3.5.25

La Source Pérenne de Christopher Gérard

 




La beauté qui miroite dans le mythe est-elle une preuve de sa réalité ?

 

         En m’offrant récemment la 3e édition revue et corrigée de son essai sur le paganisme : « La Source pérenne » un soir de libations, Christopher Gérard m’attirait consciemment dans un piège. En effet, j’avais déjà lu la deuxième une douzaine d’années auparavant, dissimulant sans doute assez mal, en recevant ce cadeau lors d’un autre soir de libations, mon appréhension du savant ouvrage sur un domaine inconnu : le paganisme.

         Comme n’importe quel pékin de notre époque acculturée, j’entretenais sur le sujet des représentations banales à mi-chemin entre un crépuscule des dieux à relents totalitaires et la franche bêtise massifiée du « New Age ». Surprise, je dévorai l’essai la nuit même, enchanté par sa légèreté aérienne — la porte de sortie qu’il offrait de l’étouffoir des pensées binaires christiano-marxistes de ma jeunesse dont le rejet avait nourri mon nihilisme de néo-mods défoncé. Et je ne parle pas seulement du chatoyant exotisme des multiples mythologies — du Gange au Bas-Rhin, de la Volga à la Liffey — si séduisant aux yeux du voyageur ; l’auteur s’employait ici à ouvrir autant d’issues que possible à « l’atroce et vivante réalité » sans l’éviter jamais ni la fuir dans un monde parallèle de grotesque Fantasy. Gageure !

         Enfin, cet ouvrage d’érudit est dépourvu de tout nietzschéisme vulgaire, défaut de tant de livres semblables. À la place, on respectait plutôt cet aphorisme du Gai Savoir :

         « Que toute vérité qui ne soit pas accueillie par un rire soit considérée comme un mensonge. »





 

         Shiva, combien de divisions ?

         Si cette question peut prêter à frémir, en ces jours où la menace a pesé d’un conflit indo-pakistanais, il ne me semblait pas anodin que Christopher soit allé aussi loin que Bénarès retrouver des Brahmanes, dont il avait partagé les repas, les rituels et les fêtes, exempts de cette odeur fétide de sacristie, de la pompeuse pesanteur, du terrorisme latent du Dieu Jaloux des religions du livre. Delphes, les îles d’Aran, la forêt de Brocéliande, les pèlerinages païens de notre druide errant dessinaient le curieux paysage d’un homme qui ne se contentait pas d’un quelconque prêchi-prêcha alternatif mais qui, par ces rencontres avec des lieux et des gens, expérimentait son paganisme au cours de bien beaux vagabondages…

         J’insiste sur l’aspect profondément humain de « La Source… » marquant une différence très nette avec ce qu’on entend habituellement par littérature religieuse, où il est de règle de s’ennuyer solennellement. J’insiste également sur l’aspect humain et émouvant, parce que c’est ce qui m’est accessible. Quasi-dépourvu de formation en philosophie, votre humble serviteur souffre en plus d’un déplorable manque d’aspiration métaphysique depuis sa plus tendre enfance. Je ne prêtais même pas l’oreille aux fariboles du catéchisme obligatoire, ne me posais pas la question de l’origine du monde, j’y étais, voyageur à destination, insoucieux du point de départ. Mon souci, c’était ce que j’allais y faire. Je confesse une certaine admiration pour les âmes plus élevées que la mienne, cherchant le sacré au-delà de la splendeur de certains poèmes — à laquelle je ne peux me dérober.

         Certaines parties de « La Source… » m’ont donc donné du fil à retordre, notamment une section sur le culte de Mithra, dieu indo-iranien aux visages multiples et culte à mystères. J’étais mal équipé.

         Ici, une anecdote. Christopher évoque à plusieurs reprises la figure controversée de Julius Evola, ancien dignitaire mussolinien foudroyé par l’aviation alliée en 1944, devenu par la suite invalide et théoricien mystique de la Tradition. On le cite souvent dans le même souffle que Raymond Abélio et René Guénon, eux aussi chercheurs de la Voie Perdue vers l’antique religion.

