailer et grâce à lui
encore, tourné le documentaire sur cet auteur majeur au XXe siècle, pour Un Siècle d’écrivains, l’émission de
Bernard Rapp, diffusé le 20 janvier 1999, et certainement vendu depuis en DVD
sans que j’ai jamais touché une thune. Quand on commence dans la débine, on se
fait enfler ad vitam æternam, à moins
d’être un requin, mais j’ai beau m’y efforcer, l’entraînement me fait défaut.
Jours effrénés à Brooklyn Heights, à Manhattan, à enchaîner interviews sur
interviews, le pulitzer George Plimpton, le champion du monde mi-lourds José
Torrès, le poète beat Allen Ginsberg, l'égérie féministe Kate Millett, Mailer lui-même, transbahutés dans le 4x4
de Stratton, vodka citron vert en fin de journée.
La
dernière fois que j’ai vu Stratton, en 2010, près de Battery Park, Manhattan, le
long de l’Hudson, sur le chemin piéton que je remontais lentement par un
dimanche à la chaleur écrasante, c’est lui qui m’a appelé, What are you doing here, it’s not Paris, it’s New York !…. Il
avait l’air en forme. Un enfant de sept ou huit ans courait à ses côtés, qu’il
me présenta comme son dernier fils, d’une actrice sud-américaine, je crois. Il
vient de publier ses mémoires (Smuggler’s
Blues), assorties d’un documentaire, où le vieux bandit crache tout :
Je ne
savais pas tout ça (une bonne partie tout de même, on avait passé pas mal de
temps en bagnole, à discuter le bout de gras). Il va falloir que je lui passe
un coup de Skype…