Nous ne saurions trop recommander la lecture du blog de Le Nocher,http://action-suspense.over-
Nos z’amis z’auteurs de polars ont accepté de répondre à l’interview express 2011 d’Action-Suspense, une nouvelle série dans l’esprit des Portraits Chinois. Ils nous donnent chacun leur version, amusée ou sérieuse, aux six questions décalées qui leur sont posées.
Aujourd’hui : Thierry Marignac
L’ambiance de vos romans, c’est plutôt : Soleil bruineux sur jungle urbaine, ou Grisaille radieuse sur
cambrousse pittoresque ?
Si
mes décors sont rarement bucoliques — j’ai plutôt la main noire, mes
critiques diront la main lourde voire la
main au panier, que la main verte — la météo, c’est, semblable aux
femmes, ces chères créatures parfumées, ce qui ou qu’on change. On ne
niera pas ici les mérites immédiatement glaciaires du ciel
lourd béton froid, mais le contre-emploi a ses avantages, et j’ai
préféré pour mon petit dernier "Milieu hostile" (éditions Baleine),
situé en Ukraine, dépeindre la Glaçonnie l’été, suffocante,
écrasée de soleil.
Vos héros sont plutôt : Beaujolais de comptoir, ou Double whisky sec ?
On
touche là à une affaire de la plus extrême importance. Et pas si facile
qu’une première approche purement
micro-comptoir ne pourrait le laisser supposer. Le prisme
franco-américaniste défini dans les termes ne me convient pas bien. Pour
des raisons de goût et d’esthétique, je ne touche pas au vin
rouge, difficile donc d’en parler. Je suis beaucoup plus cultivé sur
le Scotch, et lâchez-moi avec vos tourbes fumées à vous emporter le
bec, ou plutôt buvez donc votre réglisse infâme en vous
croyant raffiné, tandis que dans les Midlands on fabrique du rond,
de l’enthousiaste révélateur de céréales.
Mais
depuis quatre romans je suis à l’Est en général sur un tord-boyau
tantôt incolore tantôt caramel trouble,
certes lui aussi vaguement fondé sur du grain dans le meilleur des
cas, mais plus apprécié pour la brûlure sur les papilles que pour ses
notes boisées de banane et fruits rouges… Donc pas de
double whisky non plus.
La
véritable maîtrise viendra lorsque je saurai expliquer en mots pourquoi
une Duvel est une classique indémodable
et possible en journée, tandis qu’une Westmalle triple est un
démoniaque breuvage de sorcières dont les origines remontent
certainement à la grotte de MacBeth, et quel romantisme déplacé me
permet d’aimer la Baltika n°9, bière d’alcoolique pur et de junkies à
laquelle on rajoute de l’alcool pour la faire grimper en tonnage — à
peine plus raffinée qu’une 8,6 de fumeur de
crack.
Vos héros sont du genre : J’aime personne, ou Je me déteste ?
Je me déteste peut-être mais je ne vous aime certainement pas assez pour vous le dire. Dans la mesure où, comme on
dit en série noire, J’ai pas de frangin, c’est pas non plus vos oignons, vous cherchez les pépins.
Ce
questionnaire franchit les limites du tolérable !… À une époque où
l’information toute entière est une entreprise
de décervelage du client, fondée sur des sommaires techniques de
mensonge mis en scène, qu’on ne reprochera jamais assez à l’obscénité
télévisuelle, la fiction a le devoir d’éclairer la réalité
du planétaire complot poudre aux yeux. N’importe éclat de vérité,
fût-il infime, campé avec audace dans les ambiguïtés et paradoxes du
temps présent illumine le théâtre du monde — inoubliable
lueur du rêve interdit…
Vos intrigues sont : Des torrents imprévisibles, ou Des fleuves canalisés?
Tout
est prévu de A à Z dans l’imperturbable logique bulldozer de l’époque
contemporaine, calculé au millimètre
selon une architecture à la conception inouïe, tant sur le
macrocosme que sur l’infinitésimal, un plan informé par les découvertes
les plus récentes, alimenté à flux tendus grâce à un système de
communication en-ligne susceptible d’orienter l’intrigue dans ses
moindres détails au fur et à mesure de l’évolution darwinienne du
Schmilblik selon les lois du cosmos et des courbes libidinales
de l’auteur — tout de même vieillissant, susceptible d’avoir recours
aux stimulants chimiques qui suppléent à l’impuissance, et qui —
eussent-ils été mis au point il y a cinq siècles — nous
auraient privés de nombreux chef-d’œuvres de l’art classique. Mais
cela ne nous regarde pas.
Quel est votre propre état d’esprit : C’était mieux demain, ou Le futur c’est maintenant
?
La
régression — en anglais Reverse Flash-Back — vers le gâtisme
émerveillé, et légèrement aborigène gogol devant un
bout de miroir ou une ampoule qui clignote, un bolide arrivé avant
de partir, une télécommande qui couine, un téléphone portable
contraceptif et j’en passe, quoique symptôme du gâtisme
contemporain généralisé — en français moderne Alzheimer — nous ouvre
les portes des lendemains radieux que le grand Staline lui-même a bien
failli ne pas promettre aux masses, agacé qu’il était
ce jour-là que les Ricains aient la bombe avant lui. Une histoire à
faire fusiller son majordome pour le remplacer par un robot.
Un grand merci à Thierry Marignac. Son nouveau roman "Milieu hostile" (Ed.Baleine) sera bientôt
chroniqué ici. On peut aussi lire mes articles sur ses précédents titres : "Renegade boxing club", "Le pays où la mort est moins chère", "Maudit soit l'Eternel". Thierry Marignac a
répondu au "Portrait Chinois". On peut lire une nouvelle
inédite de cet auteur dans le n°10 du magazine L'Indic.