         L’anecdote est la suivante : un ami sûrement mal intentionné me fit cadeau, il y a quelques années, d’un livret d’Evola, intitulé « La Doctrine aryenne du combat », espérant sans doute déclencher chez moi la fréquence héroïco-tralala qui n’est jamais très loin chez le néo-mods. Si je percutais les trois ordres indo-européens : travailleurs, prêtre, soldat, la différence entre la guerre menée pour un objectif et la barbarie indistincte d’un instinct altéré de sang, différence venue en particulier des Grecs Doriens, je m’arrêtais toujours à la funeste page 25 ! Dix tentatives ! Tout à coup, il était question de L’Upanishad, épopée indienne d’une complexité pas croyable, où héros et dieux se multiplient à une vitesse de dessin animé hollywoodien, j’étais largué. Oh combien de marins, combien de capitaines… se moquait un de mes instituteurs d’école primaire quand on séchait sur une leçon au tableau noir devant les autres. J’ai fini par rendre le livret d’Evola au copain qui me l’avait donné : « C’est trop fort pour moi, je jette l’éponge . »

         De la partie Mithra de « La Source… » où l’on apprend l’existence d’une certaine « mystérosophie » qui porte bien son nom, j’ai donc retenu ceci : Mithra sacrifie le taureau dont le sang irrigue le monde et l’anime, mythe primordial. Un rapport avec Thésée et le Minotaure ? Je n’ai pas eu le temps de poser la question à Christopher. Et ceci : « En Iran, Mithra est sauveur et solaire, dieu du bien, de l’accord et du serment. » Puis, une de mes chères anecdotes historiques : « Ce culte syncrétique fait son entrée dans l’Empire Romain grâce aux vingt mille pirates faits prisonniers par Pompée et répartis en Italie. Nous savons par Plutarque que ces pirates vaincus pratiquaient un culte secret, d’où dériveraient nos mystères. » Prenez garde à vos captifs !

         Christopher note autre part : « Les mentalités, ce que Jung appelait l’inconscient collectif, ont pourtant conservé les structures mentales du paganisme : seuls les noms ont changé. » À la lumière de tels exemples, on aurait tendance à y croire.





 

         Où donc Julien dit « L’Apostat » avait-il appris à suriner ?

         Le héros récurrent du roman épique composé par Christopher à grands renforts de « mythologies en sourdine » est Julien dit l’Apostat, ainsi surnommé par « les sectes de fanatiques chrétiens » qui lui reprochaient d’avoir, après un coup d’État fomenté par les Celtes, mis un coup d’arrêt à la christianisation rampante de l’Empire de Rome, dès qu’il était devenu César. Ça ne se pardonne pas.

         Un bien curieux portrait est dressé de ce personnage historique. Un lettré auteur de « Contre les Galiléens » que Christopher a traduit du grec ancien, brusquement devenu foudre de guerre, prouvant sa valeur au combat en première ligne, écrasant les Germains avec ses troupes gauloises et d’ébranler la Perse, où il devait trouver la mort au « champ d’honneur », comme disait mon cher grand-père. Christopher le qualifie même, un peu plus loin, de « rat de bibliothèque ». Son bouquin est émaillé de ce genre de figures, intrigantes, émouvantes, héroïques. On rajeunit, à côtoyer ces personnages.

 




         Le paganisme est-il un existentialisme ?

         Le piège refermait ses mâchoires d’acier crantées sur ma pauvre cheville. Je lis rarement des textes en français, le médiocre brouet qu’on y absorbe d’habitude ne suscite plus aucun appétit. Il y a des exceptions. J’évite d’ouvrir Céline, Malraux, Soupault ou Modiano de peur d’être happé et d’y passer la journée. Benoist-Méchin avec son « Alexandre, le rêve dépassé » m’avait fasciné de la sorte par la limpidité de sa langue, de ses thèses, la poésie de sa vision du conquérant. C’est exactement ce qui m’est arrivé avec « La Source… », déjà lue. On pourrait comparer sous bien des aspects les deux ouvrages. Alexandre le Grand, cette fulgurance, s’accapare facilement religions et dieux des pays conquis, les intégrant à l’Olympe, se marie aux princesses locales, soucieux d’unir Orient et Occident, un rêve sans fin se poursuivant jusqu’à Lawrence d’Arabie.

         Dans son « parcours païen » Christopher s’approprie sans vergogne, tant les elfes d’Irlande que les déesses multicéphales de l’hindouisme. Et… « Notre monde ne peut mourir, puisqu’il n’est jamais né, il est immanence cyclique ». Le rêve d’Alexandre et la poésie de Benoist-Méchin trouvent ici un écho.

