Le pouvoir autocratique de TM avait donc cédé la place à un triumvirat. Si Deyveaux revenait très fort avec le tumultueux Nikonov, Kira Sapguir avait elle aussi son mot à dire sur la scène poétique. Elle revenait quant à elle en fanfare avec une interview du poète kazakh Bakhytjan Kanapianov, dont le recueil "Perspective Inversée", sous le pseudo Jan Bakhyt venait de sortir chez SL publications, livrant enfin au public français les vers d'un des meilleurs poètes kazakh contemporains.
TM, dans une crise de modestie soudaine, apparemment maladive et absolument pas caractéristique, jouait les seconds couteaux, un peu comme Molotov, après la mort du Grand Joseph. Mais grâce à Bakhytjan, le 17 octobre 2017, aux journées du Kazakhstan à l'UNESCO, il avait eu les honneurs de la tribune pour communiquer ses lumières de traducteur. Encore une ou deux interventions de ce genre et il pourrait reprendre le cours normal de sa tyrannie grâce aux soutien des masses internationales.
TM, dans une crise de modestie soudaine, apparemment maladive et absolument pas caractéristique, jouait les seconds couteaux, un peu comme Molotov, après la mort du Grand Joseph. Mais grâce à Bakhytjan, le 17 octobre 2017, aux journées du Kazakhstan à l'UNESCO, il avait eu les honneurs de la tribune pour communiquer ses lumières de traducteur. Encore une ou deux interventions de ce genre et il pourrait reprendre le cours normal de sa tyrannie grâce aux soutien des masses internationales.
(ITW traduite par TM)
Kira Sapguir : Cher Bakhytjan, Thierry Marignac,
traducteur de votre recueil, « Perspective Inversée » vous a baptisé
d’un nouveau nom Jan Bakhyt. On dit que le nom a une influence sur le destin de
l’homme — ou du moins sur sa vision du monde. Ressentez-vous des
transformations ?
Bakhytjan
Kanapianov : Je pense que mon nouveau nom et le nouveau
titre de mon recueil en français sont liés indissolublement. Jugez-en
vous-mêmes, si auparavant on traduisait le nom Bakhytjan de la langue
turco-mongole kazakhe par « l’âme heureuse », aujourd’hui on traduit
par « l’âme du bonheur ». Les composantes sacrées, transmises par mes
parents, sont donc restées en vigueur grâce à la perspective inversée de notre
existence. On souhaiterait que « l’âme du bonheur » ne soit pas
seulement dans la versification, mais en partie dans la réalité : J’ai
même quelques vers à ce sujet, écrits la semaine dernière :
JAN BAKHYT
Toute mon âme, en
avant, je brandirai.
Et derrière elle s’élèvera le bonheur.
Et qu’en sera-t-il au-delà ? Je ne
sais
Derrière ce rideau d’épaisseur.
La route continuera comme avant
À mener au prochain tournant.
Comme avant s’élèvera l’anxiété
Une fois les notes des oiseaux noirs
chantées.
Et ce qui surviendra au-delà, ainsi
soit-il
Les rides de mon front, je ne peux
effacer.
Ainsi comme avant le destin juge-t-il
Par des lignes venues du ciel étoilé.
KS : Qu’attendez-vous du lecteur « de
l’avenir radieux » ?
BK : Sans
un passé radieux, il n’y a pas d’avenir radieux. Le lecteur d’autrefois avait le bonheur de
goûter l’arôme de sa lecture grâce au livre imprimé et non au livre internet
(audio et électronique).
« Taisez-vous, livres maudits, je ne vous ai jamais écrit ! » (Alexandre Blok). Ça
vient des rayons de bibliothèque ça, de là où les livres amis vous séduisaient
(bons et divers). On par voudrait, une fois encore par « perspective
inversée » que ça se répète au cours d’une nouvelle spirale de l’histoire,
mais nous sommes au XXIe siècle.
KS : On trouve dans votre généalogie Attila et
Gengis Khan. Est-ce que ces ancêtres se livrent bataille au sein de votre
âme ?
BK :Ils
sont si lointains qu’ils depuis longtemps métamorphosés en faits historiques,
folklore, en un mot en mythe d’une réalité passée. Je suis plus proche par le
cœur et la parenté d’âme du Tchinguiz Tchokan Valikhanov, ami et camarade de
Fiodor Dostoïevski, de mon père, le professeur d’histoire Mossakhan Kanapianov,
qui fréquenta dans sa jeunesse à Omsk, et Anton Sorokine et Leonid Martynov, et
Vsevolod Ivanov, et même Pavel Vassiliev, sans parler des poètes kazakhs
victime de la répression soviet, Marjan et Chakarim.
KS :Si l’on évoque votre rencontre avec la France, c’est à dire la
traduction de votre poésie de la langue de Pouchkine à celle de Racine, est que
qu’il n’agit pas, selon, une « Conquête de l’Europe », par des voies
pacifiques, celles de la poésie et de l’enrichissement mutuel de deux
mondes ?
BK :
Tout
d’abord et sans malice nous en profiterons pour remercier la « petite
patronne » du "Grand Paris ", Kira Alexandrovna Sapguir pour
toute l’aide qu’elle nous a apporté et sa collaboration dans cette
« conquête », et parce qu’avec l’adepte de la littérature russe (et
maintenant orientale), le prosateur, et traducteur qui ressent le mot au niveau
moléculaire, Thierry Marignac, nous ne nous serions jamais rencontré sans elle. Il
ne s’agit pas ici de révérence orientale, mais de la simple exigence de l’âme
de Jan Bakhyt, prononcer quelques paroles de gratitude. Ce n’est pas à moi de
dire que la poésie ses métaphores et ses images sont sans frontières, parce que
tout deviendra clair et familier grâce à l’original et grâce à une bonne
traduction pour les lecteurs des pays de la langue cible. En l’occurrence, la
France et les pays francophones. Comme on dit : Paris vaut bien une messe !
