24.8.25

L'énigmatique Mister V.Popov, poète de l'abysse

 


        

         On se perd à traquer l’énigmatique poète V. Popov, avec qui l’on communique par personne interposée, dont on reçoit toujours les vers mystérieux avec un frémissement d’inquiétude, dans quelle abysse va-t-on plonger corps et bien. Étrange homme poursuivant une œuvre clandestine, maquisard de l’art pour l’art aux subtilités brutales. On cherche des pistes, pour ce qu’elles valent : une superbe originalité à parler d’amour ou d’érotisme comme dans quelques poèmes qui suivent, l’humour objectif de la vie quotidienne, « Le Chien de l’écriture » disait Drieu. Dans le fameux « Les quarante Bouches » de notre cher Essenine, il nous semble retrouver quelques formes équivalentes à l’expression de V. Popov.

         « Sonnez, sonnez, cornes de mort !

         Comment être, comment être maintenant

         Sur les cuisses maculées des routes ?

         (…)

         C’est parfait quand le couchant taquine

         Et nous flagelle sur des derrières alourdis

         Des verges ensanglantées de l’aurore… »

         Mais ce ne sont que des intuitions guidées par le goût des poésies objectives et V. Popov ne s’y reconnaîtrait peut-être pas.

C’est toujours un plaisir trouble de recevoir les poèmes de ce fantôme, on met des semaines à les consulter puis enfin à les lire. Toutefois toujours fasciné on les traduit avec crainte comme si on s’adonnait à un vice… Depuis Tchoudakov et Ryjii, on n’avait plus connu ce vertige.

         (Vers de V. Popov, traduits du russe par Thierry Marignac)



 

Quand la chicorée a ouvert

         De célestes yeux clairs

 

         Quand déchire d’un revers

         Le calme d’avant l’aube, le tonnerre

         Quand au-dessus du corps endormi l’âme

         Tremble comme en miroir la flamme

 

         Incorrigiblement présent

         Le monde entier comme une crevasse se recousant.

 

когда цикорий раскрывает
небесно-ясные глаза

когда наотмашь разрывает
тишь предрассветную гроза
когда душа над телом спящим
зеркальным пламенем дрожит

непоправимо настоящим
весь мир как трещиной прошит

 

Je suis une herbe tranchante

Je découpe l’atmosphère, tintante

Je suis une veuve noire

Je tisse mes ourlets

Je suis l’asséché ruisselet

Je suis le soleil noir

 

Je suis un tas de briques

Un morceau de crotte sec

 

Je suis une trace de pneu

De l’horizon la fumée bleue

 

Je suis un coup de feu vers le ciel

Je suis un invisible angelot

Tout est ici trépassé mortel

Pas le moindre sens en dépôt

 

Je suis sorti du métro

À la station Konkovo

 

Hercule dessiné par Andreï Molodkine.

я острая трава
со звоном воздух режу

я черная вдова
плету свою мережу
я высохший ручей
я солнечная тьма

я груда кирпичей
сухой кусок дерьма

я оттиск колеса
и горизонта дымка

я выстрел в небеса
я ангел-невидимка
здесь все мертвым-мертво
нет смысла никакого

и вышел из метро
на станции коньково

Sous un ciel d’encre si lent

Avec une pluie battante inclinée

Une telle conversation pour nous s’est dessinée

Jusqu’au métro elle n’allait pas nous mener

Nous hésitons, nous cognons dans un tremblement

Nous courons à la lisière extrême

Comme si on s’éloignait

Ou dangereusement grands on se rapprochait

Incompréhensible comment le dire même

Nous sommes le vent, la musique, nous

La tache de l’arc-en-ciel brûlant tout à coup

Dans les rayons des palpables ténèbres gemmes

Blue dream dessiné par Andreï Molodkine


 

под медленным небом чернильным
с висящим наклонно дождем
такой разговор сочинили нам
мы в нем до метро не дойдем
колеблемся в дрожь ударяемся
по самому краю бежим
то словно бы удаляемся
то близимся страшно большим
как это сказать непонятно
мы ветер мы музыка мы
горячие радуги пятна
в лучах осязаемой тьмы

 

Personne il ne va importuner

Comme une bête il va travailler

Il chevauche le courant d’air argenté

Du suicide l’entrée

La masse de sagesse aux mille branches

Le labyrinthe verbal de l’élan

Il écrit le livre de l’avalanche

En sautoir et traversant

Il sourit avec des mots

En racontant

Des rêves de nous remplis tant et tant

Comme une rame de métro

 

он никому не докучает
работает как зверь
сквозняк серебряный качает
самоубийства дверь
ветвистомудрая громада
словесных дебрей лось
он пишет книгу снегопада
крест-накрест и насквозь
он улыбается словами
рассказывая про
сны переполненные нами
как поезда метро

В. Попов