         Si ces mots n’étaient pas une contradiction dans les termes, je dirais que Christopher a failli me convertir au paganisme.

         Moi qui ne crois qu’aux « secrets d’amour enfermés dans la bière » :

         Le visage penché de la belle chercheuse

         Se reflète dans la flamme où vécut la splendeur

         Des ferventes attaches et des sorts enlacés

         Aux enfances des rafales par nos cris mis à nu.

         Tristan Tzara, Où boivent les loups.

 

         Christopher va me faire une scène de ménage. Bien que nous nous soyons parfois retrouvés à « La Fleur en papier doré » haut lieu des réunions surréalistes belges, il prétend n’avoir aucune affinité avec leurs tentatives de résurrection du mythe. Il me pardonnera sans doute, je ne lui ai jamais caché mon dadaïsme natif.

         Thierry Marignac, mai 2025.

        

 

 

        

20.4.25

Ô lyre des sirènes…

 

La découverte du poète-voyou des années 1960 de l’ère soviet Tchoudakov, il y a une quinzaine d’années grâce à Kira Sapguir qui s’amusait à me jeter des poètes en pâture, voir si je mordais à l’hameçon, avait été initiatique : sauf peut-être chez Boris Ryjii, encore un cadeau de Kira, je n’ai jamais retrouvé un langage poétique d’une telle richesse, un humour aussi moderne, un cynisme aussi tragique. Et, souvent, dans la simplicité trompeuse du vers, il en aurait remontré à Limonov, qui en était jaloux. 

Tchoudakov empruntait beaucoup au cinéma, dont il était spécialiste, nègre des critiques officiels dans les publications spécialisées.

Nous republions ici un poème dont la traduction a été améliorée : « Des ombres d’outre-tombe… »

Hugo Ball, journal, 1915


(Vers traduits du russe par Thierry Marignac)

 

Je marche et les oiseaux chantent en fait

Se taisent des arbres les poèmes

Il n’est besoin d’aucun poète

D’un tout autre ordre sont les problèmes

 

Les oiseaux de mars dans leur complexe gazouillis

La mort rôde comme l’ordure dernière

Sur la dépouille, il y aura travelling arrière

L’antineige du crématoire la suie.

Sergueï Tchoudakov

 

Я иду и птицы поют

И молчат деревьев поэмы

Никакой не нужен поэт

Совершено иные проблемы

 

В сложном щебете мартовских птах

Бродит смерть как последняя лажа

Будет съемка обратная прах

Антиснег крематорская сажа

Сергей Чудаков


Beauté soviet

 

Copine, chatonne, étoile du cinéma

Oppose aux lèvres une épaule glacée

Ni loin, ni près, apprends à scintiller

Ne soufflant ni le chaud, ni le froid…

Sergueï Tchoudakov

 

Кинозвезда, приятельница, киска,

Подставь губам холодное плечо

Учись сиять не далеко, не близко

Ни холодно, ни горячо…

Сергей Чудаков

Ciel déchiré


 

Des ombres d’outre-tombe dans le feu gris de la T.V. tordait

Le héros du travail, les feux insérés en larmes dans le cuivre déversait

Et à nouveau les sifflements déments, d’eau bénite il arrosait

Mais vu la frigidité des sorcières, le Sabbat on annulait

 

L’orchestre des invalides aveugles musiquait au crématoire

La télé soviétique diffusait ses émissions

Oh, nous consumons si mal les briquets d’amadou de l’Histoire

Plus l’époque est minable, plus cher toujours nous la payons.

Sergueï Tchoudakov

 

А в сером огне TV загробные тени кривил

Ударник вставные огни как слезы ронял в медь

И вновь сумасшедшие свисти святую водою кропил

Но шабаш отменён по причине фригидности ведьм

 

Оркестр слепых калек музицирует в крематории

Советский TV ведёт свои передачи

О как мы скверно горим торфяные брикеты истории

Чем дешевле эпоха тем дороже всегда переплатишь

 

Сергей Чудаков






 

D’une démarche légère de prisonnier libéré

La pierre blanche de la métropole fouler

Comme ton air de harem m’est doux et sucré

Les berceuses de Pâques et le son des clochers

Sergueï Tchoudakov

 

