On se perd à traquer l’énigmatique poète V. Popov, avec qui l’on communique par personne interposée, dont on reçoit toujours les vers mystérieux avec un frémissement d’inquiétude, dans quelle abysse va-t-on plonger corps et bien. Étrange homme poursuivant une œuvre clandestine, maquisard de l’art pour l’art aux subtilités brutales. On cherche des pistes, pour ce qu’elles valent : une superbe originalité à parler d’amour ou d’érotisme comme dans quelques poèmes qui suivent, l’humour objectif de la vie quotidienne, « Le Chien de l’écriture » disait Drieu. Dans le fameux « Les quarante Bouches » de notre cher Essenine, il nous semble retrouver quelques formes équivalentes à l’expression de V. Popov.
« Sonnez, sonnez, cornes de mort !
Comment être, comment être maintenant
Sur les cuisses maculées des routes ?
(…)
C’est parfait quand le couchant taquine
Et nous flagelle sur des derrières alourdis
Des verges ensanglantées de l’aurore… »
Mais ce ne sont que des intuitions guidées par le goût des poésies objectives et V. Popov ne s’y reconnaîtrait peut-être pas.
C’est toujours un plaisir trouble de recevoir les poèmes de ce fantôme, on met des semaines à les consulter puis enfin à les lire. Toutefois toujours fasciné on les traduit avec crainte comme si on s’adonnait à un vice… Depuis Tchoudakov et Ryjii, on n’avait plus connu ce vertige.
(Vers de V. Popov, traduits du russe par Thierry Marignac)
Quand la chicorée a ouvert
De célestes yeux clairs
Quand déchire d’un revers
Le calme d’avant l’aube, le tonnerre
Quand au-dessus du corps endormi l’âme
Tremble comme en miroir la flamme
Incorrigiblement présent
Le monde entier comme une crevasse se recousant.
когда
цикорий раскрывает
небесно-ясные глаза
когда наотмашь разрывает
тишь предрассветную гроза
когда душа над телом спящим
зеркальным пламенем дрожит
непоправимо настоящим
весь мир как трещиной прошит
Je suis une herbe tranchante
Je découpe l’atmosphère, tintante
Je suis une veuve noire
Je tisse mes ourlets
Je suis l’asséché ruisselet
Je suis le soleil noir
Je suis un tas de briques
Un morceau de crotte sec
Je suis une trace de pneu
De l’horizon la fumée bleue
Je suis un coup de feu vers le ciel
Je suis un invisible angelot
Tout est ici trépassé mortel
Pas le moindre sens en dépôt
Je suis sorti du métro
À la station Konkovo
Hercule dessiné par Andreï Molodkine.
я
острая трава
со звоном воздух режу
я черная вдова
плету свою мережу
я высохший ручей
я солнечная тьма
я груда кирпичей
сухой кусок дерьма
я оттиск колеса
и горизонта дымка
я выстрел в небеса
я ангел-невидимка
здесь все мертвым-мертво
нет смысла никакого
и вышел из метро
на станции коньково
Sous un ciel d’encre si lent
Avec une pluie battante inclinée
Une telle conversation pour nous s’est dessinée
Jusqu’au métro elle n’allait pas nous mener
Nous hésitons, nous cognons dans un tremblement
Nous courons à la lisière extrême
Comme si on s’éloignait
Ou dangereusement grands on se rapprochait
Incompréhensible comment le dire même
Nous sommes le vent, la musique, nous
La tache de l’arc-en-ciel brûlant tout à coup
Dans les rayons des palpables ténèbres gemmes
![]() |
Blue dream dessiné par Andreï Molodkine |
под
медленным небом чернильным
с висящим наклонно дождем
такой разговор сочинили нам
мы в нем до метро не дойдем
колеблемся в дрожь ударяемся
по самому краю бежим
то словно бы удаляемся
то близимся страшно большим
как это сказать непонятно
мы ветер мы музыка мы
горячие радуги пятна
в лучах осязаемой тьмы
Personne il ne va importuner
Comme une bête il va travailler
Il chevauche le courant d’air argenté
Du suicide l’entrée
La masse de sagesse aux mille branches
Le labyrinthe verbal de l’élan
Il écrit le livre de l’avalanche
En sautoir et traversant
Il sourit avec des mots
En racontant
Des rêves de nous remplis tant et tant
Comme une rame de métro
он никому
не докучает
работает как зверь
сквозняк серебряный качает
самоубийства дверь
ветвистомудрая громада
словесных дебрей лось
он пишет книгу снегопада
крест-накрест и насквозь
он улыбается словами
рассказывая про
сны переполненные нами
как поезда метро
В. Попов