24.10.21

"Ingénieurs des âmes humaines" au festival Gorki de Nyjni-Novgorod

Cérémonie de fermeture du festival, Dimitri Birman, le président, une lauréate, TM.

Par un « automne doré » digne des plus beaux vers d’Essenine s’est tenu le festival Gorki à Nyjni-Novgorod, célébrant le 800ème anniversaire de la fondation de la ville dans un format à peine écorné par la pandémie, devant la Volga large comme un bras de mer. Une vingtaine d’écrivains, de dramaturges, d’illustrateurs et d’éditeurs sont intervenus dans les bibliothèques, théâtres, écoles et universités de la région. On comptait parmi eux Daniel Orlov, qui ressemble à Hemingway et vit dans la forteresse de Crondstadt, Pavel Kreniev dont le roman « La Neuvième Cible » paraîtra traduit par votre serviteur à « La Manufacture de livres » au mois de janvier, l'éditrice Lola Zvonareva, la poétesse Anna Arkatova, l’essayiste-nouvelliste Alexandre Evcioukov, et votre serviteur lui-même, dans le rôle de « diplomate du peuple ».

Le personnage de Gorki est énigmatique à plus d’un titre : On peine à recoller les morceaux. Entre l’écrivain social naturaliste de « La mère » ou de « Les bas-fonds » de la fin du tsarisme, le joyeux drille vivant à Capri avec sa maîtresse et ses amis dont le poète dandy Khodassevitch et concoctant une nouvelle mouture du marxisme mêlé à la théosophie qui enragea Lénine — jusqu’au sbire de Boukharine, garde-chiourme de la culture stalinienne qui déclarait les écrivains « Ingénieurs des âmes humaines ».

Et en voici un nouvel aspect, une poésie sardonique et sans pitié, mettant en scène une comtesse française peu scrupuleuse…

        

 


 (Vers de Maxime Gorki, traduits par Thierry Marignac)

La ballade de la comtesse Hélène de Courcy

 

Ornée de sentences variées

Parmi lesquelles il en est d’extrêmement gaies

 

Avez-vous connaissance, mon ami, qu’en Bretagne

Il n’est de meilleure — demande-le même aux pierres de taille ! —

Il n’est de meilleure parmi les créatures divines ici,

Que la comtesse Hélène de Courcy ?

Daniel Orlov sur les ailes d'un roman


 

Tout ce qui en ce monde se prépare,

Nous devons écouter et voir,

C’est pour cela que le Bon Dieu

Nous a donné des oreilles et des yeux.

 

Tel un cygne surgissant de son palais,

Vers le pont souterrain elle allait,

Le soleil dans les cieux riait.

Un mendiant au portail se dressait.

 

Mais s’il arrive le superfétatoire,

Œil perspicace et perçant

Alors cela signifie que le Tout-Puissant

A décidé de nous en faire voir.

 

Les yeux aimants n’osant se lever,

Le jeune page derrière elle la suit,

Ainsi qu’un chien lévrier,

De la bonne Madame le favori.

 

Nous savons que souvent le chien,

De l’honnête homme est le meilleur ami,

Agréable d’aimer un chien —

Personne ne sera jaloux de lui !

A. Evsioukov, nouvelliste-essayiste


 

Je vous dirai que le mendiant était mince et juvénile

Et qu’il était aveugle comme le poète.

Mais un aveugle digne n’est-il

Pas de l’attention des dames de tête ?

 

L’aveugle envie les voyants.

Ô s’il se doutait combien tant et tant

Nous cachons dans notre âme secrètement

De ténèbres pesants, effrayants.

 

Le cœur de la comtesse frémit, dans lequel

L’amour habita de tous temps,

La Bretonne jeta son regard sur le mendiant

« Tu es digne d’attention, oui, comme tel !»

 

Chacun abrite dans son cœur des pensées, —

Le lion, toi-même et le serpent

Qui peut prétendre connaître ces pensées

Les connais-tu toi-même, pour autant ?

Au théâtre à Nijny-Novgorod


 

Et voici qu’elle parle au mendiant : « Tu dois m’écouter !

Avec toi, c’est la comtesse Hélène !

Ton âme obscure me fait de la peine

En quoi puis-je alléger ta captivité ?

 

Lorsque que dans ton cœur tu sens,

Abondance de miel ou de venin,

Fais-en cadeau à ton prochain —

À quoi te servirait l’excédent ?

 

Madame, lui répond le mendiant soumis, —

Ma chère Madame

Tous les jours noirs de ma vie

Je donnerais en échange d’un baiser de vous Madame !

 

De la belle vérité se languissant,

Comme dans son âme avidement on l’attend.

Ce que tu aimes follement, comme la vérité,

En toi, c’est le mensonge inné.

 

« Mon petit retourne-toi un peu,

La comtesse au page dit, —

Pour la gloire du Bon Dieu

Je n’épargnerai pas ma modestie ! »

Pavel Kreniev, romancier et chasseur


 

Comme tout, et la femme également,

Nous sommes dans les mains de Dieu un jouet,

Nous pensons mieux aux enfants,

Aux papillons, aux alouettes.