 

Легкой походкой послетюремной

По белокаменной первопрестольной

О как мне сладок твой воздух гаремный

Лепет пасхальный и звон колокольный

Сергей Чудаков

 

 

15.4.25

Poésie sous les bombes III

 

Maxime Bessonov et moi avons fait connaissance, entre deux alertes aériennes, à Belgorod, en Fédération Russe. Il était simple et sympathique, heureux de parler à un Français qui ne soit pas hostile. La légende de Limonov à Paris le passionnait. Quelque temps plus tôt sa poésie avait été primée dans la capitale. — un poète de la zone frontalière !…

(Vers traduits du russe par Thierry Marignac)

 

À paraître le 9 mai à la Manufacture de livres

Assis dans la pénombre, pareille au silence,

Le 112 a dit : elles vont s’insérer.

Par la fenêtre ouverte une bleue turbulence,

Dans l’attente du bruit des clés.

 

Impossible d’admettre l’évidence,

Mais en moi, avant, tu n’avais pas confiance,

Mais nous sommes unis, maintenant comme hier,

Et demain dans cette guerre.

 

Mais il ne faut pas crier que c’est la guerre,

La DCA depuis deux semaines ne fait que se taire.

Et tout autour un silence si pesant,

Que soi-même, on ne s’entend.

 

 

2019, Edward Limonov venu à Paris soutenir les Gilets Jaunes, TM et Charles



Посижу в темноте, что равно тишине,

112 сказали: включат.
Голубиная давка в открытом окне,
ожидание звука ключа;

невозможность принять очевидное, но
ты и раньше не верила мне,
а вчера и сейчас мы с тобой заодно,
мы и завтра – на этой войне.

Но не надо кричать, что вот это – война,
две недели молчит ПВО.
И такая тупая вокруг тишина,
что не слышно себя самого.

Максим Бессонов

 

Au-dessus de sa tête, essayant de sauter

On mutile son front, ses talons on blesse.

Mais hélas ce pas on va répéter.

Hélas et ah, on est dans la terrestre faiblesse.

 

Le printemps, c’est le printemps, la cour est triste pourtant,

Et le silence tout autour, comme avant le combat.

Ni donner ni prendre, Dieu regarde à bout portant

Avec douleur et contentement: toi et moi.

 

Il semblait que nous deux, et tous ayons de l’âme

Mais je la touche de plus en plus rarement :

À la fraternité s’abreuvent mélancolie et contentement

Synchronisées se déversent les larmes ;

 

Et j’ai envie de dire, mais je vais me taire.

Le printemps c’est le printemps, mais la vie ainsi a pris son élan,

Comme vers le rayon, les grains de poussière,

Comme moi vers toi, soi-même ne comprenant.

Maxime Bessonov



 

В попытке прыгнуть выше головы
калечишь лоб и отбиваешь пятки,
но повторяешь это па, увы.
Увы и ах, ты на земное падкий.

Весна весной, но так печален двор
и тишина кругом, как перед боем.
Ни дать ни взять, Господь глядит в упор
на нас с тобой: и с радостью, и с болью.

Казалось бы, у нас у всех душа,
но я её всё реже осязаю:
печаль и радость пьют на брудершафт,
синхронно обливаются слезами;

и хочется сказать, но промолчу.
весна весной, а жизнь пошла такая.
И как пылинки тянутся к лучу,
так я к тебе, себя не понимая.

М. Б.

 

6.4.25

Bestialité des propagandes II: le professeur Sakwa

 

Grayzone, site d’information accusé d’être un suppôt du Kremlin, sans preuve jusqu’à aujourd’hui, avait révélé la ténébreuse affaire du « réseau des réseaux » Integrity Initiative, financé par le MI6 et Facebook, qui m’a donné une partie de l’intrigue de mon dernier roman « L’interprète », se déroulant dans les eaux troubles de la guerre de l’information britannique. Grayzone avait été rejoint par une enquête du Daily Mail et du Working Group on Syria propaganda and media, un groupe d’universitaires de gauche de Cambridge. Aujourd’hui, Grayzone dévoile une autre facette de l’influence pernicieuse d’une aile « opérations psychologiques » apparemment très active. L'article dans son intégralité: https://thegrayzone.com/2025/04/01/british-intel-top-russia-academic-leaks/

