10.8.19

Saison des amours

Konstantin Komarov

         L’amour, la poésie… On croirait une rengaine d’André Breton, dit Dédé-les amourettes, à sa mauvaise période… Mais c’est un thème estival, et la parité exige que nous nous consacrions un peu à nos lectrices… Nous connaissons à peine Konstantin Komarov, lauréat de plusieurs prix,  poète publié dans de grandes revues russes, telles que « Znamia » et « Novi Mir ». C’est un spécialiste de Maïakovski, vivant et travaillant à Ekaterinbourg, croisé fugitivement un soir d’ivresse où tout semblait possible au Centre Eltsine, laissant cette touchante dédicace sur son recueil « Bons baisers de Sverdlovsk » (Sverdlovsk est l'ancien nom d'Ekaterinbourg à l'époque soviet). Nous le connaissons aussi peu que Sémione Piégov,  poètes entrevus en un clin d’œil, dont les vers cryptés résonnent plus tard dans la mémoire. Quelle chance que cette vie « universellement hâtive », quelle chance que la poésie en terre russe, un des derniers bastions !…

Poème de Konstantin Komarov
(Traduit du russe par Thierry Marignac)
Je suis sorti de la chambre comme on sort du coma,
Comme parfois le matin d’un mauvais rêve de gueule de bois,
Je suis allé en ville et tant de visages connus j’ai vu
Je voulais leur dire,  m’en suis abstenu et n’en parlerai plus.

On se tait, on observe, on fume, genre fardeau allégé,
On se sent presque dans le monde, comme en paix,
Comme si l’avant-bras luxé provisoirement se remettait
L’espace est adroit, quoique chirurgien sans pitié.

De plus je crois, par quelque ridicule hasard
Lorsque régresse, déversée grappe à grappe ma langueur,
Que nous nous croiserons demain, que tu es quelque part,
Que pour ton propre usage je te lis par cœur.

Et chante l’été, et à chaque fenêtre une moustiquaire,
Et comme toujours c’est là que ça tourne à la sinistrose
Voilà que les toxicos se détachent de l’aiguille somptuaire
Et que le manque les renvoie aussitôt au dealer pour leur dose.

Et si j’étais avec toi on se promènerait main dans la main
On mangerait de la barbe à papa, on irait au ciné et dans les jardins
Tu sais, j’arrive sans croire de mon cœur le battement,
Comme si j’étais vivant,  mais ce n’est pas mon cœur pourtant.

Et à nouveau comme d’habitude les murailles se mélangent avec la vérité,
Et à nouveau l’acide du mélange s’écoule dans les yeux fatigués
Et prend la relève de la douleur, clairvoyance coutumière :
Laisser deux rimes — et retourner en arrière.

Je ne souhaite pas à mon ennemi, de partager un tel destin,
Ligne à ligne se referme un axe mortel,
Je te recouvrirai d’une couverture si tu viens,
Grande et belle pour que nous dormions mieux sous elle.

Et nous nous étonnerons, par un léger chatouillement, éveillés,
Des italiques fresques du matin surgies à nos lèvres à l'instant.
Ainsi, je ne réveillerai pas des derniers pincements ,
Les blessures, qu’à la pointe du crayon je fais seul à mon cœur dépouillé.
Constantin Komarov.


 Я вышел из комнаты так, как выходят из комы,
как утром порой из похмельного сна выхожу,
я в город пошёл и увидел там много знакомых,
хотел им сказать, но не стал и уже не скажу.

Молчишь, наблюдаешь и куришь, и будто бы легче,
и в мире себя ощущаешь почти, как в миру,
как будто бы времени вправило вывих предплечья
пространство – умелый, но очень жестокий хирург.

К тому же я верю с каким-то нелепым азартом,
когда отпадает, налившись, как гроздь моя грусть,
что ты где-то есть, что с тобою мы встретимся завтра,
что я прочитаю тебя для тебя наизусть.

А лето поёт, и на каждом окне накомарник,
и вот как всегда мне становится муторно тут,
вот так вот наивно слезают с иглы наркоманы
и с первой же ломки за дозой к барыге бегут.

А будь я с тобой, мы б ещё погуляли за руку,
поели бы сахарной ваты, сходили бы в парк и в кино,
ты знаешь, вот я прихожу и не верю сердечному стуку:
как будто живой, а стучит всё равно не оно.

И снова привычно мешаются с истиной стены,
и вновь кислота этой смеси течёт по усталым глазам,
и боли привычной прозренье приходит на смену:
две рифмы оставит и тут же уходит назад.

Врагу не желаю, чтоб этим судьба оделяла,
строка за строкой замыкается смертная ось,
когда ты придёшь, я укрою тебя одеялом,
большим и красивым, чтоб нам под ним крепче спалось.

И мы удивимся, проснувшись от лёгкой щекотки,
от росписи утра курсивом по нашим губам.
Поэтому я и не сыплю последней щепотки
на раны, что грифелем делаю на сердце сам.


Константин Комаров.