 

L’aveugle étreint la taille de la fière comtesse,

Les lèvres contre les lèvres se pressent,

Le bleu regard se voile de bruine,

Et se plie sa taille fine.

 

Amis ! Vive le bonheur !

Quoi — qu’il vive rien qu’un instant parfait !

Mais plus grandes sont alors sagesse et bonheur,

Qu’en une centaine de livres épais.

Une des datchas de Staline


 

Ici chez la comtesse, la fierté l’emporta sur la passion

Par un crépuscule rouge vermillon,

La Bretonne au page ordonna :

« Étienne, ô enfant, ne regarde pas ! »

 

Nos ennemis — le diable et l’accident —

De nous toujours sont triomphants,

Ainsi ne va pas te tourmenter —

À l’heure inévitable du péché !

 

Après, se relevant de terre, épuisée,

Elle ordonna au page : « Tue-le ».

Et ravi, le gamin amoureux,

Le couteau en main s’est exécuté.

Lola Zvonareva, critique et éditrice


 

Celui qui, à une coupe unique, boit,

Amour et jalousie mêlés dans l’outrage,

Inévitablement, boit,

De la vengeance le rouge breuvage.

 

Ses lèvres humides d’un foulard essuyées,

Au Christ, la comtesse dit,

« C’est à toi conquérant du paradis

Que j’ai donné ma pureté ! »

 

Sur la direction du vent,

Les herbes nous renseignent honnêtement,

Mais sur ce que la femme voudra —

Dieu lui-même ne le sait pas !

La poétesse Anna Arkatova


 

Au gamin elle demanda tendrement :

« N’est-il pas vrai que j’ai bon cœur ?

Oh, petit chéri, pourquoi tu pleures ?

Rentrons à la maison, il est temps ! »

 

L’amour est comme une flamme surgissant,

Et nous en elle allons brûlant,

Devenant nous-mêmes miraculeusement,

Un feu superbe, un feu ardent.

 

Il ne lui répondit pas, seulement avec son béret,

Les larmes sur ses joues, il essuyait.

Cependant un souffle oppressé,

Étienne ne pouvait réprimer.

 

Comme généreusement nous donnons à la vie !

Chacun de nous va lui apporter

Un peu de rire enjoué

Et un cœur plein de larmes aussi.

 

Les sourcils noirs de la Bretonne s’assombrirent plus avant,

Et tenant parole, méchante,

Du pont, elle jeta l’enfant,

Dans les vertes eaux grondantes.

 

Si nous jugeons sévèrement

Tous ceux qui méritent le châtiment —

Nous ne serons pas plus heureux,

Et nous viderons le monde si vieux !

 

Et, à nouveau ses yeux bleus et fiers

Hélène leva vers les cieux,

« Sois mon juge, mon Père,

Comme je l’étais, sois miséricordieux ! »

 

Nous le savons : Des belles les péchés ici,

Se résument à de douces plaisanteries.

Et Dieu est si bon et si gentil,

Si délicat et sensible aussi !

 

La nuit, la comtesse, appelant l’abbé,

Lui raconta ses péchés,

Et ses péchés furent absous, enfouis

En échange de quinze louis.

 

Tout ce qui en ce monde se prépare,

Nous devons écouter et voir,

C’est pour cela que le Bon Dieu

Nous a donné des oreilles et des yeux.

 

Tout ceci resterait pour le monde un secret,

L’univers n’en saurait rien

Mais par hasard dans la sébile sont tombés bel et bien

Neuf sous contrefaits.

 

Mais s’il arrive le superfétatoire,

Œil perspicace et perçant

Alors cela signifie que le Tout-Puissant

A décidé de nous en faire voir.

 

À des gueux les distribuant,

Le moine s’enorgueillit, les dénigrant —

Sa vanité nous a donné à ce stade

Une des plus belles ballades.

 

On déplore les cœurs tourmentés

Il n’y a souvent rien à faire pour les aider, —

Alors d’une amusante facétie

Un cœur douloureux avec succès on guérit !

 

Maxime Gorki

Automne doré avec récolte de pommes record !


 

 

Баллада о графине Эллен де Курси

 

украшенная различными сентенциями,

среди которых есть весьма забавные

 

Известно ли Вам, о мой друг, что в Бретани

     Нет лучше – хоть камни спроси!–

     Нет лучше средь божьих созданий

     Графини Эллен де Курси?

 

   Все, что творится в мире,

   Мы видеть и слышать должны,

   Для этого нам добрым богом

   Глаза и уши даны.

 

Из замка она выплывает, как лебедь,

     К подъемному мосту идет.

     Солнце смеется в небе.

     Нищий стоит у ворот.

 

   Но если случится – излишне

   Остер и зорок глаз,

   Тогда это значит – Всевышний

   Хочет помучить нас.

 

Влюбленные очи поднять не дерзая,

     За ней юный паж по следам,

     А также собака борзая –

     Любимица доброй madame.