 Nous publions quelques extraits d’un article « pour abonnés » et conseillons vivement à nos lecteurs anglophones de s’abonner à Grayzone sur Substack. Ils en apprendront de belles !…

TM, éditions Konfident


 Les services secrets britanniques ont cherché à faire taire le meilleur spécialiste occidental de la Russie, révèlent des fuites

Par Kit Klarenberg, 1er avril 2025

Kit Klarenberg


(Traduit de l’anglais par Thierry Marignac)

 

Des fuites de documents montrent des agents des services secrets préparant des politiciens britanniques à faire taire des professeurs exprimant leur scepticisme de l’effort de guerre par procuration en Ukraine. L’une des cibles, Richard Sakwa, pense que cette campagne a eu pour résultat un harcèlement dans sa vie quotidienne.

 Les e-mails qui ont fuité examinés par Grayzone révèlent un complot dans les sphères supérieures du renseignement pour calomnier et réduire au silence des savants politologues britanniques tels que Richard Sakwa, qui est largement considéré comme un des meilleurs spécialistes de la Russie du monde anglophone.

En mars 2022, un e-mail intitulé « Les Russes envahissent nos universités », l’officier des renseignements britanniques et ancien conseiller de l’OTAN Chris Donnelly accusait Sakwa d’être un « compagnon de route » des Russes qui avait « graduellement abandonné sa couverture », insistant sur le fait que le professeur était « beaucoup trop bien informé sur la stratégie russe pour n’être appelé qu’un idiot utile ». Un autre message montrer que Donnelly fantasme d’exposer publiquement « les financements par des organisations russes » de Sakwa, une assertion que le professeur dément catégoriquement.

Le professeur Richard Sakwa


Donnelly a envoyé ces messages deux semaines après les déclarations du Secrétaire d’État à l’Éducation du Royaume-Uni de l’époque Nadhim Zahawi, selon lesquelles le gouvernement britannique était « déjà sur l’affaire et contactait leurs universités » quand on lui avait demandé si le gouvernement du Royaume-Uni allait intervenir pour empêcher les professeurs anti-guerre « d’agir en idiots utiles du président Poutine et de ses atrocités en Ukraine ».

Grayzone a révélé que Donnelly était un personnage-clé derrière une cellule secrète militaire et d’espionnage, appelée « Project Alchemy », créée en 2022 pour pousser l’Ukraine à « combattre coûte que coûte ». Une composante centrale de cet effort était de réduire au silence toutes les voix journalistiques et les médias — y compris le nôtre — considérés comme une menace pour le contrôle par Londres du récit de la guerre par procuration.

Les messages récemment exposés montrent que Donnelly conduisait des opérations similaires dans le monde universitaire. Bien que le professeur Sakwa ait depuis longtemps remis en question les récits dominants sur la Russie de Poutine, critiquant et l’expansionnisme de l’OTAN et son refus d’inclure Moscou dans la structure de sécurité européenne à la suite de l’effondrement de l’URSS, il a été effectivement éliminé des débats grand public sur le conflit depuis que la guerre a éclaté en Ukraine.

Les messages fuités suggèrent fortement que c’est l’intervention directe de Donnelly, agent de renseignement connu, qui est la cause de la marginalisation de Sakwa. Les messages montrent Donnelly en train de contacter des législateurs du Royaume-Uni pour oblitérer l’influence de Sakwa qu’il appelait sa cible numéro un, tout appelant à une liste noire d’autres professeurs susceptibles d’exposer des vérités inconfortables sur le conflit ukrainien.

La détermination de Donnelly à faire taire le professeur s’étendait apparemment au-delà de la durée du conflit. En privé, il s’inquiétait « qu’une fois que les combats auraient perdu de leur intensité » en Ukraine, les « modérateurs » commenceraient à « parler de lever les sanctions », et que «  les Sakwas de ce monde seraient les fers de lance de l’effort pour changer la stratégie de l’Occident ». En d’autres termes, même si la guerre tournait mal pour Kiev et ses soutiens, Donnelly et ses associés resteraient déterminés à empêcher toute reconsidération publique des relations entre l’Occident et la Russie.

Sakwa était un « redoutable opposant » à « prendre au sérieux ».

