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7.11.11

À QUESTIONS ABSURDES, RÉPONSES LOUFOQUES

L'ami Claude Le Nocher est un des rares chroniqueurs de polar — race conformiste d'abrutissement et d'obédience puritaine manchetto-ellroyenne  de gauche— à avoir de l'humour. Nous ne savons résister au plaisir de reproduire son interview tordue, publiée aujourd'hui 7/11/2011, et cerise sur le gâteau, sous une critique du superbe classique de la came Drugstore Cow-Boy, réédition avec la photo en couverture du vieux Burroughs pape de la défonce, et de Matt Dillon, tirée du film — une séquence au centre de désinto, où on a surnommé Burroughs ÷ "The Priest".
Nous ne saurions trop recommander la lecture du blog de Le Nocher,http://action-suspense.over-blog.com/, à la fois modeste humoristique et sérieux.


Nos z’amis z’auteurs de polars ont accepté de répondre à l’interview express 2011 d’Action-Suspense, une nouvelle série dans l’esprit des Portraits Chinois. Ils nous donnent chacun leur version, amusée ou sérieuse, aux six questions décalées qui leur sont posées.
Aujourd’hui : Thierry Marignac
 
L’ambiance de vos romans, c’est plutôt : Soleil bruineux sur jungle urbaine, ou Grisaille radieuse sur cambrousse pittoresque ?
Si mes décors sont rarement bucoliques — j’ai plutôt la main noire, mes critiques diront la main lourde voire la main au panier, que la main verte — la météo, c’est, semblable aux femmes, ces chères créatures parfumées, ce qui ou qu’on change. On ne niera pas ici les mérites immédiatement glaciaires du ciel lourd béton froid, mais le contre-emploi a ses avantages, et j’ai préféré pour mon petit dernier "Milieu hostile" (éditions Baleine), situé en Ukraine, dépeindre la Glaçonnie l’été, suffocante, écrasée de soleil.
Vos héros sont plutôt : Beaujolais de comptoir, ou Double whisky sec ?
On touche là à une affaire de la plus extrême importance. Et pas si facile qu’une première approche purement micro-comptoir ne pourrait le laisser supposer. Le prisme franco-américaniste défini dans les termes ne me convient pas bien. Pour des raisons de goût et d’esthétique, je ne touche pas au vin rouge, difficile donc d’en parler. Je suis beaucoup plus cultivé sur le Scotch, et lâchez-moi avec vos tourbes fumées à vous emporter le bec, ou plutôt buvez donc votre réglisse infâme en vous croyant raffiné, tandis que dans les Midlands on fabrique du rond, de l’enthousiaste révélateur de céréales.
Mais depuis quatre romans je suis à l’Est en général sur un tord-boyau tantôt incolore tantôt caramel trouble, certes lui aussi vaguement fondé sur du grain dans le meilleur des cas, mais plus apprécié pour la brûlure sur les papilles que pour ses notes boisées de banane et fruits rouges… Donc pas de double whisky non plus.
La véritable maîtrise viendra lorsque je saurai expliquer en mots pourquoi une Duvel est une classique indémodable et possible en journée, tandis qu’une Westmalle triple est un démoniaque breuvage de sorcières dont les origines remontent certainement à la grotte de MacBeth, et quel romantisme déplacé me permet d’aimer la Baltika n°9, bière d’alcoolique pur et de junkies à laquelle on rajoute de l’alcool pour la faire grimper en tonnage — à peine plus raffinée qu’une 8,6 de fumeur de crack.
Vos héros sont du genre : J’aime personne, ou Je me déteste ?
Je me déteste peut-être mais je ne vous aime certainement pas assez pour vous le dire. Dans la mesure où, comme on dit en série noire, J’ai pas de frangin, c’est pas non plus vos oignons, vous cherchez les pépins.



Vos intrigues, c’est : J’ai tout inventé, ou Y a sûrement du vrai ?
Ce questionnaire franchit les limites du tolérable !… À une époque où l’information toute entière est une entreprise de décervelage du client, fondée sur des sommaires techniques de mensonge mis en scène, qu’on ne reprochera jamais assez à l’obscénité télévisuelle, la fiction a le devoir d’éclairer la réalité du planétaire complot poudre aux yeux. N’importe éclat de vérité, fût-il infime, campé avec audace dans les ambiguïtés et paradoxes du temps présent illumine le théâtre du monde — inoubliable lueur du rêve interdit…
Vos intrigues sont : Des torrents imprévisibles, ou Des fleuves canalisés?
Tout est prévu de A à Z dans l’imperturbable logique bulldozer de l’époque contemporaine, calculé au millimètre selon une architecture à la conception inouïe, tant sur le macrocosme que sur l’infinitésimal, un plan informé par les découvertes les plus récentes, alimenté à flux tendus grâce à un système de communication en-ligne susceptible d’orienter l’intrigue dans ses moindres détails au fur et à mesure de l’évolution darwinienne du Schmilblik selon les lois du cosmos et des courbes libidinales de l’auteur — tout de même vieillissant, susceptible d’avoir recours aux stimulants chimiques qui suppléent à l’impuissance, et qui — eussent-ils été mis au point il y a cinq siècles — nous auraient privés de nombreux chef-d’œuvres de l’art classique. Mais cela ne nous regarde pas.
Quel est votre propre état d’esprit : C’était mieux demain, ou Le futur c’est maintenant ?
La régression — en anglais Reverse Flash-Back — vers le gâtisme émerveillé, et légèrement aborigène gogol devant un bout de miroir ou une ampoule qui clignote, un bolide arrivé avant de partir, une télécommande qui couine, un téléphone portable contraceptif et j’en passe, quoique symptôme du gâtisme contemporain généralisé — en français moderne Alzheimer — nous ouvre les portes des lendemains radieux que le grand Staline lui-même a bien failli ne pas promettre aux masses, agacé qu’il était ce jour-là que les Ricains aient la bombe avant lui. Une histoire à faire fusiller son majordome pour le remplacer par un robot.
 
Un grand merci à Thierry Marignac. Son nouveau roman "Milieu hostile" (Ed.Baleine) sera bientôt chroniqué ici. On peut aussi lire mes articles sur ses précédents titres : "Renegade boxing club", "Le pays où la mort est moins chère", "Maudit soit l'Eternel". Thierry Marignac a répondu au "Portrait Chinois". On peut lire une nouvelle inédite de cet auteur dans le n°10 du magazine L'Indic.