 

   Мы знаем – не редко собака

   Любимого друга честней,

   И приятно любить собаку –

   Никто не ревнует к ней!

 

Скажу Вам, что нищий был молод и строен

     И – был он слеп, как поэт.

     Но – разве слепой не достоин

     Внимания дамы, – нет?

 

   Слепой завидует зрячим.

   О, если б он знал, сколько мы

   В душе нашей тайно прячем

   Тяжелой и страшной тьмы!

 

Вздрогнуло сердце графини, в котором

     Любовь обитала всегда,

     Бретонка окинула нищего взором:

     «Достоин внимания, да!»

 

   У всех есть мысли сердца, –

   У льва, у тебя, у змеи.

   Но – кто эти мысли знает?

   И – знаешь ли ты свои?

 

И вот говорит она нищему: «Слушай!

     С тобою – графиня Эллен!

     Мне жаль твою темную душу.

     Чем я облегчу ее плен?»

 

   Когда ты почувствуешь в сердце

   Избыток меда иль яда,

   Отдай его ближним скорее –

   Зачем тебе лишнее надо?

 

Madame, – отвечает ей нищий покорно, –

     Моя дорогая madame

     Все дни моей жизни черной

     За Ваш поцелуй я отдам!»

 

   О правде красивой тоскуя,

   Так жадно душой ее ждешь,

   Что любишь безумно, как правду,

   Тобой же рожденную ложь.

 

«Мой маленький, ты отвернись немного, –

     Сказала графиня пажу, –

     Для славы доброго бога

     Я скромность мою не щажу!»

 

   Как всё – и женщина тоже

   Игрушка в божьих руках!

   Подумаем лучше о детях,

   О ласточках, о мотыльках.

 

Слепой обнимает стан гордой графини,

     Устами прижался к устам,

     Туманится взор ее синий,

     Сгибается тонкий стан.

 

   Друзья! Да здравствует счастье!

   Что ж, – пусть его жизнь только миг!

   Но мудрости в счастье больше,

   Чем в сотне толстых книг.

 

Тут гордость графини вдруг страсть одолела.

     Румяней вечерней зари,

     Бретонка пажу повелела:

     «Этьен, о дитя, не смотри!»

 

   Враги наши – чорт и случай –

   Всегда побеждают нас,

   И так ты себя не мучай –

   Греха неизбежен час!

 

Потом, поднимаясь с земли утомленно,

     «Убей» – приказала пажу.

     И радостно мальчик влюбленный

     Дал волю руке и ножу.

 

   Кто пьет из единой чаши

   Любовь и ревность вместе, –

   Тот неизбежно выпьет

   Красный напиток мести.

 

Вот, влажные губы платком стирая,

     Графиня сказала Христу:

     «Тебе, повелитель рая,

     Дала я мою чистоту!»

 

   О том, куда ветер дует,

   Нам честно былинка скажет,

   Но то, чего женщина хочет –

   Сам бог не знает даже!

 

А мальчика нежно и кротко спросила:

     «Не правда ли, как я добра?

     О чем же ты плачешь, милый?

     Идем, нам домой пора!»

 

   Любовь возникает, как пламя,

   И мы, сгорая в нем,

   Чудесно становимся сами

   Прекрасным и ярким огнем.

 

Он ей не ответил, он только беретом

     Смахнул капли слез со щек,

     Но тяжкого вздоха при этом

     Этьен удержать не мог.

 

   Мы щедро жизнь одаряем!

   Ведь каждый в нее принес

   Немножко веселого смеха

   И полное сердце слез.

 

Нахмурила черные брови бретонка

     И, злые сдержав слова,

     Сбросила с моста ребенка

     В зеленую воду рва.

 

  Если мы строго осудим

   Всех, кто достоин кары, –

   Мы счастливей не будем,

   Но – опустеет мир старый!

 

И вновь свои гордые, синие очи

     Эллен в небеса подняла,

     «Будь мне судьею, отче,

     Будь добр, как я была!»

 

   Мы знаем: грехи красоток –

   Не больше, как милые шутки.

   А бог – так добр и кроток,

   А он такой мягкий и чуткий!

 

Ночью графиня, позвав аббата,

     Рассказала грехи свои.

     И были с души ее сняты

     Грехи за пятнадцать луи.

 

   Все, что творится в мире,

   Мы видеть и слышать должны,

   Для этого нам добрым богом

   Глаза и уши даны.

 

Все это для мира осталось бы тайной,

     Не знал бы об этом свет,

     Но – в лепту попало случайно

     Девять фальшивых монет.

 

   Но если бывает – излишне

   Остер и зорок глаз,

   Тогда это значит – Всевышний

   Хочет помучить нас.

 

И вот, раздавая их бедным вилланам,

     Монах позлословить рад –

     Нескромность его и дала нам

     Одну из прекрасных баллад.

 

   Мучительны сердца скорби, –

   И часто помочь ему нечем, –

   Тогда мы забавной шуткой

   Боль сердца успешно лечим!

 

Максим Горьки