Bien que récemment calomnié comme un apologiste du Kremlin vendant de la désinformation dans certains cercles, les travaux de Sakwa ont historiquement suscité des critiques élogieuses grand public. Même après l’éclatement de la guerre par procuration en Ukraine, le magazine du Conseil en Relations Étrangères « Foreign Affairs » avait une évaluation très positive des récents livres du professeur disséquant la fraude du Russiagate aux États-Unis et les origines du conflit en Ukraine. Manifestement, c’étaient la crédibilité de Sakwa et son formidable savoir qui en faisait une cible pour le renseignement britannique suivant le début de la guerre en Ukraine.

Un des ouvrages de Richard Sakwa


Dans un échange de messages avec James Sherr, un carriériste des laboratoires d’idées qui dirigea le programme Russie et Eurasie Pour le laboratoire d’idées Chattam House lié au gouvernement britannique, Donnelly exprima son malaise devant la perspective de voir les idées de Sakwa atteindre des audiences occidentales impressionnables. « La connaissance de la politique russe très poussée de Sakwa", avertissait Donnelly en faisait un « redoutable adversaire » que « la majorité des étudiants britanniques et des politiciens de niveau intermédiaire prendrait sans doute très au sérieux. »

Sherr répondit qu’il n’avait aucun doute que Sakwa était payé par le Kremlin, mais insistait sur le fait que le professeur critiquait l’expansion de l’OTAN, non pour de l’argent mais par « haine des États-Unis ». S’il existait des preuves fondées que Sakwa recevait de l’argent d’entités russes « il fallait le faire savoir », ajoutait Sherr, mais même si l’on obtenait une vidéo de Poutine en train de lui « signer un chèque pendant le dîner…L’université de Kent continuerait à l’employer et ses fans à l’adorer.»

(…)

Dans ses commentaires à Grayzone, Sakwa  dit que les actions de Donnelly « sont extrêmement préoccupantes » et avance les e-mails indiquent « qu’il y a des cellules dans l’appareil d’État britannique travaillant d’une manière subversive pour saper les principes fondamentaux de la démocratie britannique, la tolérance des points de vue politiques divergents, l’encouragement au débat ouvert et au dialogue ».

Le professeur argue qu’en « salissant des érudits et des militants civiques » Donnelly et ses collaborateurs « sapent précisément les valeurs qu’ils prétendent défendre et pratiquent « la présomption de culpabilité par association »

« L’hypothèse selon laquelle remettre en question la politique officielle sur une question particulière est motivée par des considérations mercenaires, en l’occurrence être payé par Moscou, est une épouvantable manifestation du McCarthysme que nous espérions avoir mis derrière nous après la fin de la Guerre Froide », ajoute Sakwa.

(…)

(NDT : après l’ouverture d’une enquête, l’Université de Kent a rejeté toutes les accusations portées contre le professeur Sakwa et « solidement défendu le principe de la liberté académique » selon les dires de celui-ci)

 

4.4.25

La matraque des droits de douane

 

Une fois passés les ricanements à voir toute la classe dominante politico-médiatique euro-américaine pousser des cris d’orfraie en se dressant sur ses ergots d’hystérique — comme ça soulage de les voir trembler ! — on aimerait en savoir un peu plus long sur le psychopathe à brushing qui occupe la Maison-Blanche et ses intentions, malgré tout l’indéniable talent comique qu’on lui reconnaît. Notre ami Mark Ames, ex rédac-chef du magazine eXile de Moscou, qui dirige Radio War Nerd et a interviewé Seymour Hersh juste après les révélations de celui-ci sur le sabotage de Nord Stream était tout indiqué et a généreusement accepté de nous répondre :

 

 

Mark Ames

(Traduit de l'anglais par Thierry Marignac): 

