Vladimir
Kozlov : le mec impeccable.
J’ai déjà parlé de l’admiration que
j’entretenais pour V. Kozlov, un mec décidément pas ordinaire (un frère !
Il n’appartient à personne !). Je chercherais presque à le prendre en
défaut, le prendre en flagrant délit de contradiction avec son anti-doctrine.
Mais on dirait qu’il pense à tout, qu’il est impossible à piéger. Une nouvelle
preuve dans l’interview (faite en Biélorussie, chez Loukachenko) qui suit, au sujet de son dernier livre "Svoboda" (Liberté).
TM
Interview de Sergueï Gribanovski, Info-centrTS-J-R septembre 2012
(extraits traduits par TM) :
J’ai
connu le romancier Vladimir Kozlov à qui l’on doit ces lignes, il y a un
certain temps, et il m’est à présent difficile d’établir comment ou dans
quelles circonstances ça s’est passé : soit le fait que nous soyons
originaires du même endroit a joué son rôle ( V. Kozlov a passé sa jeunesse
dans les « quartiers ouvriers » de Moguilev) ou bien c’est parce que
j’aimais les publications des éditions Ad
Marginem[1], où sont parus les premiers livres de Kozlov,
ou bien, en fin de compte, quelqu’un me l’avait recommandé, sous le prétexte
que les livres de cet auteur parlaient de « la castagne, les bandes, la
saoulographie, etc ». Quoi qu’il en soit, la raison originelle me paraît moins importante, maintenant que
j’ai eu l’occasion de rencontrer l’auteur de Racailles ( éditions Moisson
Rouge) et bien d’autres livres tout aussi
excellents. Il faut préciser que le natif de Moguilev ( Biélorussie), et
maintenant moscovite depuis une dizaine d’années, V. Kozlov est revenu dans son
pays natal avec son nouveau roman au titre significatif Liberté.
—
Volodia,
ce sera ma première question, bien sûr liée à la sortie de ton livre Liberté et sa présentation dans la
capitale biélorusse (Minsk). Quelle est l’idée qui sous-tend un tel titre, à
quoi fais-tu allusion ?
—
« Liberté »
c’est un livre qui parle des années 1990. Ce sont les années de liberté
maximales en Biélorussie, en Russie et en général dans toute l’ex- URSS.
Cependant au bout de quelques années, les gens se sont mis à refuser cette
liberté en échange d’autre chose, par exemple, l’aisance matérielle. Ce livre
tente d’observer les années 1990, et de
répondre à la question de savoir pourquoi les gens ont besoin de liberté et
pourquoi ils sont prêts à y renoncer si facilement. D’un autre côté, il est
important d’apprécier une autre question : en quoi consistait cette
liberté, était-elle si bienfaisante que ça ? Le temps a passé, et nous
pouvons jeter sur cette époque un regard distancié.
—
Dans ce
cas, es-tu d’accord pour dire que les années 1990 étaient maléfiques, synonymes
de déchéance, et que les années 2000, étaient grasses, repues,
satisfaites ?
—
Il s’agit d’une représentation des choses
extrêmement primitive. Les années 1990 sont pour moi, des années de liberté
totale et même anarchique, que tout le monde n’a pas été capable de mettre à
profit et que beaucoup ont rejeté par la suite, bien entendu au bénéfice de la
satiété et du consumérisme qui ont suivi.
D’après moi, mon expérience personnelle à
Moscou, la caractéristique des années 2000, c’est sans conteste le
consumérisme, la tentative de se goinfrer de ce qui était inaccessible dans les
années 1980, et réservé à un petit nombre dans les années 1990. Cette tentative
va jusqu’à l’absurde assez souvent. Le consumérisme devient souvent une idéologie
et une religion. D’un autre côté, sous des tas d’aspects, les années 1990 ont
modelé les années 2000. Les gens qui ont fait leurs premiers pas vers la prise
du pouvoir dans les années 1990, y sont parvenus dans les années 2000. Ils nous
gouvernent à présent, d’après les idées nées dans les années 1990, les idées
criminelles, les idées d’une société pas encore digne d’une nation développée.
Ces gens sont encore zélateurs des stéréotypes des années 1980, par exemple,
la division de la société en « ennemis » et « amis ». Tout
ça est assez ridicule…
—
Revenons à ton dernier roman. Explique-nous combien de temps ça t’a pris de
concevoir et d’écrire ce bouquin, et ce que le processus avait d’intéressant,
en termes de boulot ? Si l’on peut s’exprimer ainsi, « Liberté »
— c’est un retour sur des sentiers battus, ou bien une redécouverte de
soi-même, l’auteur Vladimir Kozlov ?
—
Chacun de mes livres est écrit spontanément. J’avais
au début une idée très abstraite : choisir un homme, soit un extra-lucide,
assez habituel dans ces années-là, soit un politicien marginal. En gros, je
voulais créer un personnage négatif. Mais ensuite, comme il m’est arrivé
auparavant dans d’autres livres, tout s’est
métamorphosé, et j’ai ressenti de la sympathie pour ce personnage. Au final, j’ai
conçu une masse de choses pas prévues au départ.
J’ai écrit ce roman assez vite : quelques mois pour le
concevoir, et l’ai écrit en deux ou trois mois. Ensuite, quelques mois se ont
encore écoulés, parce que le précédent n’avait toujours pas d’éditeur, et il n’y
avait aucune raison de se presser pour celui-là. Je l’ai revu et corrigé.