KS : Exact. Si étrange que cela puisse paraître
nous commençons tous, enfants justement par des vers, et non par la prose.
Alors que par nature les vers sont plus difficiles. Parlez-nous de votre
premier poème.
BK : Franchement, je n’en ai
aucun souvenir. Probablement les montagnes, la steppe, Irtych, les yeux de maman, les troupeaux de chevaux près de l’aoul[1].
Sans connaître sa tribu, sans savoir
ses parents
Sans connaître du langage les
fondements
L’enfant pleure, il n’a même pas un an
Une tristesse secrète, dans ses pleurs
on entend.
Il ne peut s’exprimer, pour l’instant —
Offenses ou requêtes, il ne comprend.
Et c’est tout ce qu’à l’avenir il
introduira
En vérité et mensonge divisera.
KS : Pouchkine écrivait : « Poète, ne chéris point l’amour du peuple ».
Êtes vous d’accord avec lui ?
BK :
Évidemment,
car « Tu es toi-même ta Cour Suprême ! ». Cependant je préfère
la prose de Pouchkine et certaines phrases dans son œuvre de dramaturge. Quelle
chance de pouvoir trouver des pépites du
génie des lettres russes qui restent actuelles.
KS : Le 29 février 1996, a été créée sur votre
initiative la Journée Mondiale de la Poésie. Racontez-nous comment ça s’est
passé. Et pourquoi est-ce qu’on fête cette journée-là les années
bissextiles ?
BK :
Bon,
c’est entré dans l’Histoire. La veille du 29 février 1996, j’ai invité dans
« La ville au pied de la Montagne » Alma-Ata, Andreï Voznessenski,
Bella Akhmadoulina, Alexandra Tkatchenko et Boris Messerer à une Soirée Poésie.
Et j’ai demandé à Andreï Andreïevitch et
Bella Akhatovna de soutenir mon idée — le 29 février comme Journée Mondiale de
la Poésie. Sans aucune modestie, je dirai qu’en effet c’était une idée à moi.
Pour quoi le 29 février ? Parce que ce jour, comme certains cristaux, ne
survient qu’une fois tous les quatre ans. Tout se configurait dans l’esprit de
la Poésie. Ainsi nous décidâmes de donner ce jour à la Poésie ! Et de
nommer Alma-Ata capitale de la Poésie. Et Oljas Souleïmenov a soutenu notre
action pour la conservation de valeurs spirituelles et immatérielles. Nous
avons écrit une lettre de requête en ce sens au siège de l’UNESCO. Ils ont
préféré choisir le 22 mars, solstice de printemps. Et cette fête mondiale est
devenue annuelle. Mais chez nous, à Alma-Ata, elle n’a lieu qu’une fois tous
les quatre ans.
KS :En avril 2016, on a commémoré les trente
ans de la tragédie de Tchernobyl. Vous vous étiez à l’époque précipité vers le
four atomique pour sauver l’esprit humain. Ne vous semble-t-il pas que c’est
précisément Tchernobyl qui a ouvert une nouvelle époque ?
BK : J’ai
écrit des livres et des vers traduits en ukrainien. L’étoile Absinthe nous mène
depuis les temps bibliques vers une possible Apocalypse. Et il faut craindre le
syndrome de Tchernobyl dans les actions des politiciens à qui notre époque accorde sa
confiance en les élisant. Et comment se battre avec ça, hélas, je ne sais pas…
KS : Quel est selon vous ce qui constitue le
processus d’écrire ? Un assemblage créatif par l’Univers de sons et de
paroles ? Ou quelque chose d’autre ?
BK :
Quelque
chose d’autre, lorsqu’on s’y absorbe, sans en connaître l’issue.
KS :Quels sont vos poètes préférés ?
BK :
Chaque
poète est intéressant dans la mesure de sa singularité — celle de leur qualité
et de leur variété. Avec les années, on finit par comprendre, qu’on est une
partie d’un ensemble commun, mais en soi solitaire, sans doute en raison de ce
qui nous distingue. Je suis reconnaissant au destin, que mes vers ne soient pas
passés inaperçus aux yeux des vieux maîtres Alexandre Mejirov, Evguéni
Vinokourov, Lev Ozerov, Andreï et Oljas. Et pourquoi pas aussi à ceux du poète
et critique Stanislav Lesnevski ? Ses jugements passionnés sur Alexandre
Blok qu’il connaît par cœur ? Je suis reconnaissant au destin qu’il aient
tous consacré quelques mots en écrit et en paroles à ma création.
KS : Quelle a été sur vous l’influence de la
poésie de Voznessenski ?
BK : Il a toujours été
indépendant et déclame ses vers d’une façon admirable. Je lui ai consacré un film.
Je pense que cela résume tout.
KS : Question indiscrète et extrêmement
sournoise : lesquels de vos poèmes préférez-vous ?
BK :
Ceux
que je n’ai pas encore écrit, pas encore créés, parce que je suis meilleur
aujourd’hui qu’hier, et je l’espère, meilleur encore demain !
[1] Village
de la steppe.