Quelqu’un que j’ai connu répétait cette formule de sagesse politique qu’il tenait de Pat Buchanan. Buchanan était un chien d’attaque de Nixon et Reagan, intelligent, ami d’Hunter Thompson et sous bien des aspects le gourou du trumpisme. Il avait été candidat aux Primaires républicaines dans les années 1990, et avait choqué le parti. C’est ce que Trump a retenu. Bref, un jour en privé il a confié que l’un des axiomes-clés de la perspicacité politique était : quand on est au pouvoir, on n’attend pas qu’il se produise une crise. Il s’en produira toujours une et on est baisé, il faut y réagir. Au lieu de ça, il faut CRÉER les crises politiques l’une après l’autre. Alors ce sont les autres qui doivent réagir et on contrôle tout. C’est le style Trump, parce que cette stratégie plaît à quelqu’un comme lui qui adore son pouvoir et veut s’en servir à fond. Il est également TRÈS rancunier et veut se venger du « Russiagate » et des affaires judiciaires contre lui ainsi que de la façon dont les classes dirigeantes américaines et européennes ont fait trébucher son premier mandat. La vengeance est donc le second facteur. La vengeance compte pour beaucoup, particulièrement dans ses attaques contre les agences d’influence douce comme USAID, NED, etc. Et aussi contre tout ce qui est de gauche.

© Andreï Molodkine


Donc les droits de douanes sont la puissance. Il n’a pas tort là-dessus. Tout le monde est effaré et il faut qu’ils aillent le voir pour faire baisser leur tarif. C’est un type de l’immobilier, un seigneur des taudis, propriétaire de casinos et il a appris auprès de Roy Cohn. Il est étrange de voir un président qui aime ouvertement son pouvoir et a l’intention de s’en servir autant qu’il pourra ; nos présidents prétendent toujours être d’humbles serviteurs, de se servir « sagement » de leur pouvoir. Trump c’est plutôt « Putain, oui, j’ai le pouvoir et putain je vais m’en servir, ah, ah, ah. » Et pourquoi pas ?  Quand nous avons des présidents de la gauche bidon Obama ou Biden, ils répètent qu’ils ne peuvent appliquer aucune des promesses faites aux travailleurs sous prétexte qu’ils n’en n’ont pas le pouvoir, le système les en empêche. Ils mentent bien sûr mais c’est ce qu’ils continuent à vendre à leurs soutiens. Que les pouvoirs du président sont limités. Ce qui les dégage de toute responsabilité, ils peuvent poursuivre le statu quo et jouer à l’empire mondial, la seule chose qui les préoccupe.

Au sujet des droits de douane et les politiques qui encadrent l’usage qu’en fait Trump, l’autre truc, c’est sa vision de ce que la société devrait être. La première fois, il s’était présenté comme un populiste à la Jackson. Jackson était un populiste qui a défié la Second Bank Of America et les financiers, qui a élargi le droit de vote à tous les hommes sans tenir compte de leurs propriétés, il était haï par les élites. Cette fois, Trump dit que son héros est William McKinley, l’impérialiste des grosses sociétés qui écrasa le populisme au début du XXe siècle. McKinley est l’un de ceux qui ont démarré l’empire américain, qui ont maté la classe travailleuse et imposé de gros droits de douane pour aider ses soutiens financiers des grosses corporations. Trump dit que ce qui a ruiné l’Amérique c’est l’adoption de l’impôt sur le revenu progressif en 1913, qui était un des plus grands combats des populistes contre l’oligarchie américaine. L’adoption de cette mesure a pris une vingtaine d’années. Trump veut éliminer l’impôt progressif sur le revenu (les riches paient plus que la classe moyenne qui paie plus que les pauvres) et générer des profits à travers les droits de douane, ce qui revient au fond à faire payer en proportion les pauvres et la classe moyenne bien plus que les riches. Mais le problème, bien sûr, c’est qu’on n’est plus en 1897 ou 1920. L’économie américaine est très différente. Le libre-échange a défoncé la classe ouvrière, mais il a rendu le pays et sa classe dominante tout-puissants. Remplacer ça du jour au lendemain par des droits de douane écrasants, sans un grand plan à la chinoise d’investissement dans l’industrie locale, signifie tuer la domination américaine et les entreprises, provoquer une inflation massive, sans en tirer beaucoup de profit en échange. Alors, sauf coup de bol, il va en résulter un merdier énorme et qui va le rattraper. Et si c’est le cas, il aura à prendre une décision — peut-il faire la chasse aux médias et aux élections pour s’aider lui-même. Mon intuition est qu’il ne pourra pas. Tout le monde dans la classe dominante américaine s’est rallié à Trump cette année, voir à quel point ce sont des lâches était un spectacle choquant. Mais quand on se fait des ennemis de tous les oligarques et financiers, on ne peut que perdre. Le prochain « gamin perturbé » avec un fusil de chasse ne manquera pas sa cible.

Mark Ames, avril 2025